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mens des arts qui les retracent, et dont l'aspect, frappant sans cesse les regards du grand nombre, prête à une tradition non interrompue qui garantisse la fidélité des narrations historiques. Ce fut dans ces vues que l'antiquité éleva des pyramides, des arcs de triomphes, des colonnes : quels que soient les ravages du temps, le soin religieux qu'on employait à leur conservation nous les eût transmis dans toute leur intégrité si des débordemens de Vandales n'étaient venus les profaner et les détruire. Les Vandales! à ce nom toute notre Europe vient s'écrier avec nous : Vivent les armées françaises! Grâce au vainqueur d'Austerlitz, à ce génie prédestiné du ciel, des barrières éternelles sépareront ces hordes barbares des nations civilisées !

>> Pleins de cette assurance, nous pouvons nous abandonner à ces élans qui pressent la gratitude nationale, et donner l'exemple des monumens qui doivent le plus perpétuer la gloire de notre héros. Vous le donnerez cet exemple, sénateurs! persuadés comme vous l'êtes que les mânes des guerriers morts en combattant pour nous seront satisfaits; que nos illustres armées s'honoreront de l'hommage qu'elles recevront dans la personne de leur plus grand capitaine, et que dans l'avenir le plus reculé les descendans de cette quatrième dynastie, heureux sur leur trône par la fidélité de nos fils, diront, en contemplant ces honneurs rendus à leur aïeul, que nous sûmes placer la reconnaissance à côté du bienfait !

» Le monument que je propose au Sénat de décréter aujourd'hui c'est un arc de triomphe, digne des vertus, des hauts faits et de la gloire de NAPOLÉON le prédestiné. »

DISCOURS de M. le sénateur Garat.

« Quel spectacle guerrier se déploie dans cette enceinte pacifique! quel hommage rendu par l'héroïsme à la sagesse, et par la victoire aux lois ! Ces drapeaux sont plus que les emblèmes du génie militaire et de ses triomphes: arrachés tout à l'heure aux ennemis qu'ils guidaient contre la France, ils sont comme une portion de la victoire elle-même ; ils la reproduisent sous nos yeux; ils nous la font pour ainsi dire remporter une seconde fois. Qu'ils soient donc et qu'ils restent à jamais appendus aux voûtes de ce palais, dont ils seront le plus magnifique ornement!

Mais qui de nous, mais quel Français aurait jamais besoin de leur vue pour réveiller en lui les immortels souvenirs qu'ils consacrent! Ce sont ces souvenirs, toujours présens parmi nous, qui embelliront plutôt ces drapeaux mêmes, qui les

distingueront de tous les autres. Que de drapeaux obscurs et sans souvenirs ont tapissé dans tous les siècles les palais des rois et les temples! que de drapeaux qui n'ont rappelé que l'idée vague et désastreuse de l'effusion du sang humain et des ravages de la terre! Ceux qui flottent sous vos yeux marqueront l'époque de l'un des plus grands progrès dans cet art qui prépare les batailles et qui les gagne; ils attesteront que la guerre ne détruit pas toujours les empires; qu'elle les conserve aussi quelquefois ; ils retraceront les espérances que les nations vaincues par la France ont conçues dans les désastres mêmes de leurs défaites.

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Que d'ennemis vaincus à la fois! que de destinées de peuples changées en un instant!

» Presque toutes les puissances de l'Europe avaient allié leurs haines déclarées ou secrètes; cette vaste coalition de ressentimens et de projets de vengeance était préparée, entrenue et dirigée par deux empires, dont l'un dispose des trésors des deux mondes, l'autre de la population d'une grande partie des latitudes et des longitudes du globe. Leurs plans ont été conçus et mûris durant plusieurs années dans le plus profond silence: ils ne sont dévoilés et connus qu'au moment où des armées autrichiennes touchent à nos frontières, et où toutes les mers du Nord et du Midi, chargées de hordes russes, vont les vomir sur nos côtes de l'Océan et de la Méditerranée !

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Absorbé jusqu'à ce moment dans d'autres méditations, dès qu'il a aperçu ces mouvemens et qu'il en a connu le but, Napoléon s'arrache à la vue des côtes de l'Angleterre, comme autrefois Annibal à la terre d'Italie. Rien n'est précipité dans sa marche; tout est disposé par des conceptions profondes, et tout a la rapidité de l'éclair et de la pensée. A peine ses ennemis ont appris qu'il avait quitté Boulogne, et déjà il a passé le Rhin sans obstacle; déjà il est devant eux et autour d'eux; il les coupe et les enveloppe de toutes parts; la présence seule de Napoléon les a comme étourdis; elle a comme ôté le bon sens au général de l'Autriche, et le courage à ses soldats : soixante mille Autrichiens viennent les uns après les autres déposer leurs armes à ses pieds, et lui ouvrir les chemins de la capitale de leur Empire.

» Les Russes, déjà battus plusieurs fois dans cette marche où il y a eu tant de triomphes avant qu'il y ait eu une seule bataille; lorsqu'ils le croyaient occupé dans Vienne à recevoir les tributs de l'admiration et de la soumission des peuples, les Russes le voient devant eux près d'Olmutz, à l'instant où toutes leurs colonnes venaient aussi d'arriver et de se réunir. Les regards de toutes les nations de l'Europe, leurs craintes et

leurs espérances sont fixés sur un seul champ de bataille. Mais Napoléon n'a pas fait seulement les dispositions de son armée ; il semble faire encore les dispositions de l'armée ennemte : il commande à ses mouvemens par ceux qu'il fait devant elle; il la fait venir où il lui convient qu'elle soit ; il la place dans des lieux où les Russes ne pourront longtemps déployer ce genre d'héroïsme qu'on leur connaît, celui de se faire tuer. Il avait vaincu les Autrichiens sans avoir eu besoin d'une seule bataille; il gagne cette décisive bataille contre les Russes sans que la victoire puisse être un seul instant incertaine et flottante. Toutes les puissances ennemies sont dans la consternation, et le monde entier dans l'étonnement.

» Ainsi triomphe toujours et partout ce rare et indomptable génie, tantôt en exaltant cet invincible courage de nos armées, qui depuis douze ans promènent leurs victoires dans l'Europe; tantôt, ce qui est sans doute le sublime de l'art et du talent, en rendant les combats même impossibles et inutiles pour ses ennemis, en leur montrant et en leur faisant avouer qu'ils sont vaincus lorsqu'ils ont vu ses plans de campagne et de bataille! Ainsi il élève bien plus haut encore la place qu'il occupait depuis longtemps parmi les premiers capitaines de tous les siècles.

Un officier français, à qui peut-être il n'a manqué pour remporter des victoires que de commander des armées, et qui, ne pouvant gagner des batailles, écrivait avec éloquence des livres qui enseignaient à vaincre ; un juge très éclairé et très sévère de tous les modèles et de tous les maîtres de son art, dans un éloge de Frédéric II, où il ne reconnaît le génie de la guerre que dans ceux qui ont préparé leurs triomphes par de nouvelles créations dans la tactique, parmi tant de généraux, de rois et d'empereurs dont les noms et les victoires fatiguent les pages de l'histoire ancienne et moderne, semble d'abord n'en apercevoir aucun qui puisse soutenir un parallèle avec son héros; il fait ensuite avancer le seul nom de César, et il croit l'élever encore en le plaçant à côté de celui de Frédéric ; devant ces deux noms tous les autres s'anéantissent à ses yeux; il ne voit plus que Frédéric et César, se donnant la main à travers le désert des siècles.

» Mais avec quel éclat de fortune et de génie Napoléon s'avance vers ce même parallèle pour l'embellir ou pour l'effacer! Comme toutes les circonstances de sa dernière campagne rendent son rapprochement avec le grand Frédéric inévitable, et le font servir au rehaussement de sa gloire! Il a les mêmes ennemis que Frédéric, et ce sont de même presque toutes les premières puissances militaires de l'Europe; il va les

chercher dans les mêmes contrées, et presque sur les mêmes champs de bataille. Mais devant Olmutz Frédéric reçoit un grand échec, et Napoléon gagne une grande victoire. Les revers et les triomphes se succèdent presque en égal nombre dans ces immortelles campagnes de Frédéric ; se défendre avec succès est toute sa gloire, et ses victoires mêmes détruisent plusieurs fois ses armées. La fortune n'a point avec Napoléon de ces alternatives et de ces incertitudes; là où il commande la guerre n'a plus de hasards; la victoire ne déserte pas un seul instant les drapeaux de la France, et trois armées de nos ennemis sont dispersées ou détruites lorsque l'armée qui a combattu sous les ordres de Napoléon chante presque tout entière les victoires qu'elle a remportées. Frédéric ne fit renoncer ses ennemis à leurs espérances qu'au bout d'une guerre de sept ans: Napoléon a confondu toutes les espérances des siens dans une campagne de sept semaines. Enfin, lorsque Frédéric rentra avec la paix dans ses états, les conserver sans qu'ils eussent été entamés fut l'unique avantage de tant de sacrifices, de tant d'héroïsme, de tant de batailles; et Napoléon, en déposant le glaive, va paraître au milieu des nations de l'Europe comme l'arbitre des destinées humaines, comme celui qui ôte et donne les états aux puissances. Quels prodiges! et comme, en remplissant d'un bout de l'Occident à l'autre les imaginations éblouies, ils reculent et enfoncent pour ainsi dire dans la nuit des âges toutes les renommées historiques!

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Cependant toute cette grandeur qui environne le nom de Napoléon, lorsqu'à peine il est arrivé encore à la moitié de la vie humaine, ne peut pas être l'ambition de sa vie; il en a une bien plus digne d'un homme que ses destinées ont appelé à balancer les destinées de tant de peuples. Les monumens élevés à la seule puissance foulent la terre qui les porte sur son sein; ceux qu'on érige aux seules victoires l'embellissent trop souvent comme ces illusions qui cachentet enfantent des malheurs ; et cette vérité j'aime à la proclamer devant ces drapeaux mêmes, qui font naître tant d'autres pensées que celle de la guerre! Quand les nations sont éclairées, la terre ne peut ni se parer que de ce qui la féconde, ni se réjouir que de ce qui prépare aux générations humaines plus de lumières, de sagesse et de bonheur. La protection accordée à ces arts utiles, unique patrimoine du pauvre qui les cultive; les encouragemens prodigués à ces beaux-arts, seules jouissances de la richesse qui soient sans excès et sans remords; tous ces bienfaits, les plus grands que les peuples aient reçus jusqu'à ce jour de la puissance, seraient même désormais pour elle des titres insuffisans et précaires à la gloire des siècles. La première place dans le cœur des hommes,

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et jusqu'à ce jour elle est restée vacante, appartient à celui quí va se servir de toutes les lumières réunies dans son esprit et de toutes les forces réunies dans ses mains pour perfectionner cet art social, le plus utile et le plus beau de tous les arts; elle appartient à celui qui fondera sa politique sur les principes de la morale universelle, qui va faire du code de la nature le code de plusieurs empires, et, comme l'éternel géomètre, des lois éternelles. pour volontés que

n'aura

» Ainsi seulement pourra s'arrêter sur ce globe, toujours arrosé de sang et de larmes, ce cercle perpétuel de révolutions où les lois sont effacées par les lois, les renommées par les renommées, et où, en changeant sans cesse de situation, l'espèce humaine passe incessamment des malheurs aux malheurs. A peu près comme dans ces doctrines que l'orgueil des savans appelait les lois de l'univers, les systèmes ont succédé aux systèmes, et les erreurs aux erreurs, jusqu'à l'époque où les Galilée, les Kepler et les Newton ont gravé devant l'esprit humain ces lois de la mécanique céleste, devenues aussi immuables dans nos sciences que dans la nature.

» Les législateurs du monde physique ont paru, et leur gloire, qui ne peut être éclipsée, ne peut même être partagée que par ceux qui confirment et qui étendent leurs découvertes. Le législateur du monde social, de son char de victoire, va se faire entendre à la terre, et la terre ne se taira point devant ce conquérant de toutes les vérités, devant le propagateur invincible de tous ces principes de l'ordre social, qui sont divins, puisqu'ils sont vrais, puisqu'ils contiennent les droits des nations et leurs prospérités; la terre retentira de bénédictions, et les siècles, qui ne peuvent recevoir un pareil bienfait qu'une seule fois, et d'un seul homme, ne se lasseront point de raconter et de se transmettre sa gloire.

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J'appuie la proposition de mon collègue M. le maréchal Pérignon. »

DISCOURS de M. le sénateur Lacépède.

« Des orateurs éloquens viennent d'exprimer des sentimens que nous éprouvons tous ; ils ont émis des vœux que chacun de nous a formés.

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Pourquoi viens-je donc, sénateurs, suspendre les effets de votre dévouement, de votre gratitude et de votre admiration?

» Une grande objection a combattu longtemps dans ma pensée le vœu qui vient de vous être présenté.

» Elle pourrait arrêter le suffrage de plusieurs de mes collègues..

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