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qu'il est difficile de caractériser, mais qui, à ne considérer que son objet apparent, pouvait être regardée comme oiseuse et puérile. L'empereur de Russie avait fait demander des passeports pour l'un de ses chambellans, qu'il était dans l'intention d'envoyer à Paris. L'empereur ignorait quelles étaient les vues du cabinet de Pétersbourg; elles ne lui furent jamais officiellement communiquées; mais, toujours prêt à saisir tout ce qui pouvait conduire à un rapprochement, il avait accordé les passe-ports, sans délai comme sans explication. Toute l'Europe sait quel était le prix de sa déférence. L'empereur apprit ensuite par des voies indirectes, et aussi par les bruits qui s'en sont répandus en Europe, que le dessein de la cour de Russie avait été d'essayer par des pourparlers de faire goûter à Paris un système de médiation fort étrange, d'après lequel elle aurait à la fois stipulé pour l'Angleterre, dont elle avait, disait-elle, les pleins pouvoirs (ce qui prouve jusqu'à quel point l'Angleterre était sûre d'elle), et négocié pour son propre compte; de sorte que, médiatrice de nom, elle aurait été partie de fait, et à deux titres différens. Tel était le but de l'intervention que la Russie avait projetée, et à laquelle elle avait elle-même renoncé, sans doute parce que la réflexion lui en avait fait sentir l'inconvenance. Or c'était précisément cette même intervention les bons offices de l'Autriche auraient eu pour objet de reproduire. Il n'était pas vraisemblable que la France se laissât placer dans une situation où ses ennemis réels, sous le doux nom de médiateurs, osaient se flatter de lui imposer une loi dure et outrageante; mais le cabinet de Vienne, sans espérer peut-être que ses bons offices pussent être acceptés, trouvait un grand avantage à les offrir, celui d'abuser plus longtemps la France, de lui faire perdre du temps et d'en gagner lui-même.

que

» Enfin, levant le masque, l'Autriche a, dans une réponse tardive, manifesté par son langage ce qu'elle avait annoncé par ses préparatifs; aux représentations de la France, elle a répondu par des accusations. Elle s'est faite l'apologiste de l'Angleterre; et, annonçant qu'elle ouvrait ses états à deux armées russes, elle a avoué hautement le concert dans lequel elle est entrée avec la Russie en faveur de l'Angleterre.

» Cette réponse de la cour de Vienne; pleine à la fois d'allégations injurieuses, de menaces et d'astuce, avait dû naturellement exciter l'indignation de l'empereur; mais, à travers ces injures et ces menaces, croyant entrevoir quelques idées qui semblaient permettre d'espérer qu'un arrangement serait encore possible, l'empereur fit céder sa fierté naturelle à des considérations toutes puissantes sur son cœur.

» L'intérêt de ses peuples, celui de ses alliés et de l'Allemagne, qui allait devenir le théâtre de la guerre ; le désir aussi de faire quelque chose d'agréable pour un prince qui, repoussant avec une honorable constance les insinuations, les instances, les offres tant de fois réitérées de l'Angleterre et de ceux qu'elle avait séduits, s'était montré toujours prêt à concourir par ses bons offices soit au rétablissement, soit au maintien de la paix; tous ces motifs portèrent l'empereur à faire taire'ses justes ressentimens. Il se détermina à demander à la cour de Vienne des explications qui fissent connaître les bases sur lesquelles on pourrait négocier. Il ordonna au ministre des relations extérieures de préparer une note à cet effet: le courrier qui devait la porter était au moment de partir lorsque l'empereur apprit l'invasion de la Bavière.

» L'électeur avait été sommé de joindre son armée à celle de l'Autriche, et comme si son refus prévu de faire cause commune avec l'Autriche, dont il n'a jamais reçu que du mal contre la France, dont il n'a jamais reçu que du bien, eût été pour la cour de Vienne un juste motif de guerre, l'armée autrichienne, sans déclaration préalable, au mépris des devoirs. qu'imposent à l'empereur d'Autriche sa qualité d'empereur d'Allemagne, au mépris de la constitution germanique et de l'empire germanique lui-même, au mépris enfin de tous les droits les plus saints, avait passé l'Inn, et envahi la Bavière en pleine paix.

que

» Après un tel acte de la cour de Vienne, l'empereur ne pouvait plus rien avoir à lui demander. Il devenait évident ce même congrès, proposé d'un ton si impérieux, et dans des vues si visiblement hostiles contre la France, n'était qu'un nouveau piége tendu à sa bonne foi; que l'Autriche, irrévocablement décidée à la guerre, ne reviendrait point à des idées pacifiques, et qu'elle n'était même plus libre d'y revenir. Les changes de toutes les places prouvaient jusqu'à l'évidence qu'une partie des sommes accordées au ministère anglais pour servir à ses fins sur le continent était arrivée à sa destination, et la puissance qui avait ainsi trafiqué de son alliance ne pouvait plus épargner le sang de ses peuples, dont elle venait de recevoir le prix.

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Toute explication ultérieure avec la cour de Vienne étant ainsi devenue impossible, la voie des armes est désormais la seule compatible avec l'honneur.

Que l'Angleterre s'applaudisse d'avoir enfin trouvé des . alliés; qu'elle se réjouisse de ce que le sang va couler sur le continent; qu'elle se flatte que le sien sera épargné; qu'elle espère trouver sa sûreté dans les discordes des autres états! Sa

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joie sera de courte durée; son espérance sera vaine, et le jour n'est pas éloigné où les droits des nations seront enfin vengés ! L'empereur, obligé de repousser une agression injuste, qu'il s'est vainement efforce de prévenir, a dû suspendre l'exécution de ses premiers desseins. Il a retiré des bords de l'Océan ses vieilles bandes tant de fois victorieuses, et il marche à leur tête. Il ne posera les armes qu'après avoir obtenu satisfaction pleine et entière, et sécurité complète, tant pour ses propres états que pour ceux de ses alliés.»

MOTIFS du projet de senatus-consulte relatif à la levée de quatre-vingt mille conscrits; exposés par M. Regnault ( d'Angely), orateur du gouvernement. (1)

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Sire, les aigles de vos armées allaient traverser les mers; les violateurs du traité d'Amiens, tourmentés par le reinords, agités par la crainte, allaient être punis par votre justice; encore quelques jours, et la liberté des mers pouvait être conquise pour le monde dans le siége même de la tyrannie des mers.

Mais voilà qu'un autre parjure appelle Votre Majesté à d'autres combats. Au mépris de la foi jurée à Lunéville, l'empereur d'Allemagne menace l'Empire français; il fait marcher contre vos frontières ses propres troupes, et des troupes russes, débris de celles que Votre Majesté a vaincues ou renvoyées sans rançon, recrutées par des hommes sans patrie, et payées par les subsides de l'Angleterre.

» Votre armée, Sire, formée des mêmes légions qui ont vaincu les Autrichiens et les Russes, complétée par des citoyens français pris dans toutes les classes comme dans toutes les parties de l'Empire, votre armée, dont la composition accroît la force, dont le dévoueinent à votre personne double l'énergie ; votre armée, qui sait sentir et penser comme elle sait se battre, dont l'indignation augmenterait la valeur s'il était possible; votre armée suffit pour combattre et vaincre; et la diversion si chèrement payée par l'Angleterre n'aura fait que retarder son humiliation et changer le champ de vos premiers triomphes.

» Mais si, se préparant d'un côté à combattre la Grande

(1) La proposition de mettre la conscription de 1806 à la disposition du gouvernement avait été faite à l'empereur par le ministre de la guerre, M. Berthier; M. Daru avait été immédiatement chargé d'en faire un rapport au Conseil d'état. Les motifs exposés par M Regnault sont puisés dans les rapports de MM, Berthier et Daru. Ce dernier était conseiller d'état depuis le mois de messidor an 13.

Bretagne, et se confiant de l'autre dans la fidélité de ses alliés ; se reposant peut-être sur le sentiment éclairé de leurs intérêts, qui leur conseillait du moins la neutralité, Votre Majesté n'a pas grossi son armée, et n'en a pas préparé par des levées extraordinaires le recrutement complet et successif, d'autres circonstances commandent d'autres mesures.

» Dans les années qui ont suivi la paix, comme dans les années qui ont suivi la guerre, Votre Majesté n'a appelé aux drapeaux que la même quantité de conscrits; elle a voulu laisser le plus grand nombre d'hommes possible à l'agriculture et aux arts: aujourd'hui, Sire, votre sagesse veut que la jeunesse française se prépare à payer à la patrie sa dette tout entière, et même avant l'époque où elle en réclamait l'acquitte

ment.

» Les orateurs de votre conseil demandent par votre ordre aux sages de l'Empire d'armer le génie d'une partie plus considérable de la force de la nation, et d'ordonner pour l'an 1806 une levée de quatre-vingt mille conscrits.

» Plusieurs raisons ont porté Votre Ma, esté à penser que le Sénat devait décréter cette mesure.

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» La levée de la conscription a été à la vérité ordonnée jusqu'à ce jour par des actes du Corps législatif.

» La proposition qui est déférée au Sénat n'intervertira pas l'ordre, ne détruira pas l'usage suivi jusqu'à présent; elle y formera seulement une exception que les circonstances justifient.

» Et d'abord, quand Sa Majesté s'éloigne pour mener ellemême ses légions à la victoire, sa prudence lui prescrit de préparer, d'assurer avant de quitter le centre de l'Empire tous les moyens de succès que sa sagesse a conçus; les délais nécessaires à la convocation du Corps législatif retarderaient des mesures auxquelles l'intervention du Sénat garantit une célérité devenue nécessaire.

» Secondement, le changement de calendrier prolonge l'exercice de l'an 14, qui sera le même que celui de 1806, jusqu'au 1er janvier 1807, et il sera composé de quinze mois. Il en résulte le besoin d'un changement dans l'époque de la conscription de l'an 15.

»En suivant la règle de division de l'année à laquelle la France vient de renoncer, cette conscription ne devrait comprendre que les jeunes gens qui auront atteint, le 22 septembre 1805, dernier jour de l'an 14, l'âge de vingt ans.

»Pour régulariser cette partie comme les autres branches d'administration publique, la conscription de l'an 14, ou 1806, doit enfin comprendre les jeunes gens qui auront vingt ans

du 23 septembre 1806 au 31 décembre de la même année, afin que cette levée s'opère sur les conscrits de quinze mois, et que la levée suivante puisse compter du 31 décembre 1806 au 31 décembre 1807, et ainsi de suite d'année en année.

» Votre Majesté a jugé que l'intervention du Sénat rendrait cette régularisation plus solennelle.

» Troisièmement, les conscrits se trouveront cette fois appelés avant l'âge de vingt ans, d'après ce que je viens d'exposer; et cette détermination nécessaire, mais qui, par cela même qu'elle est extraordinaire, ne doit pas être dans la législation de la conscription, doit être décrétée par le corps qui a reçu la mission de pourvoir aux cas imprévus, aux besoins urgens de l'Empire.

>> Quatrièmement enfin, tout ce qui touche à l'appel des conscrits de l'an 15, qui sera l'an 1806, même ce qui était du domaine de la loi, comme la confection des tableaux, sera fait par des décrets impériaux, et cette utile dérogation au droit commun doit encore être l'ouvrage du Sénat.

» Parlerai-je à présent, Sire, de la prudence qui ordonne, et du zèle qui exécutera, et du dévouement qui facilitera, et dų succès qui suivra cette nouvelle levée de la jeunesse française ?

» Sire, Votre Majesté l'a déclaré dans son conseil, vos armées ont dès cet instant en hoinmes, en armes, en munitions, tous les moyens de triompher de l'attaque inopinée, de la déloyauté mal avisée de vos ennemis.

» Une ligue plus nombreuse et plus redoutable se forma naguère contre la France, et ces armées alliées, grossies, enflées comme les vagues dans la tempête, se sont brisées comme elles contre les digues que nos bataillons, dirigés et guidés par vous, leur ont opposées.

» Lesentiment aveugle et froid d'une obéissance passive menera au combat les troupes que rassemblent nos ennemis; le sentiment éclairé et brûlant de l'amour de leur patrie et de leur monarque précipitera les soldats français au milieu des périls.

» Les chefs des puissances et des armées étrangères, séparés d'intérêts entre eux, s'unissent un moment dans des traités pour se diviser ensuite sur leur exécution. D'accord dans leurs cabinets, ils le sont rarement durant la campagne, et plus rarement encore leurs généraux s'entendent sur le champ de bataille.

» En France, au contraire, aux conseils et aux armées un seul esprit unit toutes les âmes, confond tous les intérêts, associe toutes les forces, conçoit toutes les ressources, crée tous les moyens, prévoit toutes les difficultés, dispose de toutes les

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