Page images
PDF
EPUB

MOTIFS du senatus-consulte organique portant réunion de Gênes à l'Empire français, et contenant sa division en départemens, la fixation du nombre de ses députés, etc.; présenté au Sénat par M. Regnault (de Saint-Jean-d'Angely), conseiller d'état, le 13 vendémiaire an 14 (5 octobre 1805), en séance présidée par le grand électeur, prince Joseph. (1)

"

« Monseigneur, le respect des gouvernemens pour le droit des gens est la seule garantie de l'existence et de l'indépendance des petits états; ils fleurissent sous sa protection, comme le faible est heureux et libre dans les empires bien constitués sous la protection de la loi civile.

[ocr errors]

» Mais lorsque les principes du monde civilisé sont méconnus, alors les états trop faibles pour résister à la violence pour repousser les agressions, pour défendre leur territoire, pour faire respecter leur pavillon, sont obligés, par le sentiment de leur impuissance et par le besoin de leur conservation, de s'agréger à un état plus étendu, plus fort, qui lès couvre de sa protection, et les défende par sa puissance.

» C'est ce qui est arrivé, messieurs, à la république Ligurienne. Déchue de son antique splendeur, réduite par la force des événemens successifs à son territoire européen, privée depuis longtemps du commerce immense qui la fit fleurir, dépouillée des places et comptoirs qu'elle occupa jadis en Afrique et en Asie, Gênes ne pouvait plus être défendue que par le droit des nations et la justice des gouverneniens.

"

le droit des

Mais cette république avait en même temps pour ennemis les puissances barbaresques et l'Angleterre ; elle n'était conséquemment défendue ni par gens ni par la justice. » Dans son port neutre, alors sous le canon impuissant de ses batteries, sous les yeux de ses citoyens indignés, de son gouvernement opprimé, des vaisseaux français ont été attaqués et pris, leurs équipages massacrés ou mis aux fers.

"Exilée des ports qu'elle souille par des violations inouïes, l'Angleterre se venge aujourd'hui en les fermant à toutes les

(1) Napoléon, alors à l'armée, avait délégué à son frère la présidence suprême du Sénat, comme un garant que son absence ne retardérait en rien la marche des affaires.

nations commerçantes; elle exerce ce prétendu droit de blocus par lequel elle met en interdit les côtes et les mers où l'on méconnaît sa domination.

» Le pavillon gênois ne pouvait donc se montrer dans la Méditerranée sans être la proie ou des flottes anglaises ou des corsaires barbaresques; et ses marins gémissaient dans les prisons d'Angleterre ou dans les bagues d'Alger et de Tunis.

» Nul vaisseau neutre n'osait risquer de se destiner pour ce pays malheureux, et les objets de première nécessité comme les objets de commerce, devenus rares d'abord, pouvaient d'un moment à l'autre cesser d'y aborder.

» D'un autre côté la culture d'un territoire peu étendu ne pouvait fournir à la subsistance, et les lois des douanes de l'Empire, protectrices du commerce, favorables aux consommateurs français, interdisaient aux Gênois l'usage des ressources qu'invoquaient inutilement leurs besoins, trop parcimonieusement satisfaits par des concessions et des facilités accordées par la France à ses alliés au préjudice du commerce de Nice et de Marseille.

C'est dans cet état de choses, messieurs, que le peuple gênois a tourné vers la nation française des regards d'espérance, et s'est flatté de renaître sous sa protection au repos et au bonheur.

» Le Sénat ligurien, interprète du vou des citoyens, a consigné dans ses registres celui qu'il avait recueilli de l'opinion publique.

» Bientôt il a pu s'assurer qu'il l'avait bien entendu; qu'il ne s'était pas mépris dans le sens qu'il lui avait donné, puisque quatre-vingt mille signataires, c'est à dire le sixième de la population entière de la Ligurie, c'est à dire les habitans inscrits sur les registres civiques, archevêques, évêques, prêtres, membres des universités, militaires, marins, citoyens, tous enfin, hors trente-six, ont ratifié le vœu de réunion à la France.

» Ce vœu, messieurs, a été déposé au pied du trône de sa Majesté à Milan, le 4 juin (15 prairial dernier), par une députation du Sénat et du peuple de Gênes, ayant le doge à sa tête.

» Sa Majesté l'a accueillie; elle a promis la réunion désirée par le peuple entier de la Ligurie; et vous allez, messieurs " consacrer cette promesse par le senatus-consulte que Sa Majesté nous a ordonné de vous apporter.

[ocr errors]

Déjà ce pays, que les aigles françaises couvrent depuis quelques mois de leurs ailes tutélaires, jouit des effets de leur puissance protectrice.

>> Une escadre défend ses côtes contre les Anglais, et a fait respirer son commerce.

» Son port, franc, appellera bientôt tous les navigateurs, et redeviendra un dépôt de toutes les consommations de l'Italie et d'une partie des richesses territoriales de la France.

» Les Barbaresques n'attaquent plus ses vaisseaux, où flotte un pavillon respecté.

» Les bagnes de l'Afrique se sont ouverts; les fers des Gênois qui y étaient renfermés ont été brisés; nos vaisseaux rédempteurs les ont ramenés dans leur patrie, et rendus à leur famille.

» Les lois civiles françaises y sont publiées, et y font sentir leurs bienfaits.

» Les tribunaux, régénérés, y rendent avec sagesse et impartialité des jugemens que le gouvernement fait exécuter avec fermeté et avec rigueur.

[ocr errors]

ou

La propriété y est respectée, et les brigands qui infestaient son territoire se cachent devant la police sévère, tremblent devant la justice inflexible.

» Les produits du commerce, de l'industrie ou de la culture ligurienne franchissent les Apennins et les Alpes, et les barrières des douanes françaises, enlevées, laissent arriver en échange tous les approvisionnemens nécessaires à la vie, et toutes les matières premières réclamées par l'industrie et les

arts.

[ocr errors]

Le territoire ligurien, qui formait la frontière maritime de nos départemens au delà des Alpes, fondu avec ces départemens, qui lui étaient nécessaires, et auxquels il sera utile, est amalgamé avec le territoire français, et jouit déjà des avantages d'une administration plus forte, plus habile, plus exer

cee.

» Sa Majesté a désigné des citoyens distingués parmi ces nouveaux Français pour siéger au Sénat et au conseil de l'Empire.

» Il ne reste plus qu'à appeler au Corps législatif un nombre de députés proportionné à la population des départemens

réunis.

» Le senatus-consulte que nous vous présentons, messieurs assurera à la Ligurie devenue française, à la Ligurie, que nous appelons de ce nom pour la dernière fois, tous ces avantages. »Il consacre son incorporation avec le grand peuple.

» Il détermine sa division en départemens, en fixe les limites d'après les convenances, les rapports de localité, de nours ou d'intérêts, en modifiant, pour y mieux satisfaire l'ancienne formation du département de Marengo, en supprimant entièrement celui du Tanaro.

n

Il règle d'après la population le nombre des députés á élire pour le Corps législatif. (1)

Il assure leur nomination prompte, et leur entrée pour la session de l'an 14.

» Il assigne la série où doit être classé chaque département, et par conséquent fixe l'époque du renouvellement des députés. Enfin, il place Gênes à son rang parmi les grandes cités de l'Empire.

[ocr errors]

» Votre décret, messieurs, rendra irrévocable ce pacte solennel sollicité par un peuple entier, librement voté par tous ses citoyens, consacré par leurs sermens; ce pacte qui sera garanti par la justice, justifié par le bonheur, et défendu par la victoire. »

(Suivait le projet de senatus-consulte, adopté le 16 du même mois (vendémiaire 'an 14), sur un rapport fait par M. Demeunier, organe d'une commission spéciale composée de MM. les sénateurs Chaptal, Garat, Lacépède, Roederer, et le rapporteur.)

De la principauté de Lucques.

Le 24 juin 1805 ( 5 messidor an 13), à Bologne, une députation de la République de Lucques, ayant à sa tête le gonfalonnier, reçut une audience de l'empereur et roi.

DISCOURS de M. Belluomini, gonfalonnier.

Sire, l'expérience de quelques années, si fécondes dans une grande partie de l'Europe en événemens extraordinaires et mémorables, a produit au milieu de ces tristes leçons de grands avantages pour la société, en éclairant les peuples sur leurs intérêts et sur les formes de gouvernement les plus convenables à leur position.

Le peuple lucquois, après avoir été agité dans les siècles passés par toutes les factions, par toutes les ambitions, qui se disputaient l'autorité; après avoir eu alternativement à gémir des excès du pouvoir arbitraire d'un tyran, ou du malheur de voir tous les talens, toutes les émulations comprimés par l'établissement d'une aristocratie contraire au vœu du peuple comme à ses intérêts, avait eu dans ces derniers temps une constitution plus populaire, mais trop faible, trop incertaine pour rallier tous les citoyens, pour consolider le gouvernement, pour lui donner quelque garantie de l'avenir.

(1) Le département de Gênes quatre députés, celui de Montenotte trois, et celui des Apennins deux.

Dans la vue d'échapper aux malheurs d'un gouvernement arbitraire, à ceux d'une aristocratie concentrée dans quelques familles, aux inconvéniens d'une démocratie incertaine dans ses opérations et dans toutes ses vues, nous avons d'un commun accord, gouvernement, Corps législatif, citoyens, anciens nobles, artisans, le peuple entier, reconnu la nécessité d'un gouvernement constitutionnel et libre, remis entre les mains d'un prince qui, par ses alliances et sa position, nous arrache aux dangers de notre isolement et de notre faiblesse, puisse nous assurer le respect de nos voisins, et nous donner la garantie et la conviction de notre indépendance.

» Un prince allié de Votre Majesté peut seul assurer à notre patrie tous ces avantages: c'est là que nous trouvons la puissance qui nous environne, et qui ne voudra que nous protéger; c'est là qu'est la garantie des principes qui, même au milieu des agitations politiques, ont toujours guidé nos pères, qui sont nécessaires à notre position, et pour la conservation des→ quels nous avons, d'un consentement unanime, résolu de profiter du moment où Votre Majesté impériale était près de nos contrées pour la prier de fixer notre sort.

» J'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté les actes constitutionnels qui expriment les vœux des Lucquois, et les registres de leurs signatures. Le gouvernement, qui voit de plus près les besoins de l'État, a le premier émis son vœu; le Corps législatif non seulement s'est empressé de l'adopter, mais chacun de ses membres a voulu le souscrire personnellement. Votre Majesté verra dans la multitude des signatures des citoyens de toutes les classes avec quel empressement ils se sont portés à exprimer individuellement les sentimens de leur cœur, sentimens qui ne pouvaient se manifester d'une manière plus libre, plus spontanée, plus dégagée de toute influence étrangère.

» Si jamais commission publique m'a paru honorable et flatteuse, c'est sans doute, plus que toute autre, celle où il m'est permis d'offrir à Votre Majesté impériale et royale l'hommage de la vive et respectueuse reconnaissance du peuple lucquois; et je ne puis qu'envisager comme le plus heureux moment de ma vie celui où, appelé par le vœu public à remettre à des mains qui vous sont si chères les destinées de ma patrie, je vois s'ouvrir devant elle un avenir plus brillant et plus fortuné. L'indépendance de Lucques sera protégée, Sire, par votre bienveillance envers elle, par le voisinage de vos états, par sécurité que lui donnent votre appui et votre gloire; son bonheur va se trouver associé à celui d'une partie de votre auguste famille. S'il fallait à mon pays une nouvelle garantie de son

la

« PreviousContinue »