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liens que ces deux dernières puissances paraissent ne pas vouloir former? La Prusse voudrait-elle nous obliger nous-mêmes à nous départir de la déclaration que nous avons faite que les villes anséatiques ne pourront entrer dans aucune confédération particulière ? déclaration fondée sur l'intérêt du commerce de la France et du midi de l'Allemagne, et sur ce que l'Angleterre nous a fait connaître que tout changement dans la situation présente des villes anséatiques serait un obstacle de plus à la paix générale. Nous avons aussi déclaré que les princes de l'empire germanique qui n'étaient point compris dans la Confédération du Rhin devaient être maîtres de ne consulter que leurs intérêts et leurs convenances; qu'ils devaient se regarder comme parfaitement libres; que nous ne ferions rien pour qu'ils entrassent dans la Confédération du Rhin, mais que nous ne souffririons point que qui que ce fût les forçât de faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique, aux intérêts de leurs peuples. Cette déclaration, si juste, aurait-elle blessé le cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger à la rétracter? Entre tous ces motifs quel peut être le véritable? Nous ne saurious le deviner, et l'avenir seul pourra révéler le secret d'une conduite aussi étrange qu'elle était inattendue. Nous avons été un mois sans y faire attention. Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons qui veulent précipiter la cour de Berlin dans la lutte la plus inconsidérée.

>> Toutefois les armemens de la Prusse ont amené le cas prévu par l'un des articles du traité du 12 juillet, et nous croyons nécessaire que tous les souverains qui composent la Confédération du Rhin arment pour défendre ses intérêts, pour garantir son territoire, et en inaintenir l'inviolabilité. Au lieu de deux cent mille hommes que la France est obligée de fournir, elle en fournira trois cent mille, et nous venons d'ordonner que les troupes nécessaires pour compléter ce nombre soient transportées en poste sur le Bas-Rhin. Les troupes de Votre Majesté étant toujours restées sur le pied de guerre, nous invitons Votre Majesté à ordonner qu'elles soient mises sans délai en état de marcher avec tous leurs équipages de campagne, et de concourir à la défense de la cause commune, dont le succès, nous osons le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos désirs et même contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité de repousser la force par la force.

» Sur ce nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

» Donné à Saint-Cloud, le 21 septembre 1806.
»Signé NAPOLÉON. »

Une lettre semblable ou analogue fut adressée en même temps à tous les princes composant la Confédération du Rhin.

L'empereur Napoléon quitta Paris le 25 septembre 1806 pour se mettre à la tête de ses armées.

SÉNAT.

Séance extraordinaire, présidée par le prince archi-chancelier de l'Empire. Du 14 oc

tobre 1806.

DISCOURS du président.

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« Messieurs, la lettre que S. M. l'empereur et roi écrit au Sénat, et les communications que je viens faire de sa part, ont pour objet de vous instruire d'une résolution devenue nécessaire par la conduite du gouvernement prussien.

» On se demande quelles sont les causes d'une rupture difficile à prévoir d'après la bonne intelligence qui depuis plusieurs années a régné entre la France et la Prusse, et surtout d'après les rapports d'intérêts communs aux deux nations,

» La solution de cette question se trouve dans les rapports faits à S. M. par son ministre des relations extérieures, et dans plusieurs notes échangées par les ministres des deux puis

sances.

» La lecture que vous allez entendre de ces pièces vous convaincra, messieurs, que S. M. n'a rien négligé pour la conservation de la paix, et qu'elle en a eu longtemps l'espérance. Vous reconnaîtrez aussi que la dignité de sa couronne et les obligations qu'imposent à S. M. la protection et la garantie qu'elle accorde aux états confédérés du Rhin ont dû la déterminer à repousser la force par la force.

»Aucun souverain n'est moins que l'empereur dans le cas de redouter la guerre; aucun ne sera dans tous les temps plus disposé à arrêter l'effusion du sang par le rétablissement de la paix.

» Dans la guerre qui commence, comme dans celles qui ont été si glorieusement terminées, S M. a pour elle le témoignage de sa conscience et la justice de sa cause; elle compte sur l'amour de ses peuples et sur le courage de ses armées; elle place aussi une confiance entière dans votre zèle, si souvent éprouvé pour son service et pour le bien de l'État, qui en est inséparable.

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MESSAGE de l'empereur.

Sénateurs, nous avons quitté notre capitale pour nous rendre au milieu de notre armée d'Allemagne dès l'instant que

:

nous avons su avec certitude qu'elle était menacée sur ses flancs par des mouvemens inopinés. A peine arrivé sur les frontières de nos Etats, nous avons eu lieu de reconnaître combien notre présence y était nécessaire, et de nous applaudir des mesures défensives que nous avions prises avant de quitter le centre de notre Empire. Déjà les armées prussiennes, portées au grand complet de guerre, s'étaient ébranlées de toutes parts; elles avaient dépassé leurs frontières; la Saxe était envahie, et le sage prince qui la gouverne était forcé d'agir contre sa volonté, contre l'intérêt de ses peuples. Les armées prussiennes étaient arrivées devant les cantonnemens de nos troupes ; des provocations de toute espèce, et même des voies de fait, avaient signalé l'esprit de haine qui animait nos ennemis, et la modération de nos soldats, qui, tranquilles à l'aspect de tous ces mouvemens, étonnés seulement de ne recevoir aucun ordre, se reposaient dans la double confiance que donne le courage et le bon droit. Notre premier devoir a été de passer le Rhin nous-mêmes, de former nos camps, et de faire entendre le cri de guerre: il a retenti au cœur de tous nos guerriers. Des marches combinées et rapides les ont portés en un clin d'œil au lieu que nous leur avions indiqué. Tous nos camps sont formés; nous allons marcher contre les armées prussiennes, et repousser la force par la force. Toutefois, nous devons le dire, notre cœur est péniblement affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en Europe le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins que nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le repos et le bonheur de la génération présente; assiégeant tous les cabinets par tous les genres de séductions, et égarant ceux qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur leurs véritables intérêts, et les lançant au milieu des partis sans autres guides que les passions qu'il a su leur inspirer. Le cabinet de Berlín lui-même n'a point choisi avec délibération le parti qu'il prend ; il y a été jeté avec art et avec une malicieuse adresse. Le roi s'est trouvé tout à coup à cent lieues de sa capitale, aux frontières de la Confédération du Rhin, au milieu de son armée, et vis à vis des troupes françaises, dispersées dans leurs cantonnemens, et qui croyaient devoir compter sur les liens qui unissaient les deux états, et sur les protestations prodiguées en toutes circonstances par la cour de Berlin. Dans une guerre aussi juste, où nous ne prenons les armes que pour nous défendre, que nous n'avons provoquée par aucun acte, par aucune prétention, et dont il nous serait impossible d'assigner la véritable cause, nous comptons entierement sur l'appui des lois et sur celui de nos peuples, que les circonstances appellent à nous donner de nouvelles preuves de leur amour, de leur dévouement et de leur courage.

De notre côté aucun sacrifice personnel ne nous sera pénible, aucun danger ne nous arrêtera toutes les fois qu'il s'agira d'as-, surer les droits, l'honneur et la prospérité de nos peuples. » Donné en notre quartier impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806. Signé NAPOLÉON. »

Premier RAPPORT adressé à l'empereur par le ministre des relations extérieures.

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Sire, Votre Majesté, à la première nouvelle qu'elle reçut des armemens de la Prusse, fut longtemps sans y croire: forcée d'y croire, elle se plut à les attribuer à un malentendu; elle espéra que ce malentendu serait promptement éclairci, et qu'aussitôt ces armemens cesseraient.

» Les espérances de Votre Majesté avaient leur source dans son amour constant pour la paix: elles ont été trompées. La Prusse n'en est plus à méditer la guerre; elle la fait. Par quels motifs? Je l'ignore, et je ne lui en connais aucun.

>> Si la Prusse eût eu quelque sujet de plainte, quelque grief, quelque raison d'armer, se serait-elle obstinée à les taire? Le ministre de Votre Majesté à Berlin n'en aurait-il pas été instruit? M. de Knobelsdorff n'aurait-il pas été chargé de les faire connaître? Tout au contraire, M. de Knobelsdorff n'a apporté à Votre Majesté qu'une lettre du roi fort amicale, et il a reçu des assurances également amicales de la bouche même de Votre Majesté. Le ministre de Votre Majesté à Berlin voyait les préparatifs se poursuivre, l'arrogance s'accroître, les provocations s'accumuler à mesuré que Votre Majesté montrait plus de modération et d'impassibilité. Mais s'il demandait quels pouvaient être les griefs de la Prusse, on n'en articulait aucun; on ne lui donnait aucune explication: de sorte que sa présence était devenue inutile à Berlin; de sorte qu'il n'y était plus que le témoin de procédés et de mesures contraires à la dignité de la France.

»En supposant que des bruits absurdes, accueillis avec une inconcevable crédulité, eussent inspiré au cabinet prussien de vaines alarmes, Votre Majesté, qui avait tout fait pour les prévenir, avait aussi tout fait pour les dissiper.

» De quels dangers la Prusse voulait-elle se garantir? La France, loin de la menacer, ne lui avait jamais donné que les preuves les plus signalées de son amitié. A quels sacrifices voulait-elle se soustraire? Votre Majesté ne lui a rien demandé.. De quel déni de justice avait-elle à se plaindre ? Tout ce qu'elle eût demandé de juste Votre Majesté était disposée à le lui accorder; mais elle n'a fait aucune demande, parce qu'elle n'en avait point

à faire.

Est-ce l'existence de la Confédération du Rhin? sont-ce les arrangemens qui ont eu lieu dans le midi de l'Allemagne qui ont porté la Prusse à prendre les armes ? On ne peut pas même le supposer. La cour de Berlin a déclaré qu'elle n'avait rien à objecter contre ces arrangemens; elle a reconnu la Confédération; elle s'est occupée à réunir avec elle, dans une confédération semblable, les états qui l'avoisinent.

» Votre Majesté a déclaré, il est vrai, que les villes anséatiques devaient rester indépendantes et isolées de toute confédération; elle a déclaré encore que les autres états du nord de l'Allemagne devaient être libres de ne consulter que leur politique et leurs convenances; mais ces déclarations, fondées et sur la justice et sur l'intérêt général de l'Europe, n'ont pu fournir à la Prusse un motif de guerre, ni même un prétexte qu'elle puisse avouer.

33 La guerre de la part de la Prusse est donc sans aucun motif réel.

Cependant les armées prussiennes ont dépassé leurs limites; elles ont envahi la Saxe; elles menacent le territoire de la Confédération du Rhin, de l'inviolabilité duquel Votre Majesté est garante. Les troupes mêmes de Votre Majesté sont menacées. A peine arrivées devant nos avant-postes, les troupes prussiennes ont fait le service de guerre; elles ont refusé aux officiers français l'entrée de la Saxe; et la guerre s'est trouvée commencée sans que la cour de Berlin ait fait connaître quels sujets de mécontentement elle prétendait avoir, sans qu'elle ait tenté les moyens de conciliation, sans qu'elle ait rien fait pour éviter une rupture.

» Un silence si obstiné, si peu naturel, si incompréhensible d'une part, de l'autre une précipitation non moins inconcevable, prouvent assez qu'il ne faut point chercher de motif même apparent à ce qui n'est que le résultat d'une déplorable` intrigue.

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Deux partis, dont l'un veut la guerre, l'autre la paix, divisent depuis longtemps la Prusse. Le premier, dont les tentatives avaient été constamment déjouées, sentant qu'il ne pouvait réussir que par l'artifice, n'a eu qu'une pensée, qu'un dessein, qu'un but; c'était d'exciter des défiances, de présenter comme nécessaires des mesures qui devaient forcer la France à en prendre de semblables, d'écarter ensuite toute explication, d'empêcher que les deux gouvernemens ne puissent s'entendre, et de les placer dans une situation telle que la guerre en devînt une conséquence inévitable; projet malheureux, exécuté avec un succès que ses auteurs eux-mêmes pourront être un jour forcés de nommer funeste.

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