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» et la lui remit. Cette femme, grosse de plus de huit mois, s'éva>> nouissait à chaque mot qui lui découvrait jusqu'à quel point était » compromis son mari, dont elle reconnaissait l'écriture. L'empe» reur fut touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui » la déchiraient. Hé bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre ; jetez-là » au feu; cette pièce anéantie, je ne pourrai plus faire condamner » votre mari. (Cette scène touchante se passait près de la cheminée.) >> Madame de Hatzfeld ne se le fit pas dire deux fois. Immédiatement » après le prince de Neufchâtel reçut ordre de lui rendre son mari. >> La commission militaire était déjà réunie. La lettre seule de » M. de Hatzfeld le condamnait; trois heures plus tard il était fu» sillé. » ( Vingt-deuxième bulletin, du 29 octobre. )

Stettin, Custrin, Lubeck, Magdebourg, toutes les places fortes et toutes les villes commerciales de la Prusse tombèrent successivement au pouvoir des Français. Jamais un pays n'avait été affligé plus promptement des calamités réunies de la guerre. Indiquer les succès et les positions de la grande armée, ce serait décrire géographiquement les provinces prussiennes; dénombrer les prisonniers, les drapeaux, les canons, les munitions et approvisionnemens restés entre les mains des vainqueurs, ce serait dresser l'état de situation qui avant la guerre faisait encore du royaume de Frédéric une première puissance militaire. Le roi de Prusse avait tout joué; al avait presque tout perdu : de cent quatre-vingt mille hommes qu'il avait mis en campagne, il lui en restait environ dix mille. Réfugié dans la Vieille-Prusse, il demanda et obtint une suspension d'armes, qui fut signée le 16 novembre à Charlottenbourg, entre M. le général Duroc et M. de Lucchesini. Elle lui laissait Koenigsberg. Mais lorsqu'on la lui présenta il déclara ne pouvoir la ratifier, « qu'une partie des états encore en sa puissance était occupée par les Russes, qu'il se trouvait entièrement dans leur dépendance, qu'ainsi il ne pourrait en exécuter les stipulations. » En effet, les Russes avaient enfin paru sur plusieurs points; et déjà ils avaient échoué devant Varsovie. Les Polonais reçurent les Français comme des libérateurs et des frères. Ici commence une nouvelle guerre. « Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événemens est l'arbitre de ce grand problème politique; mais certes il n'y eut jamais d'événement plus mémorable, plus digne d'intérêt. » (Du vingt-troisième bulletin au trente-sixième compris ; du 30 octobre au 1er décembre.)

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XIX.

21

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PROCLAMATION.

· L'empereur a la grande armée.

Au quartier général impérial, à Posen,

le 2 décembre 1806.

Soldats, il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes, épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses. A peine échappés, par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance n'est déjà plus. Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, Tes déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment; vous avez tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche.

» C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne; l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski de retour de leur mémorable expédition.

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Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis, sur l'Elbe et l'Oder, Pondichery, nos établissemens des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas les soldats d'Austerlitz? Signé NAPOLÉON. »

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A cette proclamation était joint, daté du même jour, un décret portant entr'autres dispositions: 1o. « Il sera établi sur l'emplacement de la Madeleine de notre bonne ville de Paris, aux frais du tré>>sor de notre couronne un monument dédié à la grande armée, >>portant sur le frontispice : l'empereur Napoléon aux soldats de la grande armée. 2o. Dans l'intérieur du monument seront inscrits, » sur des tables de marbre, les noms de tous les hommes, par corps » d'armée et par régiment, qui ont assisté aux batailles d'Ulm, » d'Austerlitz et d'léna; et, sur des tables d'or massif, les noms de » tous ceux qui sont morts sur le champ de bataille. 3o. Autour de

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» la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront représentés les » colonels des régimens de la grande armée, avec leurs noms; ces » bas-reliefs scront faits de manière que les colonels soient groupés >> autour de leurs généraux de division et de brigade. Les statues >> en marbre des maréchaux seront placées dans l'intérieur de la »salle. 4°. Les armures, statues, monumens de toute espèce, » drapeaux, étendards, etc., enlevés par la grande armée dans ces >> deux campagnes, seront déposés dans l'intérieur du monument. » 50. Tous les ans, aux anniversaires des batailles d'Austerlitz et » d'léna, le monument sera illuminé, et il sera donné un concert, » précédé d'un discours sur les vertus nécessaires au soldat, et d'un » éloge de ceux qui périrent sur le champ de bataille dans ces > journées mémorables. 6o. Dans les discours, odes, etc., il est » expressément défendu de faire aucune mention de l'empereur.

SÉNAT.

Communication du décret impérial qui déclare les ILES BRITANNIQUES EN ÉTAT DE BLOCUS. - Levée de conscrits. - Séance du 2 décembre 1806 (1).

L'archi-chancelier préside. Après son discours d'ouverture il dépose sur le bureau des pièces dont lecture cst faite par un secrétaire.

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1o. MESSAGE de l'empereur et roi.

« Sénateurs nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les affaires générales de l'Europe, faire connaître à vous et à la nation les principes que nous avons adoptés comme règle de notre politique.

» Notre extrême modération après chacune des trois premières guerres a été la cause de celle qui leur a succédé. C'est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième coalition neuf mois après que la troisième avait été dissoute, neuf mois après ces victoires éclatantes que nous avait accordées la Providence, et qui devaient assurer un long repos au continent.

>> Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est plus tôt ou plus tard influencé par l'Angleterre, et, sans une solide paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l'unique objet de notre

(1) Jour anniversaire du couronnement et de la bataille d'Austerlitz,

vie. Aussi, malgré notre situation triomphante, nous n'avons été arrêtés dans nos dernières négociations avec l'Angleterre ni par l'arrogance de son langage, ni par les sacrifices qu'elle a voulu nous imposer. L'île de Malte, à laquelle s'attachait pour ainsi dire l'honneur de cette guerre, et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était la première cause, nous l'avions cédée; nous avions consenti à ce qu'à la possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure l'Angleterre joignît celle du cap de Bonne-Espérance.

» Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils de nos ennemis ont cessé d'être animés de la noble ambition de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de leur patrie, et la prospérité présente de leur patrie avec une prospérité durable; et aucune prospérité ne peut être durable pour l'Angleterre lorsqu'elle sera fondée sur une politique exagérée et injuste, qui dépouillerait soixante millions d'habitans, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de toute navigation.

» Immédiatement après la mort du principal ministre de l'Angleterre (Pitt), il nous fut facile de nous apercevoir que la continuation des négociations n'avait plus d'autre objet que de couvrir les trames de cette quatrième coalition, étouffée dès sa naissance.

>> Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables de notre conduite de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne soit conclue ; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues ; que les fondemens de la puissance Ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance absolue de ce vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement

consacrée.

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Nous avons mis les îles Britanniques en état de blocus, et nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à notre cœur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d'années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations; mais nous avons été contraints, pour le bien de nos peuples et de nos alliés, à opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il se servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la passion ni par la haine. Ce que nous avons offert après avoir dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous l'offrons encore aujourd'hui, que nos armes ont obtenu de

nouveaux triomphes. Nous sommes prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous sommes prêts à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette à qui que ce soit de s'arroger aucun droit de suprématie à notre égard; qu'elle rende les colonies à leur métrcpole, et qu'elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la prospérité à laquelle ils doivent atteindre.

» Et si l'ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce retard, il paraîtra long à notre cœur. Mais nous sommes certains que nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques; qu'ils jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une trève qui nous fait perdre tous nos avantages acquis pour donner lieu à une nouvelle guerre, et qu'enfin ce n'est que dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur.

» Nous sommes dans un de ces instans importans pour la destinée des nations; et le peuple français se montrera digne de celle qui l'attend. Le senatus-consulte que nous avons ordonné de vous proposer, et qui mettra à notre disposition dans les premiers jours de l'année la conscription de 1807, qui, dans les circonstances ordinaires, ne devrait être levée qu'au mois de septembre, sera exécuté avec empressement par les pères comme par les en fans. Et dans quel plus beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français ? Ils auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux, les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de leurs aînés.

» Donné à Berlin, le 21 novembre 1806. Signé Napoléon. »

2o. RAPPORT fait à l'empereur et roi par le ministre des relations extérieures.

་་

Sire, une quatrième coalition s'est formée: en moins d'un mois elle a été confondue; en moins d'un mois la Prusse a vu son armée, ses places fortes, sa capitale et ses provinces tombées au pouvoir de Votre Majesté ; et maintenant elle implore la paix.

>> Dans les coalitions précédentes chaque ennemi de la France, dès qu'il était vaincu, demandait aussi et obtenait la paix. On espérait que des paix particulières et successives conduiraient à une paix générale, honorable et sûre. Trois fois cette espérance a été déçue; trois fois l'expérience a prouvé qu'en suivant le même système de modération et de générosité la France serait constamment trompée. Chaque coalition détruite a en

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