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dant son entretien avec le général, un second parlementaire vint faire une nouvelle sommation de rendre la place. L'aide-de-camp à qui le général communiqua la sommation, ne sut à quoi attribuer une demande de cette nature, et pria le général de vouloir bien permettre au capitaine du bâtiment anglais de se rendre seul à terre, pour donner une explication à ce sujet; le général ayant consenti à cette proposition, on envoya chercher le captaine anglais. Lorsqu'il entra dans la place le peuple, qui ignoroit encore ce qui s'étoit passé en France, et qui se persuada que ce capitaine venoit prendre possession de l'île, au nom de S. M. B., le reçut avec des acclamations qui manifestoient la joie qu'il avoit de passer sous la domination de l'Angleterre.

Le général, ayant communiqué la dépêche de l'aide-de-camp français au capitaine anglais, celui-ci répondit qu'il connoissoit ces nouvelles depuis deux jours, mais que M. le commandant Montrésor, qui, sans doute, les ignoroit, l'avoit chargé, en partant de Livourne pour l'île de Corse, de remplir cette mission; que cependant il alloit l'informer de l'état des choses. Il demanda ensuite, pour lui et pour les autres bâtimens qui étoient en croisière, la permission d'entrer dans le port pour saluer le nouveau pavillon. Mais le

général la lui refusa, lui faisant observer que ce débarquement pourroit être l'occasion d'un soulèvement parmi le peuple, qu'il avoit de la peine à contenir. Sur cette observation, le capitaine se retira, et partit quelques instans après avec l'aide-de-camp.

Avant midi la croisière n'étoit plus en vue, et des salves d'artillerie avoient annoncé le retour des Bourbons.

Cependant quelques paysans crioient Vive Ferdinand! Plusieurs autres avoient pris la cocarde noire; les soldats vouloient abandonner leurs drapeaux; des signes de révolte se manifestoient dans toute la ville; alors le général en fit fermer les portes, auxquelles il fit placer quatre pièces de vingt-quatre, chargées à mitraille. Il somma la garde nationale de faire des patrouilles, et d'arrêter les malveillans; confia la garde des forteresses aux Français, avec ordre de faire feu sur les différens rassemblemens, et par ces dispositions, qui intimidèrent les mutins, maintint l'ordre et la tranquillité.

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Les villages voisins se bornèrent à arborer, les uns le pavillon anglais, les autres celui de leur ancien souverain.

Tel étoit l'état des choses, lorsque le 3 mai, à cinq heures du soir, on vit la frégate anglaise

Indomptée se mettre en panne à un quart de lieue de la ville. Quelques instans après il s'en, détacha une péniche qui vint au bureau sanitaire pour demander la libre entrée.

Après l'avoir obtenue, le grand-maréchal Bertrand, le général Drouot, un général russe, un général autrichien, le colonel des lanciers de la garde, un colonel anglais et deux fourriers du palais, débarquèrent et se transportèrent chez le général Dalesme, pour l'informer de l'arrivée de Napoléon et pour prendre possession de la place: à quoi le général Bertrand procéda de suite, en faisant apposer le scellé sur les caisses publiques.

Le général Dalesme fit aussitôt mettre la gar nison sous les armes, et se rendit, avec toutes les autorités de la ville, à bord de la frégate anglaise. L'ex-empereur déguisa mal tout le dépit qu'il éprouva à la vue d'une députation fort mesquine; et après l'avoir questionnée sur l'ile et ses habitans, il la congédia, en lui donnant l'ordre de convoquer de suite tous les curés et les maires des villages voisins.

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Les habitans de Porto-Ferrajo, rassemblés sur le port, attendoient le moment du débarquement. Mais à onze heures du soir, après avoir louvoyé autour de l'ile, Napoléon fit dire au général Dalesme que la cérémonie de son entrée

seroit remise au lendemain à deux heures après midi. En attendant, les commissaires étrangers et les officiers français passèrent une partie de la nuit et du lendemain à parcourir la ville, visitant tous les heux publics, et cherchant à connoître l'esprit des habitans.

Le mercredi 4, à midi, les troupes se mirent sous les armes, et les autorités se rendirent sur le port. A trois heures, le débarquement fut annoncé par vingt-un coups de canon, tirés de la frégate, et auxquels répond rent les canons de la forteresse. On vit alors l'ex-empereur paroître dans une péniche, vêtu d'une redingote bleue qui couvroit un habit brodé d'argent, sur lequel il portoit une décoration particulière, qui étoit aussi d'argent. Il avoit un chapeau rond, orné d'une cocarde.

En mettant pied à terre, il reçut les clefs de la ville des mains du commandant, et fut harangué par le sous-préfet.

Il se plaça ensuite sous le dais, et marcha vers l'église paroissiale. Son visage étoit singulièrement sombre, ses yeux se fixoient alternativement sur toutes les personnes qui l'entouroient, cherchant à deviner leurs sentimens, et faisant d'inutiles efforts cacher ceux de la défiance et de la peur qui l'agitoient lui-même, sans pouvoir

pour

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être rassuré par les démonstrations qu'il recevoit.

Après son arrivée à l'église, on chanta un Te Deum, pendant lequel Napoléon parut trèsaffecté, et versa même quelques larmes en levant les yeux au ciel (1).

La cérémonie terminée, l'ex - empereur se dirigea d'un pas rapide, et presque en courant, vers la mairie, où son logement avoit été préparé. Il y fut suivi par un grand nombre de personnes qu'on laissa entrer. Il questionna celles qui se trouvèrent près de lui, et revint peu à de son trouble. Bientôt, la nature reprenant ses droits, il adressa des reproches au maire de

peu

(1) De quels sentimens étoit-il agité dans ce moment, et de quelle source ont pu couler ces larmes ? Nous l'ignorons. Mais l'ennemi de la religion abattu dans ce palais où naguère il retenoit captif le vicaire de Jésus-Christ, qu'il avoit osé frapper de ses mains impies; versant des larmes dans l'église de Porto-Ferrajo, et tournant de sombres regards vers le ciel, d'où est parti le coup qui l'a terrassé, nous rappelle la fin d'un des plus fameux persécuteurs du christianisme, de Julien.

On dit que cet empereur, frappé du trait mortel, dans la guerre des Perses, emplit aussitôt sa main de sang, et le jeta en l'air en disant : Tu as vaincu, Galiléen. Napoléon, plus dissimulé que Julien (auquel d'ailleurs nous nous garderons bien de le comparer) ne répète pas la même parole, mais n'exprime-t-il pas le même sentiment avec plus 'de force par son silence, par ces larmes d'une fureur concentrée, par ces sombres regards dirigés vers le ciel ?

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