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questions sont brusquement écartées : c'est ainsi que publicité, sauvegarde des intérêts sociaux, avait été étroitement retenue par l'arrêté qui limitait le nombre des journaux, et plaçait les feuilles privilégiées sous l'inspection de la haute police; que la liberté de la presse et la liberté individuelle avaient été confiées au Sénat ; que l'infâme loterie centuplait ses produits par la permission qui lui avait été donnée de s'établir dans cinq grandes villes de l'Empire, et de célébrer quinze fois par mois la ruine de ses victimes.

Le Corps législatif, appelé pour sanctionner les lois qu'on avait jugées susceptibles de lui être soumises sans inconvénient, approbateur muet des travaux du Conseil d'état, privé de tout droit de remontrance et d'observation; le Corps législatif ne prenait aucune part à la confection des lois; il adoptait tout de confiance. Néanmoins, à la clôture de chaque session, des conseillers d'état venaient dire aux députés : S. M. se loue de vos conseils et de votre coopération.... Elle est contente de vos travaux. .. Votre sagesse a prévu... Vous avez fait.... Vous avez voulu... Vos profondes délibérations ont donné telles lois à l'Empire.... Et les députés recevaient avec reconnaissance ces hypocrites hommages, quoique bien convaincus qu'ils n'avaient rien fait, rien voulu, et qu'ils n'étaient venus que pour enregistrer les volontés de l'empereur et les propositions de ses ministres, discutées et rédigées au Conseil d'état, seul pouvoir législatif. La gloire semblait avoir exilé la pudeur et le bon

sens.

Certes il y aurait eu plus de grandeur de la part de Napoléon à rejeter ces formes devenues burlesques, et à s'emparer hautement de tous les pouvoirs puis

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qu'il les exerçait de fait; et de la part de son Sénat, qui tour à tour se déclara ou puissance législative, oų corps constitué, ou pouvoir constituant, il y aurait eu de la bonne foi à les lui remettre tous par une démar che solennelle, et pour un temps déterminé. Napoléon avait prouvé qu'il était digne d'une pareille dictature, L'Exposé de la Situation de l'Empire, lu chaque année devant le peuple assemblé, eût justifié ce généreux abandon il est évident que les comptes rendus an nom de Napoléon, ainsi que ses propres discours, parviendront seuls à la postérité, et suffiront à son éloge. On n'aurait pas vu le plus vaste des génies se compromettre souvent dans des routes vulgaires, et des hommes depuis longtemps renommés dans les sciences et dans les lettres, fatiguant en vain leur esprit pour déguiser une aveugle soumission, ne plus mériter que le blâme de leurs concitoyens. Le dévouement des Français était garanti à l'empereur par la gratitude, par l'admiration, et surtout par ce besoin de gloire toujours renaissant, et toujours satisfait. Qu'ajoutaient de plus les hyperboles de certains orateurs, les métaphores de celui-ci, les madrigaux de celui-là, les témoignages serviles de presque tous? Oui, de presque tous, puisque dans ce corps malheureusement célèbre on compte à peine dix citoyens minorité impuissante, mais honorable, qui a toujours voté selon sa conscience, et s'est conservée pure dans un foyer de corruption. Elle a rougi de voir des membres de la majorité échanger d'abord le bulletin de leur opinion contre des bons de vingt mille francs, puis contre des sénatoreries, qu'ils se disputaient encore par tous les moyens d'intrigue; elle a combattu, mais sans succès, pour déjouer ces menées qui portèrent

au Corps législatif des députés que, l'intérêt, du peuple aurait de faire récuser. Trompée dans ses efforts, cette minorité n'en a pas moins de droit à la reconnaissance publique peut-être que sans elle on eût dit et fait plus encore,

Napoléon se montrait plus à découvert dans sa politique extérieure. Chez le peuple du monde le plus spirituel et le plus susceptible, peut-être avait-il

cru devoir, par respect ou par crainte, cacher d'abord ses intentions. Quels ménagemens méritaient de sa part les gouvernemens alors existans? Il déclara hautement aux uns sa juste colère, aux autres son mépris, à tous le dessein qu'il avait de régénérer l'Europe. Et partout en effet il a laissé l'empreinte de son génie. Quel peuple n'a pas des actions de grâces à lui rendre! L'Anglais ruine ou renverse ses alliés : Napoléon a donné aux siens de la dignité, des moyens d'industrie et de communication, des monumens, des lois, des institutions salutaires. Sans lui les Espagnols cux-mêmes seraient encore courbés sous un ignoble despotisme; il leur a révélé une patrie: un jour, plus instruits et plus justes, loin de blasphemer contre sa mémoire ils confirmeront sa prédiction; l'Espagne l'honorera comme son libérateur, comme le seul dont le bras pût l'affranchir des chaînes de l'Inquisition. La politique de Napoléon ne fut donc pas ce qu'on nomme de la diplomatie; elle était une régénération européenne: les faits l'expliquent.

Mais

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par combien d'actes sublimes, par quelle sollicitude constante pour le peuple Napoléon rachetait le défaut de confiance, que nous lui avons reproché, et les surprises dont il eut la faiblesse de faire usage pour établir sa vaste domination! Lorsque le temps, aidé

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par l'ignorance et la haine, aura défiguré ou détruit les monumens de sa gloire, on l'admirera encore dans les tableaux écrits de la situation de l'empire, dans les rapports de l'Institut, même dans de simples décrets, qui témoigneront à tout jamais de son zèle et de ses efforts pour la prospérité publique, de son amour pour les sciences, les lettres et les arts, et de la protection puissante qu'il ne cessa de leur accorder (1).

Et les Codes! on sait la part qu'il a prise dans leur discussion au Conseil d'état : des jurisconsultes profonds se sont avoués vaincus.

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(1) Conformément à un arrêté du 13 ventose an 10 quatre classes de l'Institut, dans les mois de février et mars 1808, ont fait à l'empereur, en séances du Conseil d'état, des rapports historiques sur l'état des connaissances humaines depuis l'année 1789. Ce sont des monumens qui feront toujours l'orgueil de la France, comme la gloire de celui qui les a provoqués.

L'arrêté du 13 ventose an 10 reçut son complément par le décret relatif aux prix décénnaux, rendu à Aix-la-Chapelle dans un de ces voyages que Napoléon entreprenait annuellement pour reconnaître et vivifier les départemens de l'Empire. D'une part des prétentions déplacées, de l'autre le cours des événemens, n'ont point permis la distribution des prix décennaux. Voici le décret :

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« Au palais impérial à Aix-la-Chapelle, le 24 fructidor an 12 (11 septembre 1804).

Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui les présentes verront, salut.

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Aussi le peuple, qui dans son admirable instinct apercevait les faiblesses du monarque, les pardonnait au grand homme; il n'a toujours vu, toujours aimé que Bonaparte. Il a supporté le trône sans en voter l'établissement. Son profond silence pendant la proclamation du senatus-consulte du 28 floréal an 12 était une grande leçon pour le premier consul; mais Bonaparte pouvait-il en profiter? profiter? Longtemps avant le recensement des votes, ses courtisans, pressés de jouir de leurs titres d'altesse et d'excellence, l'avaient rapetissé sous les noms de sire et de majesté ; luimême n'employait plus le nom de citoyen; il disait monsieur. Le dé était jeté.

tres et les arts, qui contribuent éminemment à l'illustration et à la gloire des nations;

" Désirant non seulement que la France conserve la supériorité qu'elle a acquise dans les sciences et dans les arts, mais encore que le siècle qui commence l'emporte sur ceux qui l'ont

précédé ;

» Voulant aussi connaître les hommes qui auront le plus participé à l'éclat des sciences, des lettres et des arts;

» Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

» Art. Ier. Il y aura de dix ans en dix ans, le jour anniversaire au dix-huit brumaire, une distribution de grands prix, donnés de notre propre main, dans le lieu et avec la solenuité qui seront ultérieurement réglés.

» 2. Tous les ouvrages de sciences, de littérature et d'arts, toutes les inventions utiles, tous les établissemens consacrés aux progrès de l'agriculture ou de l'industrie nationale, publiés, connus ou formés dans un intervalle de dix années, dont le

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