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A Brignoles, il fut permis au maire, non sans de grandes difficultés, de haranguer le SaintPère; mais à Flasseur le colonel fut inflexible. En vain le curé se présenta en habits sacerdotaux et avec la croix, la voiture marchoit toujours. Alors les habitans, sans craindre d'être foulés aux pieds des chevaux, se couchent en masse devant la voiture, et couvrent le chemin de leurs corps. Le colonel est obligé de céder, la glace se baisse, le Saint-Père entend le curé, et donne sa bénédiction au peuple.

Buonaparte arriva au Luc à quatre heures du soir. Il ne s'arrêta pas dans le village, mais dans un château voisin, situé sur la route appelée le Bouillidou, appartenant à M. Charles, membre dela Chambre des Députés.

Il étoit attendu, dans ce château, par sa sœur Pauline (princesse Borghèse). Il y avoit un mois que cette princesse étoit au Bouillidou, attendant le dénoûment des affaires, et renonçant aux eaux de Greoux, où elle avoit le projet de se rendre selon son usage.

Buonaparte avoit été précédé dans ce lieu par un détachement de mille hommes d'infanterie et cinq cents hommes de cavalerie de troupes autrichiennes; l'infanterie et partie de la cavalerie avoient continué leur route pour

Saint-Tropez, où elles devoient protéger l'embarquement de Napoléon.

Celui-ci, en arrivant au Bouillidou, s'enferma dans son appartement avec sa sœur. Des sentinelles furent placées à toutes les portes, avec ordre de ne laisser entrer personne. Cependant, la maîtresse de la maison et deux autres dames qui souhaitoient fort de voir Napoléon, crurent que la consigne n'étoit pas faite pour elles, et vinrent à bout d'en convaincre les sentinelles ; elles s'introduisirent jusque dans une galerie qui communiquoit avec la chambre de l'ex-empereur. Arrivées dans cette galerie, elles y trouvèrent un militaire en uniforme d'officier autrichien, qui leur dit : « Que désirez-vous voir, >> Mesdames? - Nous voudrions voir Napoléon. Mais c'est moi, Mesdames. » Ces dames le voyant dans un costume étranger, lui dirent: Vous plaisantez, Monsieur, ce n'est pas vous qui êtes Napoléon. Je vous assure, Mes» dames, que c'est moi. Vous vous imaginez » donc que Napoléon avoit l'air plus méchant? >> Alors la conversation s'engagea, et il leur dit: « N'est-ce pas qu'on dit maintenant que je » suis un scélérat, un brigand?» Ces dames n'eurent garde de le démentir. Buonaparte, ne voulant pas trop les presser sur ce point, dé

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tourna la conversation sur des choses indifférentes, faisant diverses questions sur le maître du château et sur sa famille qu'il connoissoit (1). Mais, toujours préoccupé de sa première idée, il y revint brusquement : « Convenez-en, Mesdames, leur dit-il, maintenant que la fortune » m'est contraire, on dit que je suis un coquin » un scélérat, un brigand. Mais savez-vous ce » que c'est que tout cela? J'ai voulu mettre la >> France au-dessus de l'Angleterre, et j'ai échoué » dans ce projet.

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Comme il achevoit ces mots, on entendit le bruit occasionné par d'autres personnes qui vouloient aussi forcer la consigne. Alors Napoléon, quittant les dames qu'il avoit entretenues pendant un demi quart-d'heure, rentra brusquement dans l'appartement de sa sœur.

Celle-ci passa la soirée avec lui, et partit à huit heures pour faire place au nouvel hôte et à sa suite.

Jusqu'ici le gouvernement français étoit demeuré étranger à la translation de l'ex-empereur,

(1) Quinze ans auparavant, à son retour d'Egypte, il s'étoit arrêté à ce même château, et avoit même emprunté au propriétaire sa voiture pour le conduire à Paris. Il oublią de la rendre, distrait, sans doute, par des objets plus importans.

le soin en avoit été confié, par les puissances alliées, à quatre de leurs commissaires.

Voici les détails relatifs à l'embarquement: L'art. 16 du traité du 11 avril portoit : « Il » sera fourni une corvette armée et les bâtimens » de transport nécessaires pour conduire au lieu » de sa destination S. M. l'empereur Napoléon, » ainsi que sa maison. La corvette demeurera en » toute propriété à Sa Majesté.

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Des ordres furent donnés pour l'exécution de cet article, et transmis par un courrier extraordinaire du gouvernement, qui arriva à Toulon le 24 avril. Il étoit porteur des dépêches du ministre de la marine pour le préfet maritime.

Le lendemain 25, on vit partir de ce port la frégate la Driade et le brick l'Inconstant. On sut que le commandement de ces bâtimens avoit été donné à deux officiers de marque (M. le comte de Montcabrié, capitaine de vaisseau, et M. le vicomte de Charrier-Moissard, capitaine de frégate), et qu'ils étoient montés par un étatmajor et un équipage d'élite. On ne douta pas, d'après ce choix, du bruit qui avoit couru qu'ils alloient prendre Napoléon à Saint-Tropez, et le conduire à l'île d'Elbe. En effet, ils arrivèrent à Saint-Tropez le lendemain 26, et y trouvèrent une partie des troupes autrichiennes formant l'es

corte de Napoléon. Celui-ci devoit les joindre. Mais après qu'on l'eût attendu inutilement, on apprit, le 27 au matin, que la difficulté des chemins empêchant le convoi de se rendre à Saint-Tropez, il continuoit sa route pour Fréjus, 'où les troupes et les bâtimens eurent ordre de se rendre pour son embarquement. 'Ces nouvelles 'furent apportées par M. de Koulvaloff, aide-dedu comte de Schouwaloff, et par M. de Clam, aide-de-camp du prince de Schwartzenberg, qui arrivèrent successivement àSaint-Tropez, et se rendirent à bordd e la frégate la Driade.

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Peu d'instans après l'arrivée de ces officiers, une frégate anglaise, ayant pavillon parlementaire, passa devant le port de Saint-Tropez. On 'sut, par le rapport d'un officier envoyé à bord de cette frégate, qu'elle se nommoit l'Undaunted "(l'Indomptée) ; qu'elle étoit commandée par capitaine Usher; qu'elle venoit de Marseille, et alloit à Fréjus, d'après les ordres du colonel Campbell.

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La frégate la Driade ne tarda pas à appareiller pour Fréjus, ayant à son bord M. de Koulwaloff et M. de Clam. En entrant à Saint-Rapheau (port de Fréjus), elle trouva la frégate anglaise qui y avoit déjà mouillé, et qui se disposoit à embarquer les équipages de Napoléon.

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