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UNIVERSEL ET RAISONNÉ

DE MARINE

PAR UNE SOCIÉTÉ

DE SAVANS ET DE MARINS,

SOUS LA DIRECTION DE

A.-S. DE MONTFERRIER

MEMBRE DE L'ANCIENNE SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIque des sciences de paris, de l'ACADÉMIE DES SCIENCES
DE MARSEILLE, de cellE DE METZ, ETC., ETC.

OUVRAGE RENFERMANT DES RECHERCHES HISTORIQUES

SUR L'ORIGINE, LE DÉVELOPPEMENT et l'influence de LA MARINE DES DIFFÉRENTES NATIONS,

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HARVARD
UNIVERSITY
LIBRARY
Jul 27 1976

Govt. Grant

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Toutes les branches du savoir, toutes les connaissances spéciales qui constituent l'art de la navigation, ont été l'objet de nombreux et excellens traités dont l'utilité pratique est sans doute incontestable; mais on doit regretter que cette œuvre soit demeurée incomplète, c'est-à-dire que les diverses parties dont elle se compose n'aient pas été rattachées entre elles par le lien synthétique de l'histoire, et qu'ainsi la grande pensée qui en domine l'ensemble attende encore un interprète.

La MARINE n'a pas d'historien (1).

Aucun grand écrivain n'a considéré sous le point de vue social et philosophique l'influence que la marine a exercée sur la marche progressive de la civilisation, sur la grandeur et les vicissitudes des états, depuis l'enfance, des sociétés jusqu'à nos jours, où cette influence plus puissante encore et plus irrésistible, va décider, peut-être incessamment, des futures destinées du monde. C'est là cependant un des phénomènes sociaux les plus graves et les plus remarquables, et qui sollicite le plus vivement les investigations de l'histoire et les hautes spéculations de la philosophie.

En parcourant la bibliographie, d'ailleurs fort restreinte, de l'histoire de la marine, on est frappé de l'absence totale de ces vues élevées dans les écrivains dont les travaux ont contribué à la former: ou les considérations générales auxquelles ils se sont quelquefois livrés sont dépourvues de toute critique; ou ces considérations s'effacent devant des détails archéologiques, sans intérêt dans cette importante question; ou, enfin, elles se confondent avec des prétentions purement nationales, dont l'appréciation appartient plus à la politique qu'à l'histoire.

Néanmoins il faut reconnaître que ceux de ces ouvrages qui appartiennent au mouvement littéraire du dernier siècle sont empreints, pour la plupart, de ce caractère particulier de loyauté et de conviction qu'une érudition consciencieuse imprime aux œuvres de l'esprit. Les patientes recherches qu'ils

(1) Le mot MARINE est employé ici dans son sens didactique le plus étendu, c'est-à-dire, comme exprimant une généralisation de tous les faits du savoir et de l'histoire relatifs à la navigation.

supposent sont exposées sans ordre et avec peu de sagacité; mais ces recherches, en elles-mêmes, ont une valeur inestimable. C'est le marbre préparé par le praticien et dont le ciseau de l'artiste habile peut faire surgir un chef-d'œuvre.

Malgré les immenses progrès que la critique historique a réalisés de notre temps, il est triste de dire que les travaux récens dont l'histoire de la marine a été l'objet sont loin de mériter un éloge même aussi restreint, quoique importans encore d'ailleurs sous un rapport que nous allons apprécier. Ces travaux n'offrent, en général, que des compositions faciles où le pittoresque des formes et l'idéalisation des faits l'emportent sur la réalité et la gravité de l'histoire. Cependant ces compositions imparfaites, ces ébauches souillées trop souvent par les écarts déplorables de l'imagination, remplissent, jusqu'à un certain point, à l'insu de leurs auteurs et sans doute aussi de leurs lecteurs, une mission sérieuse dans le mouvement général des idées sociales de notre époque. Elles ont produit dans l'esprit des masses, plus curieuses que préparées scientifiquement à honorer la vérité, plus enthousiastes qu'éclairées, une excitation qui aura un jour son utile développement; elles ont, en d'autres termes, réveillé des instincts populaires qui ont besoin d'être généralisés dans le monde, et surtout en France, afin que l'ascendant maritime d'aucune nation ne puisse l'emporter dans le concours où toutes les nations civilisées doivent entrer, pour assurer la paix du monde et la réalisation des grands buts de l'humanité. C'est ainsi que la Providence a souvent daigné faire servir les élémens les plus contradictoires, et les plus opposés dans leur constitution morale, à ses vues augustes sur l'avenir, vers lequel elle conduit la grande famille humaine.

Au début d'un travail destiné spécialement, il est vrai, à des usages pratiques, mais qui doit offrir dans quelques-unes de ses parties l'application de cette méthode philosophique, dont la tendance et le but sont de constituer l'unité dans la science, nous avons d'abord dù constater l'état incomplet des productions historiques, dont la marine a fourni le sujet. Nous ne venons point, dès aujourd'hui, remplir

la lacune importante que nous avons signalée; et dans les vues générales que nous nous proposons d'exposer ici, si nous ne prétendons pas résoudre le problème, nous nous efforcerons du moins de le poser dans des termes assez explicites pour en faciliter l'accès à d'autres.

§ I.

On aurait étudié sans fruit l'histoire du passé, on aurait assisté sans intelligence à l'accomplissement des événemens modernes les plus décisifs et les plus extraordinaires, si, dans la succession des faits qui remplissent ces deux périodes, on n'avait pas vu la MARINE disposer, en définitive, du destin des empires. Toutes les grandes luttes qui ont donné des maîtres au monde ont été des luttes maritimes.

Sans doute, les sociétés subissent, tour à tour, dans le cours des âges, ou des transformations complètes, ou des modifications profondes; sans doute l'élément militaire participe de ces rénovations nécessaires, plus encore que tous les autres élémens de force sociale, car il tient davantage à l'individualité de l'homme; néanmoins on peut conclure du passé à l'avenir, et prévoir que les mêmes causes produisant des effets analogues, c'est par la prépondérance maritime que doit s'établir encore la suprématie politique des états. Mais aujourd'hui cette question implique inévitablement tous les intérêts de l'humanité; nous ne prétendons pas en dissimuler la haute gravité, car nous désirons, au contraire, qu'elle devienne de toutes parts l'objet d'un examen sérieux.

Si ce sont là de simples assertions, arbitrairement énoncées, et non des propositions historiques éminemment rationnelles, elles tomberont devant l'examen rapide auquel nous allons les soumettre, sous le triple point de vue historique, social et politique.

En laissant à des temps moins sérieux que ceux où nous vivons, à des écrivains moins préoccupés que nous des incertitudes de l'avenir, la gloire frivole de rechercher et de déterminer, avec plus ou moins de précision, dans l'obscurité des traditions, l'origine de l'art puissant dont nous venons annoncer que l'histoire authentique importe si essentiellement à la destination humaine, ne dédaignons pas de jeter un regard vers son berceau. Cette origine se confond nécessairement avec celle de tous les arts pratiques qui ont eu pour première inspiration la nécessité, et pour but immédiat l'utilité. Il en a dû être, en effet, de l'architecture navale comme de l'architecture monumentale. Ses premiers essais ont sans doute été abruptes et informes, mais certainement aussi ils ont dû être en harmonie avec les besoins qu'ils ont eu pour but de satisfaire. Çar la spontanéité du génie humain a dù

providentiellement se développer suivant les circonstances sociales où il s'est trouvé placé. C'est ce qu distingue d'une manière si remarquable, dans l'histoire, par les productions instinctives de l'art, d'une part, de l'autre par les créations rationnelles de la science, l'âge des premières migrations des hommes ou de leur dispersion sur le globe, de celui où ils ont fondé des établissemens durables et joui des fruits de la civilisation. La production des arts utiles a été pour ainsi dire individuelle, particulière au sol sur lequel elle est née, et n'ayant aucun caractère d'identité qui lui soit propre, elle se rattache évidemment à une époque de dispersion; les créations de la science, douées au contraire d'un caractère éminent de généralité, ne peuvent se manifester qu'à des époques de civilisation.

Ainsi les premières constructions navales des races humaines qui se sont établies dans le voisinage des mers, n'ont pu ressembler à celles qu'ont exécutées les races méditerranéennes pour traverser les fleuves et les rivières. Les unes et les autres ont eu certainement des buts et des intérêts différens. Et, par une conséquence logique de ces inductions, on peut affirmer que là où des centres de population se sont formés plus tôt, les premiers essais de l'homme dans la construction navale, comme dans tous les arts d'utilité, ont reçu plus immédiatement de notables perfectionnemens. Il est donc impossible de soutenir que la loi du progrès se soit développée partout de la même manière, et que partout, par exemple, le frêle canot du sauvage ait précédé de long-temps la forte et déjà puissante trirème des anciens. La philosophie désespérante qui s'efforce si tristement d'animaliser les nobles facultés de l'intelligence humaine, est complètement en désaccord avec les plus simples notions du bon sens comme avec l'histoire qu'elle est obligée de nier, pour supposer à l'apparition de l'homme sur cette terre une antiquité chimérique, et donner une base quelconque à son absurde système.

Mais laissons ces vagues hypothèses pour entrer dans le brillant domaine des réalités de l'histoire. Il importe peu, sans doute, à la solution de la question soumise en ce moment à notre examen que les premiers essais de constructions navales aient subi des perfectionnemens plus ou moins lents, ou plus ou moins rapides; on ne se trompera pas néanmoins sur l'importance du sens philosophique de cette courte digression. D'ailleurs, s'il était nécessaire de lui donner plus de développemens, ils seraient plus convenablement placés dans une autre partie de ce dictionnaire. (Voy. NAVIGATION.)

Aussitôt que les lumières de l'histoire commencent à pénétrer dans la nuit des vieux temps et à dissiper

les incertitudes des âges héroïques, sur la partie du globe qui paraît avoir été la première habitée et où la douceur du climat et la fertilité du sol durent favoriser les travaux de l'homme, nous trouvons de grandes sociétés assujéties déjà aux doubles liens civilisateurs de la morale et de la politique. L'histoire nous montre, dès lors, de puissans empires et de vastes cités; les hommes n'errent point au hasard sur cette terre, où ils peuvent encore compter les tombeaux de leurs ancêtres. Ils ne disputent point aux bêtes féroces, ils ne s'arrachent pas entre eux une subsistance rare et difficile. Ils participent déjà d'une organisation sociale complète; ils ont des gouvernemens réguliers, des lois, une religion; ils ont le sentiment de la justice et celui des arts; ils observent le cours des astres, et étudient avec une naïve et religieuse admiration les phénomènes de la nature.

Dès cette époque aussi, l'homme ne s'est pas montré satisfait de la seule possession de ses domaines terrestres : il a voulu s'expliquer les admirables lois qui président à l'organisation de l'univers, et pénétrer ainsi jusque dans les cieux ; il a voulu également sonder le redoutable mystère de l'Océan.

Le premier lien qui s'établisse entre l'exactitude historique et la poétique naïveté des traditions populaires, repose sur le souvenir de quelques grandes expéditions maritimes, qui supposent d'ailleurs aussi des moyens de navigation déjà compliqués. Le voyage des Argonautes, ceux d'Hercule, de Thésée, de Pirithoüs, ne sont point des fables proprement dites. Le merveilleux, qui fait jeter des doutes sur la réalité de ces vieux récits, doit être attribué à l'enthousiasme qu'excitèrent dans ce monde naissant le courage et l'audace des premiers navigateurs. Ce dut être, en effet, un grand spectacle que celui où, pour la première fois, des hommes intrépides et guidés par un pressentiment sublime des destinées de leur race et des trésors de la civilisation, se jetèrent sur de frêles esquifs et disparurent sur les flots, aux regards étonnés des multitudes qui les saluaient du rivage! Et quand, après de longs jours, ces héroïques précurseurs de l'avenir du monde reparurent sur ce saint rivage de la patrie, chargés des productions des terres lointaines qu'ils avaient visitées, quel ne dut pas être l'étonnement religieux de ces jeunes sociétés, qui dans leur naïve ignorance ne pouvaient expliquer ces choses merveilleuses sans le concours d'un pouvoir surhumain! Rappelons-nous ici la prodigieuse impression que produisit sur l'ancien continent, aux dernières années du moyen âge, la découverte d'un continent transatlantique, et le retour en Europe de l'illustre Colomb. Comparons les civilisations, les moyens que l'état des

connaissances humaines mettaient à la disposition des navigateurs des deux époques, et cessons de nous étonner du résultat différent qu'ont eu leurs expéditions dans la forme historique, quoiqu'il ait été le même dans les faits.

Il n'est donc pas extraordinaire que les relations historiques de ces antiques et aventureuses expéditions ne soient pas parvenues jusqu'à nous pures de tout mélange avec les idées cosmogoniques et mythologiques de cette époque. Mais dès lors la MARINE est créée et elle s'est manifestée comme le lien puissant qui doit réunir les races humaines dispersées, et qui doit un jour les rétablir dans leur sainte et fraternelle unité.

On suivrait sans doute, dès ce moment, et avec un vif intérêt, les entreprises des navigateurs dans la succession des temps, depuis ces jours reculés jusqu'à ceux où nous vivons et qui sont encore illustrés par les plus glorieuses tentatives. Cette idée, au moins neuve dans l'histoire de la marine et qui implique les développemens les plus remarquables, les rapprochemens les plus curieux, ne nous a point échappé. Mais nous ne pourrions la présenter ici que dans des conditions trop restreintes, et nous essaierons de la réaliser d'une manière plus complète dans le cours de cet ouvrage. (Voy. Découvertes.)

Peu de temps après, sinon à l'époque même où les chronographes placent les faits qui ont donné lieu aux traditions dont nous venons de parler, deux peuples puissans paraissent en possession d'une marine à la fois militaire et marchande. Les Égyptiens et les Phéniciens exécutent d'importantes expéditions maritimes dans le double but de faire des conquêtes et d'agrandir la sphère de leurs relations commerciales. Ces deux peuples se rencontrent souvent sur le chemin des Indes qu'ils se sont ouvert simultanément dans la mer Rouge, incessamment sillonnée par leurs flottes; mais ces deux peuples, doués d'un génie bien opposé, et qui sans doute appartiennent à des races différentes, en cherchant à établir leur grandeur par l'élément maritime, ne poursuivent point évidemment le même résultat.

Les Phéniciens, placés sur une côte étroite et stérile, environnés d'états formidables, qui peuvent les anéantir ou les absorber d'un moment à l'autre, ont à préserver leur nationalité même d'une de ces catastrophes si fréquentes dans l'histoire des empires asiatiques. Ils se bâtissent une ville, non pas auprès de la mer, mais dans la mer même, une ville comme fut depuis Venise, dont la destinée eut avec la sienne une si fatale conformité! la superbe Tyr, construite sur des îlots et des bancs de rochers, ne tient à la terre que par une chaussée stratégique

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