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garde russe fut en déroute: colonel, artillerie, étendards, tout fut enlevé. Le régiment du grand-duc Constantin fut écrasé; lui-même ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval.

» Des hauteurs d'Austerlitz les deux empereurs virent la défaite de toute la garde russe. Au même moment le centre de l'armée, commandé par le général Bernadotte, s'avança; trois de ses régimens soutinrent une très belle charge de cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, donna plusieurs fois. Toutes les charges furent victorieuses. La division du général Caffarelli s'est distinguée. Les divisions de cuirassiers se sont emparées des batteries de l'ennemi. A une heure après midi la victoire était décidée; elle n'avait pas été un monent douteuse, Pas un homme de la réserve n'avait été nécessaire, et n'avait donné nulle part. La canonnade ne se soutenait plus qu'à notre droite. Le corps ennemi, qui avait été cerné et chassé de toutes ses hauteurs, se trouvait dans un bas-fond et acculé à un lac. L'empereur s'y porta avec vingt pièces de canon. Ce corps fut chassé de position en position, et l'on vit un spectacle horrible, tel qu'on l'avait vu à Aboukir; vingt mille hommes se jetant dans l'eau et se noyant dans les lacs.

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» Deux colonnes, chacune de quatre mille Russes, mettent bas les armes et se rendent prisonnières ; tout le parc ennemi est pris. Les résultats de cette journée sont quarante drapeaux russes, parmi lesquels sont les étendards de la garde impériale; un nombre considérable de prisonniers : l'état-major ne les connaît pas encore tous; on avait déjà la note de vingt mille douze ou quinze généraux; au moins quinze mille Russes tués, restés sur le champ de bataille. Quoiqu'on n'ait pas encore les rapports, on peut au premier coup d'œil évaluer notre perte à huit cents hommes tués, et à quinze ou seize cents blessés. Cela n'étonnera pas les militaires, qui savent que ce n'est que dans la déroute qu'on perd des hommes, et nul autre corps que le bataillon du quatrième n'a été rompu. Parmi les blessés sont le général Saint-Hilaire, qui, blessé au commencement de l'action, est resté toute la journée sur le champ de bataille : il s'est couvert de gloire : les généraux de division Kellermann et Walther, les généraux de brigade Valhubert, Thiébaud, Sebastiani, Compan et Rapp, aidede-camp de l'empereur : c'est ce dernier qui, en chargeant à la tête des grenadiers de la garde, a pris le prince Repnin, commandant les chevaliers de la garde impériale de Russie. Quant aux hommes qui se sont distingués, c'est toute l'armée, qui s'est couverte de gloire; elle a constamment chargé aux cris

de vive l'empereur! et l'idée de célébrer si glorieusement l'anniversaire du couronnement animait encore le soldat.

» L'armée française, quoique nombreuse et belle, était moins nombreuse que l'armée ennemie, qui était forte de cent cinq mille hommes, dont quatre-vingt mille Russes et vingt-cinq mille Autrichiens. La moitié de cette armée est détruite; le reste a été mis en déroute complète, et la plus grande partie a jeté ses armes.

>> Cette journée coûtera des larmes de sang à St.-Pétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l'or de l'Angleterre! et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s'arracher à l'influen e de ces trente freluquets que l'Angleterre solde, et dont les impertinences obscurcissent ses intentions, lui font perdre l'amour de ses soldats, et le jettent dans les opérations les plus erronées ! La nature, en le douant de si grandes qualités, l'avait appelé à être le consolateur de l'Europe : des conseils perfides, en le rendant l'auxiliaire de l'Angleterre, le placeront dans l'histoire au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers, et fait le malheur de notre génération. Si la France ne peut arriver à la paix qu'aux conditions que l'aide-de-camp Dolgorouki a proposées à l'empereur, et que M. Novozilzof avait été chargé de porter, la Russie ne les obtiendrait pas quand même son armée serait campée sur les hauteurs de Montmartre.

» Dans une relation plus détaillée de cette bataille, l'étatmajor fera connaître ce que chaque corps, chaque officier, chaque général ont fait pour illustrer le nom français, et donner un témoignage de leur amour à leur empereur.

» Le 12, à la pointe du jour, le prince Jean de Lichtenstein, commandant l'armée autrichienne, est venu trouver l'empereur à son quartier général, établi dans une grange. Il en a eu une longue audience. Cependant nous poursuivons nos succès. L'ennemi s'est retiré sur le chemin d'Austerlitz à Godding. Dans cette retraite il prête le flanc; l'armée française est déjà sur ses derrières, et le suit l'épée dans les reins.

» Jamais champ de bataille ne fut plus horrible. Du milieu de lacs immenses on entend encore les cris de milliers d'hommes qu'on ne peut secourir. Il faudra trois jours pour que tous les blessés ennemis soient évacués sur Brunn. Le cœur saigne. Puisse tant de sang versé, puisse tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause! puisse les lâches olygarques de Londres porter la peine de tant de maux ! »

PROCLAMATION.

Austerlitz, le 12 frimaire an 14.

Soldats, je suis content de vous! Vous avez à la journée d'Austerlitz justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. Une armée de cent mille hommes, commandée par les empereurs de Russie et d'Autriche, a été en moins de quatre heures ou coupée ou dispersée; ce qui a échappé à votre fer s'est noyé dans les lacs.

» Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers, sont le résultat de cette journée à jamais célèbre. Cette infanterie tant vantée, et en nombre supérieur, n'a pu résister à votre choc, et désormais vous n'avez plus de rivaux à redouter. Ainsi en deux mois cette troisième coalition a été vaincue et dissoute! La paix ne peut plus être éloignée; mais, comme je l'ai promis à mon peuple, avant de repasser le Rhin je ne ferai qu'une paix qui nous donne des garanties, et assure des récompenses à nos alliés.

» Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux; mais dans le même moment nos ennemis pensaient à la détruire et à l'avilir; et cette couronne de fer, conquise par le sang de tant de Français, ils voulaient m'obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels ennemis : projets téméraires et insensés, que le jour même de l'anniversaire du couronnement de votre empereur vous avez anéantis et confondus! Vous leur avez appris qu'il est plus facile de nous braver et de nous menacer que de nous vaincre. » Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli, je vous ramenerai en France. Là vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire : J'étais à la bataille d'Austerlitz, pour que l'on réponde: Voilà un brave! -Signé NAPOLÉON. »

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Dans la journée du 13 Napoléon reçut à son bivouac l'empereur d'Allemagne. L'entrevue dura deux heures. Je vous reçois dans le seul palais que j'habite depuis deux mois, dit Napoléon à l'empereur d'Autriche en le faisant approcher du feu. Vous tirez si bien parti de cette habitation qu'elle doit vous plaire, répondit le monarque vaincu. Dans la conversation Napoléon lui reprocha sa faiblesse pour les agens du cabinet anglais, et il ajouta : M. et Mad. Colloredo,

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MM. Paget et Rasumowski ne font qu'un avec votre ministre Cobentzel. Voilà la vraie cause de la guerre ; et si Votre Majesté continue à se livrer à ces intrigans, elle ruinera toutes ses affaires et s'aliénèra le cœur de ses sujets; elle cependant qui a tant de qualités pour être heureuse et aimée! → L'empereur d'Allemagne ne cacha point le mépris que lui inspirait la conduite de l'Angleterre : Les Anglais, s'écria-t-il, ce sont des marchands qui mettent le feu au continent pour s'assurer le commerce du monde... Il n'y a point de doute, dans sa querelle avec l'Angleterre la France a raison. —Un armistice et les principales conditions de la paix furent convenus entre les deux monarques.

L'empereur d'Allemagne, en informant Napoléon que l'empercur de Russie voulait faire sa paix séparément, qu'il abandonnait également les affaires de l'Angleterre, et n'y prenait plus aucun intérêt, demandait qu'en attendant cette paix une trève fût aussi accordée aux restes de l'armée russe. Napoléon lui fit observer que les Russes étaient cernés, que pas un ne pourrait échapper.... Cependant, reprit-il, je désire faire une chose agréable à l'empereur Alexandre ; jø laisserai passer l'armée russe ; j'arrêterai la marche de mes colonnes. Mais Votre Majesté me promet que cette armée retournera en Russie... C'est l'intention de l'empereur Alexandre, répliqua le monarque autrichien; et il se retira accompagné jusqu'à sa voiture par Napoléon, qui se fit présenter les princes de Lichtenstein et le général de Schwartzenberg: c'est du prince Jean de Lichtenstein dont il faisait surtout le plus grand cas. En revenant à son bivouac Napoléon disait: Comment, lorsqu'on a des hommes d'aussi grande distinction, laisse-t-on mener ses affaires par des sots et des intrigans! On l'entendit répéter plusieurs fois, lorsqu'on lui parlait de M. de Cobentzel :- Je ne veux rien de commun avec cet homme, qui s'est vendu à l'Angleterre pour payer ses dettes, et qui a ruiné son maître et sa nation en suivant les conseils de sa sœur et de Mad. Colloredo.

Napoléon disait encore dans son bivouac, en se rappelant ce qu'il venait de promettre à l'empereur d'Allemagne : Cet homme me fait faire une faute, car j'aurais pu suivre ma victoire, et prendre toute l'armée russe et autrichienne; mais enfin quelques larmes de

moins seront versées.

En effet, le général Savary, aide-de-camp de Napoléon, qui avait accompagné l'empereur d'Allemagne après l'entrevue pour savoir les intentions de l'empereur Alexandre, trouva les débris de l'armée russe dans un épouvantable désordre; ainsi que Napoléon l'avait avancé, pas un homme n'aurait pu échapper. Aussitôt que l'empereur Alexandre aperçut l'aide-de-camp de Napoléon il lui cria :Dites à votre maître que je m'en vais ; qu'il a fait hier des miracles;

que cette journée a accru mon admiration pour lui; que c'est un prédestiné du ciel; qu'il faut à mon armée cent ans pour égaler la sienne. Mais puis-je me retirer avec sûreté? Oui, Sire, répondit

la donne.

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le général Savary, si Votre Majesté ratifie ce que les deux empereurs de France et d'Allemagne ont arrêté dans leur entrevue. qu'est-ce? Que l'armée de Votre Majesté se retirera chez elle pur les journées d'étape qui seront réglées par l'empereur, et qu'elle évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne. A cette condition j'ai l'ordre de l'empereur de me rendre à nos avant-postes, qui vous ont déjà tourné, et d'y donner ses ordres pour protéger votre retraite, l'empereur voulant respecter l'ami du premier consul. Quelle garantie faut-il pour cela? Sire, votre parole. - Je vous L'empereur Alexandre s'entretint quelques momens sur la journée du 11 avec le général Savary: - Vous étiez inférieurs à moi, lui dit-il, et cependant vous étiez supérieurs sur tous les points d'attaque. Sire, c'est l'art de la guerre, et le fruit de quinze ans de gloire c'est la quarantième bataille que donne l'empereur. · Cela est vrai; c'est un grand homme de guerre. Pour moi c'est la première fois que je vois le feu. Je n'ai jamais eu la prétention de me mesurer avec lui... Je m'en vais donc dans ma capitale. J'étais venu au secours de l'empereur d'Allemagne : il m'a fait dire qu'il est content; je le suis aussi. —(1)

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Napoléon, qui dans un autre temps avait renvoyé, tout habillés et rééquipés, six mille hommes à l'empereur Paul, voulut encore essayer de se gagner la Russie par un acte de générosité. Il appela le prince Repnin, fait prisonnier à la tête des chevaliers-gardes, dont il était le colonel, et lui dit : — Je ne veux pas priver l'empereur Alexandre d'aussi braves gens; vous pouvez réunir tous les prisonniers de sa garde impériale, et retourner avec eux en Russie.

L'armistice entre les armées française et autrichienne fut conclu à Austerlitz même, le 15 frimaire, par le maréchal Berthier pour Napoléon, et le lieutenant général prince Jean de Lichtenstein pour l'empereur d'Allemagne. Ce même prince entra immédiatement cn conférences pour la paix avec le ministre des relations extérieures de France, M. de Talleyrand.

Le 20 frimaire Napoléon écrivit en ces termes au cardinal archevêque de Paris :

« Mon cousin, nous avons pris quarante-cinq drapeaux sur nos ennemis le jour de l'anniversaire de notre couronnement,

(1) Ces différens détails sont consignés dans le trente-unième bulletin de la grande armée.

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