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à ses yeux; c'est au moyen d'un tel appât qu'une cour imprudente a consenti à vendre aux querelles d'autrui le sang de ses sujets; c'est pour un peu d'argent qu'elle a bien voulu se charger de tous les torts de l'Angleterre, et c'est pour sauver l'Angleterre que l'Allemagne est écrasée par son propre em

pereur.

» Vous avez entendu, messieurs, dans la séance impériale tenue hier matin, la révélation de cet incroyable mystère, enseveli depuis neuf mois dans les profondeurs ténébreuses d'une diplomatie qui s'est crue bien adroite parce qu'elle a pu réussir à en imposer un moment à la candeur d'une grande âme. Elle épiait l'instant où les flots de la mer devaient porter bientôt Césaret sa fortune; et pendant qu'elle prodiguait des protestations de paix elle faisait entrer les Russes sur ses terres, et ses propres troupes entraient sans déclaration sur les terres d'un électeur qui est un de nos alliés.

» Vous vous ressouvenez, messieurs, que très longtemps notre empereur a refusé de croire à tant de perfidie; il disait hautement qu'elle lui semblait impossible, et qu'il mettrait sa gloire à être pris au dépourvu; paroles mémorables, que l'histoire doit recueillir! Elles n'ont été que trop vraies; mais ceux qui s'applaudissent d'avoir cru tromper l'empereur se sont bien plus trompés eux-mêmes. De fausses notions sur l'état de la France ont pu les aveugler; mais qu'ils seront désabusés ! J'en atteste, messieurs, l'émotion profonde avec laquelle vous avez tous entendu dans cette enceinte et le discour de l'empereur, et le rapport de son ministre, et les communications qui ont rendu cette séance si remarquable et si auguste. Dès hier vous vous êtes empressés de placer au bas du manifeste impérial le témoignage motivé de l'assentiment unanime de tous les membres du Sénat. En s'adressant à vous, messieurs, S. M. impériale a parlé au peuple français; vous avez répondu au nom de ce grand peuple; votre décret sera scellé par son suffrage et par ses acclamations; il le sera surtout par l'exécution facile et spontanée de ces mesures de prudence que l'empereur a cru devoir vous proposer de revêtir de votre sanction. Les senatusconsulte dont les projets vous sont soumis ne sont qu'un appel régulier au patriotisme, à l'honneur, à la bravoure des Français. » Patriotisme! honneur! bravoure idoles de la nation, source constante de sa gloire, ressorts puissans de son génie mobiles de tous ses succès! Celui qui vous réclame est ce même héros dont le premier mérite, parmi tant d'autres qualités, a été d'avoir su connaître l'esprit national. Ah! c'est à lui surtout qu'il appartient de l'invoquer! A cette voix toute puissante se répétera le prodige dont se vantait jadis ce célèbre

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Romain à qui il suffisait de frapper la terre du pied pour en faire sortir des légions.

» N'en doutons pas, messieurs, elle retentira dans tous les cœurs français cette phrase sublime du discours prononcé hier par l'empereur! Oui, le peuple français voudra toujours être ce qu'il était lorsque, sur un champ de bataille, le premier il le salua du nom de grand peuple!

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Messieurs, votre commission spéciale m'a chargé de vous proposer d'adopter les deux projets de sénatus-consulte. » (Adoptés dans la méme séance. ).

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A ces mesures s'en joignaient d'autres, prises directement par le chef de l'Etat : les conscrits de réserve des années précédentes étaient mis en activité ; les anciens soldats retirés par congés, mais encore en état de servir, étaient rappelés sous les drapeaux avec des avantages particuliers; la marche des troupes, la disposition des camps, la distribution des commandemens, le transport des munitions, etc., tout était ordonné, et déjà prêt pour l'entrée en campagne. L'empereur quitta Paris le 2 vendémiaire : il était accompagné de l'impératrice. Ce même jour des conseillers d'état se rendirent par son ordre au Tribunat pour y faire les communications que le Sénat avait reçues la veille. Le Tribunat les renvoya à l'examen d'une commission. Un rapport eut lieu le 4, dont les conclusions, vivement appuyées et même encore développées par un grand nombre d'orateurs, portaient qu'une adresse serait faite à Sa Majesté pour lui exprimer l'indignation que ses fidèles sujets les membres du Tribunat ont éprouvée à la nouvelle des démarches hostiles de l'Autriche et de la Russie, et pour l'assurer de leur reconnaissance, de leur dévouement, etc. L'adresse fut rédigée le 5 : Napoléon était déjà à Strasbourg. Le Tribunat délibéra qu'elle serait portée à l'empereur par une députation de douze de ses membres, et son président à leur tête. La députation partit sur le champ; mais chaque jour une victoire augmentait la distance qui la séparait de l'empereur : ce n'est qu'après deux mois qu'elle reviendra rendre compte de sa mission. ADRESSE du Tribunat à l'empereur (1). — Du 5 vendémiaire an 14. (27 septembre 1805.)

« Sire, vos fidèles sujets les membres du Tribunat, en recevant la communication que vous avez ordonnée en leur faveur,

(1) Adresse proposée par M. Fréville, au nom d'une commission composée de MM. Fabre (de l'Aude), Tarrible, Duvidal, Faure, Girardin, Arnoult, Jard-Panvilliers, Jaubert, Leroy, Jubé, CarrionNisas et Fréville.

ont éprouvé au même degré et l'indignation contre les puissances qui vous provoquent, et l'admiration pour la persévérance que vous avez mise à essayer tous les moyens qui pouvaient préserver le continent des calamités de la guerre. Si elle a été infructueuse pour la paix cette modération héroïque, elle ne demeure pas stérile; elle assure à Votre Majesté la reconnaissance de ses peuples : ils bénissent la magnanimité du héros qu'on vit toujours aussi habile à lancer le char de la victoire, que prompt à l'arrêter dès que l'honneur et l'intérêt national permettaient de prêter l'oreille à la voix de l'humanité.

» Votre Majesté avait accompli les préparatifs d'une expé→ dition qui devait punir la violation du traité d'Amiens, et affranchir les mers. C'est au moment où les alarmes de l'Angleterre annoncent sa détresse que l'Autriche et la Russie se montrent, non simplement menaçantes, mais complètement armées. Sire, cette perfidie révèle le mystère d'une longue intelligence entre nos ennemis. Ce n'est pas une guerre nouvelle qu'ils commencent; ils rallument celle qu'ils entreprirent il y a treize ans contre notre indépendance. Sous la foi des traités, ils n'ont jamais prétendu recueillir que les avantages d'une trève fallacieuse. Vous aviez vaincu les armées, mais non la haine de l'Autriche. Vous vous êtes efforcé d'en douter, Sire; c'était l'incrédulité de votre cœur, repoussant la nécessité de nouveaux sacrifices pour vos sujets. D'ailleurs vous aviez été si généreux ! Pouviez-vous croire à tant d'ingratitude? Vous êtes si puissant! Deviez-vous craindre qu'on osât vous défier ?

» Mais ce qui provoque la jalouse fureur de nos ennemis c'est la puissance même de Votre Majesté, inséparable de la prospérité de l'Empire. Certes ils ont de nombreux griefs à alléguer s'ils les comptent par tous ces actes de sagesse, par tous ces traits de bonté qui chaque jour augmentent les ressources de l'Etat et l'enthousiasme du peuple pour votre auguste personne! Il faut que leur haine soit bien aveugle, puisqu'ils ne voient pas qu'une coalition conduite comme un complot a déjà pour effet, aura pour résultat infaillible d'accroître cette puissance, qu'ils attaquent si imprudemment! En conspirant contre la gloire de l'empereur et la splendeur de la France, ils resserrent encore les liens de bienveillance et de fidélité, d'amour et d'admiration qui unissent le monarque et la nation dans l'irrésistible alliance de la force et du génie.

» Sire, vous n'aurez pas vainement invoqué les engagemens que votre peuple a contractés avec vous lorsque vous lui avez consacré votre existence en vous asseyant sur le trône. Plus vous avez montré de sollicitude pour lui épargner les calamités d'une nouvelle guerre, plus il est disposé à les abréger par de prompts

et grands efforts, plus il est déterminé à vous offrir tous les moyens, toutes les preuves de dévouement qui peuvent vous mettre en état de dicter à vos ennemis une paix glorieuse et durable.

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Sire, à l'instant où le Tribunat vous répond de l'ardeur et de la constance des Français pour la cause du prince et de la patrie, il a la conscience d'exprimer le sentiment national aussi fidèlement qu'à l'époque où il pressa Votre Majesté de placer sur tant de lauriers la couronne impériale.

Arrivé à Strasbourg le 4 vendémiaire, le 9 l'empereur passa le Rhin. Le 14 l'armée française entrait en Bavière. L'empereur avait annoncé sa présence à l'armée par deux proclamations, l'une à ses soldats, l'autre aux Bavarois. Il fit hommage à sa capitale des premières dépouilles de l'ennemi.

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L'EMPEREUR à l'armée.

Soldats, la guerre de la troisième coalition est commencée. L'armée autrichienne a passé l'Inn, violé les traités, attaqué et chassé de sa capitale notre allié.

» Vous-mêmes vous avez dû accourir à marches forcées à la défense de nos frontières. Mais déjà vous avez passé le Rhin; nous ne nous arrêterons plus que nous n'ayons assuré l'indépendance du corps germanique, secouru nos alliés, et confondu l'orgueil des injustes agresseurs. Nous ne ferons plus de paix sans garantie; notre générosité ne trompera plus notre politique.

» Soldats, votre empereur est au milieu de vous. Vous n'êtes que l'avant-garde du grand peuple; s'il est nécessaire, il se levera tout entier à ma voix pour confondre et dissoudre celle nouvelle ligue, qu'ont tissue la haine et l'or de l'Angleterre.

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Mais, soldats, nous aurons des marches forcées à faire, des fatigues et des privations de toute espèce à endurer. Quelques obstacles qu'on nous oppose, nous les vaincrons, et nous ne prendrons de repos que nous n'ayons planté nos aigles sur le territoire de nos ennemis. Signé NAPOLEON. »

L'EMPEREUR des Français à l'armée bavaroise.

« Soldats bavarois, je me suis mis à la tête de mon armée pour délivrer votre patrie des plus injustes agresseurs.

» La maison d'Autriche veut détruire votre indépendance et vous incorporer à ses vastes états. Vous serez fidèles à la mémoire de vos ancêtres, qui, quelquefois opprimés, ne fu

rent jamais abattus, et conservèrent toujours cette indépen dance, cette existence politique qui sont les premiers biens des nations, comme la fidélité à la maison Palatine est le premier de vos devoirs.

» En bon allié de votre souverain, j'ai été touché des marques d'amour que vous lui avez données dans cette circonstance importante. Je connais votre bravoure; je me flatte qu'après la première bataille je pourrai dire à votre prince et à mon peuple que vous êtes dignes de combattre dans les rangs de la grande armée. »

LETTRE de l'empereur aux préfet et maires de la ville

de Paris.

« Messieurs les préfet et maires de notre bonne ville de Paris, nos troupes ayant, au combat de Wertingen, défait douze bataillons de grenadiers, l'élite de l'armée autrichienne, toute son artillerie étant restée en notre pouvoir, ainsi qu'un grand nombre de prisonniers et huit drapeaux, nous avons résolu de faire présent des drapeaux à notre bonne ville de Paris, et de deux pièces de canon pour rester à l'Hôtel-deVille. Nous désirons que notre bonne ville de Paris voie dans ce ressouvenir et dans ce cadeau, qui lui sera d'autant plus précieux que c'est son gouverneur (Murat) qui commandait nos troupes au combat de Wertingen, l'amour que nous lui portons. Cette lettre n'étant à d'autre fin, nous prions Dieu qu'il vous tienne en sa sainte et digne garde.

» Au quartier impérial d'Augsbourg, ce 18 vendémiaire an 14. Signé NAPOLÉON. (1)

L'armée avait pour chefs, sous les ordres de l'empereur, les généraux Bernadotte, Murat, Ney, Soult, Lannes, Augereau, Vandamme, Mortier, Davoust, Marmont, Bessières, Oudinot, etc. Massena commandait en Italic. Sur tous les points on comptait de rapides victoires. Le cinquième bullețin de la grande armée, daté da 20 vendémiaire, annonçait «< qu'avant quinze jours les destins de >> la campagne et des armées autrichiennes et russes seraient fixés.

L'empereur avait fait former en cercle chaque régiment pour leur » parler de la situation de l'ennemi, de l'imminence d'une grande >> bataille, et de la confiance qu'il avait en eux. Cette harangue eut >> lieu pendant un temps affreux; il tombait une neige abondante; » la troupe avait de la boue jusqu'aux genoux, et éprouvait un froid

(1) A la réception de cette lettre, une députation des maires de Paris se rendit auprès de l'empereur, qui la reçut à Schoenbruna.

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