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Paris, à Madrid, à Londres; et partout où seront des hommes susceptibles de s'attendrir sur les malheurs de leurs semblables, on doit apprécier la résolution d'un prince qui a voulu mettre sa gloire à faire cesser ces malheurs, ces saccagemens, ces pillages, ces incendies, ces catastrophes, ce vaste enchaînement d'atrocités et de désastres, suites inévitables du fléau de la guerre.

» On a vu des héros sensibles gémir sur leurs propres trophées; mais tout en pleurant leurs succès ils n'en continuaient pas moins leur sanglante carrière. Napoléon est le premier qu'une pitié profonde pour les malheurs publics ait engagé à s'arrêter sur le chemin de la victoire. Qu'il est digne, messieurs, de commander aux hommes celui qui porte un cœur humain! celui qui sent si vivement que, de tous les fléaux qui peuvent désoler ce globe, la guerre est le fléau que les peuples redoutent et détestent le plus! Comment leurs conducteurs peuvent-ils l'oublier? Quand le ciel commande la paix, quand les nations la désirent, par quelle impiété envers Dieu et les hommes peut-on vouloir la guerre ? La paix est le devoir des rois, puisqu'elle est le besoin du monde.

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Que dis-je, messieurs ! cette paix est bien plus nécessaire encore aux bords de la Tamise qu'à tout le reste de l'Europe. La nation anglaise, si active et si éclairée, qui soumet tout à ses calculs, ne sait-elle donc plus calculer ses vrais intérêts? Si elle veut compter pour le présent et l'avenir, que peut donc lui valoir la prolongation du fléau de la guerre? Que peut-elle gagner à ces calamités qui menacent de l'engloutir, qui n'ont de chances que contre elle, qui peuvent l'entraîner vers sa destruction, tandis qu'elles ne peuvent effleurer la solidité de notre immense territoire? Jamais la France ne s'est vue dans une situation plus tranquille et plus redoutable; jamais elle n'eut moins à craindre des hasards de la guerre ; et lorsque c'est la France qui pourtant propose la paix, on se demande avec surprise quelle est la raison puissante qui porte l'Angleterre à ne pas l'accepter d'abord.

»Une chose est à observer; c'est que dans la réponse à la lettre de l'empereur le cabinet de Londres n'allègue rien qui ait rapport à la nation britannique. La guerre n'a pour les Anglais aucun motif qui leur soit propre. A en croire le lord Mulgrave, leur objet est de maintenir la liberté du continent. Eh! qui donc les en a chargés ? Si cette liberté pouvait être en péril, comment serait-elle affranchie en se mettant sous la tutelle d'un gouvernement insulaire? L'indépendance de la terre serait-elle bien protégée par ceux qui veulent établir la servitude de la mer? N'est-ce pas insulter l'Europe de lui don

ner pour champions ceux qui ont fait pleuvoir leurs bombes sur la ville de Copenhague? ceux qui en pleine paix ont précipité dans la mer quatre navires espagnols? ceux qui ont fait servir le sacré caractère des ministres publics à stipendier des brigands et à payer des assassins? Voilà donc quels vengeurs s'arment pour assurer l'indépendance de l'Europe, qui n'est réellement menacée que par eux! L'Europe serait bien à plaindre si son indépendance ne pouvait se réfugier qu'au sein des îles britanniques; le gouvernement de ces îles serait bien généreux d'exposer ce pays à sa ruine entière pour un objet qui après tout ne le regarde pas. Aucun peuple du continent ne saurait être assez aveugle pour se faire jamais illusion à cet égard; mais les Anglais eux-mêmes seraient-ils fascinés au point de se persuader que leur gouvernement doit s'élancer ainsi hors de sa sphère naturelle pour impliquer leur île et sacrifier ses ressources dans des connexions qui lui sont étrangères?

» Le cabinet de Londres avait besoin de ce fantôme pour compliquer une querelle dans laquelle il est agresseur ; il lui faut un prétexte pour appeler à son secours des puissances intervenantes. Mais le traité d'Amiens n'a pu être conclu qu'entre la France et l'Angleterre; les bases du traité d'Amiens sont les seuls fondemens de la transaction à faire entre les deux états. Ce serait vouloir tout confondre d'appeler à l'arrangement de ces difficultés des princes qui n'y ont aucune espèce d'intérêt ; ces princes, n'étant pas en guerre avec la France, n'ont pas besoin sans doute pour s'entendre avec elle de choisir pour leur interprète une partie belligérante, surtout quand celle-ci persiste à repousser toute idée d'accommodement pour son propre compte. Avant d'être arbitre pour d'autres, il convient de régler soi-même ses propres différends. Ce n'est pas l'Europe que nous avons affaire: l'Europe ne veut pas la guerre, et nous ne voulons que la paix.

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» Ah! loin de défendre l'Europe, la résolution du cabinet de Londres est une attaque à tous les peuples de toutes les parties du monde. Qui fait la guerre sans sujet, qui persiste à guerre quand il a pu faire la paix, nuit à toutes les nations, même à celles qui ne sont pas les objets directs de ses armes. La guerre trouble leur commerce, détruit leurs subsistances, empêche leur bonheur, inquiète leur sûreté. L'auteur d'une pareille guerre est l'ennemi du genre humain ; il donne à tous les peuples le droit de le maudire, et celui de se réunir soit pour le réprimer, soit pour lui arracher la puissance dont il abuse.

» Mais ce n'est point d'ici que peut jamais partir ce vœu féroce d'une guerre d'extermination, ce vœu d'anéantir um

peuple, ce vœu que l'on nous a trop souvent adressé de l'autre côté de la Manche. Nous pouvions y répondre par la conclusion des opinions de Caton dans le sénat de Rome; mais la ruine de Carthage n'est point l'objet que se propose notre grand empereur; sa gloire est de fonder, et non pas détruire.

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Quoique l'armée française brûlât du désir de punir les violateurs de la paix, elle suspendait son courroux à la voix souveraine de S. M. I.

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Cinq cent mille hommes sous les armes, accoutumés à vaincre quand Napoléon les dirige, attendaient impatiemment le moment du départ et le signal de la vengeance. Mais après avoir longtemps contenu leur indignation, après avoir tout épuisé pour arrêter encore le gouvernement britannique aux bords du précipice où son aveuglement jette sa nation, si S. M. I. est réduite à donner ce signal si terrible, malheur, malheur à ceux qui n'auront pas voulu entendre ses conseils pacifiques! Que le sang qui sera versé retombe sur leurs têtes! qu'ils répondent à leur pays d'en avoir causé la ruine! que la voix de l'Europe entière dépose hautement contre eux! que leur mémoire soit livrée aux imprécations de la postérité! Enfin, que le juge suprême des peuples et des rois leur fasse expier les trépas de tant de valeureux guerriers, les alarmes de tant de mères, le désespoir et les souffrances de tant d'innocentes victimes, que la lettre de l'empereur avait pour objet de sauver!

» Mais que l'empereur soit béni! qu'il soit l'objet de nos hommages et de notre reconnaissance! qu'il soit récompensé par l'amour du peuple français ! On admire en lui le héros; on vénère comme on le doit le grand législateur; mais c'est le pacificateur qui doit être adoré. Déjà plus d'une fois il a mérité par le fait ce titre, le premier de tous : il l'obtient encore aujourd'hui par une intention dont la persévérance est un trait de son caractère, et dont, quelle que soit l'issue de cette guerre, l'humanité lui tiendra compte. Nos armes étaient légitimes; maintenant elles sont pieuses. Notre cause était juste; dorénavant elle est sacrée. L'opinion du monde entier ne peut plus être corrompue. Quiconque aura lu cette lettre au roi de la Grande-Bretagne fera des voeux pour les succès du grand prince qui l'a écrite; il suffira d'être homme pour être un de ses partisans. Qu'on juge à plus forte raison de ce surcroît d'enthousiasme qui va précipiter au milieu des batailles et sur toutes les mers le vol rapide de nos aigles, et enflammer encore cette ardeur martiale de nos invincibles soldats!

>> Dans plusieurs grandes circonstances le Sénat, le peuple et l'armée ont déjà réuni leurs vœux pour S. M. I. Sans doute

elle doit compter sur eux plus que jamais. C'est la voix de la France qui s'élève, et qui assure à l'empereur, pour la vie et pour la mort, la fidélité du Sénat, l'attachement du peuple et le dévouement de l'armée !

» Messieurs, le monde entier le sait, la France s'était reposée sur le traité d'Amiens. Elle ne voulait pas la guerre ; elle est en paix avec l'Europe; elle serait en paix avec l'Angleterre elle-même si le cabinet britannique n'eût pas déchiré sur le champ le pacte respectable qu'il venait de signer. La nation française n'aura ici qu'un sentiment.

» Or c'est à vous, messieurs, d'être les premiers interprètes du sentiment national. Pour remplir ce devoir sacré, la commission vous propose le projet d'arrêté suivant :

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« Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrits par l'article go de l'Acte des Constitutions de l'Empire en date du 22 frimaire an 8;

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Après avoir entendu le rapport qui lui a été fait

par sa

» commission spéciale, nommée dans la séance du 15 de ce mois, sur la communication donnée au Sénat dans la même » séance par le ministre des relations extérieures au nom de » l'empereur ;

» A d'abord arrêté de supplier S. M. I. d'agréer les respec» tueux remercîmens du Sénat pour la communication qu'elle fait donner par son ministre.

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lui a

» Sur cette communication, le Sénat considérant :

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Qu'après avoir déjà triomphé de tant de manières des fac>>tions intérieures et des ennemis du dehors, l'empereur vient » de remporter encore un triomphe plus éclatant, et peut-être plus difficile, en s'élevant au dessus des ressentimens natu>> rels que devaient inspirer à son cœur tant d'attentats et » tant de haines, et en proposant la paix en faveur de l'humanité par sa lettre du 12 nivose à S. M. britannique;

"

"

Arrête que la copie de cette lettre sera consignée dans ses registres comme un monument glorieux pour le prince qui » l'a écrite, et pour la nation qu'il gouverne.

"

» Considérant ensuite que cette proposition, faite dans le » moment où la France est dans la situation la plus redou» table, n'a obtenu des ennemis qu'une réponse qui paraît » éluder tout projet de conciliation;

» Le Sénat déclare que l'empereur doit compter dans cette » guerre sur tout son zèle, comme il doit compter sur la fidéLité du peuple et de l'armée. » (Adopté. )

IV.

RÉUNION DE LA COURONNE D'ITALIE AU TRONE IMPÉRIAL.-investiture de M. le sénateuR BACCIOCHI

DANS LA PRINCIPAUTÉ DE PIOMBINO, AVEC LE TITRE DE PRINCE FRANÇAIS.

(Voyez tome XVII, page 377, le discours que Bonaparte prononça à Lyon comme président de la république italienne.)

Audience solennelle donnée par l'empereur au viceprésident, aux membres de la Consulte et aux députés de la république italienne. Au palais des Tuileries, le 26 ventose an 13. (17 mars 1805.)

DISCOURS de M. Melzi, vice-président de la république italienne.

་ Sire, vous m'avez ordonné de réunir la Consulte d'état et la députation de la république italienne, et de les inviter à prendre en considération l'objet le plus important pour ses destinées présentes et futures, la forme de son gouvernement. J'ai l'honneur, Sire, de vous présenter, dans le résultat de son travail, le vœu qu'elle a formé.

» La première considération, qui a d'abord entraîné tous les esprits, a amené l'Assemblée à la conviction qu'il était impossible de conserver plus longtemps la forme actuelle, sous peine de rester bien en arrière dans la marche rapide des événemens qui caractérise l'époque dans laquelle nous vivons.

» La Constitution de Lyon avait tous les caractères du provisoire; ce ne fut qu'un ouvrage de circonstance, un système constitutionnellement trop faible pour répondre aux vues de durée et de conservation. L'urgente nécessité de le changer est démontrée à la réflexion comme elle est généralement sentie.

» En partant de ce point tout était simple: le système d'une monarchie constitutionnelle nous était indiqué par les progrès des lumières et par les résultats de l'expérience; le monarque, par tous les sentimens de la reconnaissance, de l'amour, de la confiance.

» Sire, dans un pays que vous avez conquis, reconquis, créé, organisé, gouverné jusqu'ici, dans un pays où tout rappelle vos exploits, tout atteste votre génie, tout respire vos

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