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L'HOMME fort a donc cédé aux erreurs et aux vanités de son siècle : il est assis sur un trône héréditaire, entouré de serviteurs superbes qui cachent leur affront sous des titres pompeux ; il a échangé contre d'humbles devoirs le tribut libre des affections; la louange hypocrite a proscrit l'éloge sincère; le fer dont la patrie avait armé ses fils reçoit le chiffre du maître, et ne doit plus se tirer que pour lui; une impérieuse volonté a comprimé les volontés de tous, et conjuré l'heureux orage des opinions indépendantes. Ce maître peut

faire des fautes; il a à ses ordres des écrivains pour les défendre, et des prêtres pour les sanctifier. Que si le peuple en souffre, quel droit a-t-il de se plaindre? II s'est donné. Le souverain a pris la dernière place, et l'acquéreur de ses droits)lui dira, pour le consoler de nombreux sacrifices: Je suis content de vous; vous étes un bon et grand peuple.

César avouait que les Gaulois étaient souvent plus que des hommes, mais parfois aussi moins que des femmes. Napoléon a retrouvé les Gaulois, encore plus valeureux, plus souples, et comme en raison de sa supériorité sur César.

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On a dit de Napoléon qu'il ne pouvait respirer en Europe: ce mot pourrait être vrai en un sens. Bonaparte, à son apparition dans le monde politique, était plus grand, voyait plus loin et plus juste que tous ceux de ses contemporains qui dirigeaient alors les affaires des peuples. Il s'annonça, et l'on ne le comprit point; or on n'a pu dans un temps que l'admirer ou le craindre, et dans un autre que le trahir ou l'abandonner. Il s'était trouvé placé entre la chute des monarchies absolues et la naissance des gouvernemens représentatifs séduit par les imposans débris de celles-là, entravé dans les développemens qu'il voulait donner ceux-ci, il entreprit de substituer aux rines et aux autres une domination universelle, assez glorieuse pour maintenir encore les peuples las d'être sujets, assez brillante pour charmer les peuples libres et instruits. On eût dit qu'il ne voulait imposer aux nations un repos politique que pour leur donner le temps d'atteindre à leur maturité. Bonaparte est venu 'un siècle trop tôt ; et c'est en ce sens que l'Europe ne pouvait le contenir.

Sa carrière a été en quelque sorte la vie d'un peuple abandonné à lui-même, cherchant d'abord, jeune et timide, un appui protecteur dans le pouvoir d'un seul, brisant ensuite ce joug humiliant, et l'implorant de nouveau dans la vieillesse, qui est pour les peuples l'excès de la civilisation. Né sous les rois, Bonaparte a chéri la liberté tant qu'il a été dans la force de l'intelligence; alors il mettait son bonheur à faire des républiques: dès que son âme s'ouvrit aux petites ambitions, il ne fut plus assez fort pour soutenir et achever son ouvrage ; il s'appuya sur des trônes.

Mais, toujours esprit créateur, Bonaparte donna à sa monarchie un éclat inconnu dans le gouvernement des rois ; il en fit une tutelle bienfaisante sous son empire la perte de la liberté n'amena pas l'esclavage. Il protégea les Français contre eux-mêmes. En effet à quel danger ce peuple, naguère si républicain et si fier, mais comme fatigué de sa dignité d'un jour, në s'était-il pas exposé en se donnant encore à un seul homme ! Sa valeur, sa générosité, son enthousiasme, ses brillans défauts avaient été tant de fois exploités par d'indignes maîtres!

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Cependant il est un reproche qu'on peut justement faire au gouvernement de Bonaparte; c'est d'avoir manqué de franchise, c'est d'avoir obtenu par la déception ce qu'on lui aurait accordé, ce que même on lui accordait avec empressement et confiance. Citons quelques exemples.

C'est aux mandataires directs du peuple qu'il appar tient de voter les levées d'hommes; mais Napoléori ne veut ni se soumettre au retour annuel des sessions ni s'exposer aux représentations de magistrats qui n'ont encore présens à la pensée que les vœux et les

besoins de leurs commettans. Il dépouille le Corps législatif de cette attribution, la transporte à son Sénat, et celui-ci, ingénieux à tourmenter les principes pour justifier sa docilité, s'attache à démontrer qu'il est compétent pour permettre aux jeunes braves de voler sous les drapeaux.

Napoléon, par de simples décrets impériaux, érige des grands fiefs, distribue des duchés, donne des pays conquis en toute propriété à quelques uns de ses lieutenans, enfin il crée une noblessé héréditaire des majorats, etc.; et ses orateurs préconisent ces grandes institutions comme un obstacle invincible au retour des priviléges et de la féodalité.

C'était peu d'avoir paralysé l'autorité tribunitienne, qui, depuis sa courageuse opposition à l'établissement de la Légion-d'Honneur, n'avait pas donné un signe d'existence; le gouvernement supprime le Tribunat, et ses sophistes débitent à ce sujet un tissu d'impertinences, auxquelles l'ambition satisfaite et l'avide flatterie répondent humblement merci.

Les colléges électoraux sont des instrumens du pouvoir; et l'on vante leur indépendance. L'institution du juri est dénaturée; on dit qu'elle est purifiée, et réduite à ses effets salutaires. Des dispositions qui dépendent essentiellement du pouvoir législatif sont furtivement introduites dans des senatus consulte, dans des décrets ignorés de la masse des citoyens, et reçoivent bientôt après une application et des développemens outrés. On permet de longs discours sur des actes insignifians ou généralement jugés nécessaires et bons: sur ceux qui seraient de nature à éveiller l'attention publique on ne permet aucune discussion; ou l'on fait mieux, on ne les propose point. Les grandes

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