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fanté une nouvelle coalition, et la France a été menacée d'une guerre éternelle.

L'Empire français est parvenu à un degré de puissance et de grandeur que Votre Majesté n'ambitionnait pas. Attaquée de toutes parts avec une fureur sans exemple, et placée dans l'alternative de périr ou de vaincre, la France n'a combattu que pour son salut, et, victorieuse, elle ne s'est servi de la victoire que pour faire éclater sa modération. Elle n'a point détruit ceux qui la voulaient détruire: elle avait fait d'immenses conquêtes; elle n'en a gardé qu'un petit nombre; elle en aurait encore moins gardé si les aveugles passions qui rugissaient autour d'elle ne l'eussent pas mise dans la nécessité de s'agrandir pour se préserver. Aujourd'hui, qu'elle est attaquée pour la quatrième fois avec le même esprit de haine et dans les inêmes vues de destruction, Votre Majesté n'a d'autre but que de recouvrer ce qui est indispensable à la prospérité de son peuple; mais c'est un but qu'elle ne saurait atteindre qu'en profitant de toute la grandeur de ses avantages, et en réservant ses conquêtes comme objets de compensation dans les arrangemens de la paix générale.

Deux puissances ennemies du repos de l'Europe se sont unies pour y perpétuer la discorde et la guerre. Les objets de leur ambition sont différens; mais une même haine les anime contre la France, parce qu'elles savent que la France ne peut cesser de s'opposer à l'accomplissement de leurs pernicieux desseins. Occupées sans cesse à lui chercher, à lui susciter des ennemis, elles emploient à cet effet tous les genres d'artifices et 'intrigues, les menaces, les caresses, lá corruption, la calomnie; et quand elles aspirent à tout envahir, à tout opprimer, à tout asservir; c'est la France qu'elles accusent d'y prétendre.

» L'Angleterre tend à naviguer exclusivement sur les mers; elle s'arroge le monopole de tous les commerces et de toutes les industries; et toutes les fois que l'irrésistible force des événemens a obligé la France d'intervenir dans les affaires des petits états ses voisins, et d'y intervenir pour leur repos, l'Angleterre a donné le signal des accusations et des plaintes ; la première elle a sonné l'alarme; et parce que quelques villes ou quelques pays, soumis depuis des siècles à l'influence de la France, y étaient encore soumis, elle a présenté la France comme menaçant l'indépendance des grands états. Etait-ce sur des petits états qui fussent soumis depuis des siècles à son influence, et comme entraînés dans sa sphère d'activité; n'étaitce pas au contraire sur des états considérés dans tous les temps comme principaux en Europe, que l'Angleterre exerça ses violences lorsque les puissances du nord, qui s'étaient unies pour

défendre les principes éternels de la neutralité, furent forcées de souscrire à ses prétentions monstrueuses, et de sacrifier avec leurs propres intérêts les plus chers intérêts de la France ? Alors l'indépendance des nations ne fut pas seulement menacée; elle fut attaquée, violée, et, autant qu'il dépendait de l'Angleterre, anéantie. De quoi servit-il que l'Angleterre eût été obligée de reconnaître, par la convention de Presbourg, un petit nombre de principes que ni ses séductions ni ses menaces n'avaient pu faire abandonner? Immédiatement après elle les foula ouvertement aux pieds, ou les éluda, en abusant de la manière la plus tyrannique à la fois et la plus insensée du droit de blocus. Ce droit ne peut, d'après la raison et d'après les traités, s'appliquer qu'aux places investies et en danger d'être prises. Elle prétendit l'étendre aux havres, à l'embouchure des rivières, à des côtes entières, et enfin à tout un empire. Certes la France ne fut jamais investie et en danger d'être prise par l'Angleterre, et la France tout entière a été déclarée en état de blocus. En agissant de la sorte l'Angleterre n'annonce-t-elle pas hautement qu'elle ne reconnaît aucune loi, que les traités ne sont rien pour elle, qu'elle n'admet d'autre droit que celui de la force, et qu'elle répute légitime tout ce qu'elle peut impunément faire?

» Le gouvernement de Russie, quand il devrait être occupé uniquement du soin de vivifier ses inmenses états, et d'expier, par les bienfaits d'une sage législation et d'une administration paternelle, le crime qui fit en un jour descendre du rang des nations indépendantes une nation ancienne, nombreuse, illustre, et digne d'un meilleur sort, convoite et menace d'engloutir encore le vaste et superbe empire des Ottomans. Les mêmes manoeuvres qu'il employa contre la Pologne il les emploie aujourd'hui contre la Turquie; il souffle dans ses provinces l'esprit de sédition et de révolte. Il excite, il arme, il soutient les Serviens contre la Porte; il renouvelle sur la Morée les tentatives qu'il avait faites, mais sans fruit, en 1778. La Valachie et la Moldavie étaient gouvernées par deux chefs infidèles et traîtres; la Porte les avait déclarés tels par un firman, et les avait déposés. La Russie, non contente de leur donner asile, a fait marcher des troupes sur le Dniester, et, menaçant la Porte de lui déclarer la guerre, elle a exigé leur rétablissement. La Porte a eu la douleur de se voir contrainte de remettre en place ses ennemis déclarés, et de déposer les hommes de son choix. Ainsi son indépendance a été violée par un attentat qui blesse à la fois la dignité de tous les trônes. Du moment qu'elle n'a plus le choix de ses gouverneurs, elle n'est plus souveraine; elle est vassale, ou plutôt la Valachie et la Moldavie ne lui appar

tiennent plus que de nom, et ces deux grandes et riches provinces, gouvernées par des hommes vendus à la Russie, sont devenues pour celle-ci une véritable conquête.

» Avec de tels ennemis, dont la modération de Votre Majesté n'a pu désarmer la haine, et qui, nonobstant ses victoires, marchent toujours à leur but, n'écoutant que leur passion et ne respectant aucun droit, Votre Majesté n'est pas libre de suivre les mouvemens de sa générosité. Le penchant même qui la porte à désirer la paix lui fait une loi de ne se dessaisir d'aucune de ses conquêtes que l'indépendance entière et absolue de l'empire Ottoman, indépendance qui est le premier intérêt de la France, ne soit reconnue et garantie; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises, dont la diversion, opérée par les quatre coalitions, a seule entraîné la perte, ne soient restituées, et qu'un code général ne soit adopté conforme à la dignité de toutes les couronnés, et capable d'assurer les droits de toutes les nations sur les mers.

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La justice et la nécessité de cette détermination seront universellement senties; elle sera un bienfait pour les alliés de Votre Majesté et pour toutes les villes commerçantes de son Empire, qui n'ont été dépouillées qu'à la faveur de ces mêmes guerres dont les événemens ont mis au pouvoir de Votre Majesté tant de vastes états. Dans tout autre système les intérêts de ces alliés et de tant de cités populeuses seraient abandonnés ; le fruit des plus étonnantes victoires serait perdu, et la France, au milieu de triomphes inouïs, après tant d'exploits qui l'ont agrandie et comblée de gloire, n'aurait aucune perspective de repos; elle n'entreverrait pas l'époque où elle pourrait déposer les armes, se consacrer aux paisibles occupations de l'industrie et du cominerce, auxquelles la nature l'appelle, et faire sur un autre théâtre des conquêtes moins éclatantes, mais plus douces, qu'elle n'aurait point achetées par l'effusion d'un sang qui lui est si cher, et qui, égalant son bonheur à sa gloire, ne coûteraient à l'humanité aucunes larmes.

»Berlin, le 15 novembre 1806. Signé C.-M. TALLEYRAND, prince de Bénévent. »

3o. Autre RAPPORT du ministre des relations extérieures.

« Sire, trois siècles de civilisation ont donné à l'Europe un droit des gens que, selon l'expression d'un écrivain illustre, la nature humaine ne saurait assez reconnaître.

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Ce droit est fondé sur le principe que les nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de inal qu'il est possible.

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D'après la maxime que la guerre n'est point une relation d'homme à homme, mais une relation d'état à état, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes, non pas même comme membres ou sujets de l'état, mais uniquement comme ses défenseurs, le droit des gens ne permet pas que le droit de guerre, et le droit de conquête, qui en dérive, s'étendent aux citoyens paisibles et sans armes aux habitations et aux propriétés privées, aux marchandises du commerce, aux magasins qui les renferment, aux chariots qui les transportent, aux bâtimens non armés qui les voiturent sur les rivières ou sur les mers, en un mot à la personne et aux biens des particuliers.

» Ce droit, né de la civilisation, en a favorisé les progrès c'est à lui que l'Europe a été redevable du maintien et de l'accroissement de sa prospérité au milieu même des guerres fréquentes qui l'ont divisée.

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L'Angleterre seule a conservé ou repris les usages des temps barbares. C'est par son refus de renoncer à la course maritime que cette pratique injuste et cruelle a été maintenue, malgré la France, qui en temps de paix, et mue uniquement par des idées de justice et d'humanité, avait proposé de l'abolir.

» La France a tout fait pour adoucir du moins un mal qu'elle n'avait pu empêcher. L'Angleterre, au contraire, a tout fait pour l'aggraver.

» Non contente d'attaquer les navires de commerce et de traiter comme prisonniers de guerre les équipages de ces navires désarmés, elle a réputé ennemi quiconque appartenait à l'état ennemi, et elle a fait aussi prisonniers de guerre les facteurs du commerce et les négocians qui voyageaient pour les affaires de leur négoce.

» Mais il ne pouvait suffire à ses vues d'envahir ainsi des propriétés privées, de dépouiller et d'opprimer des particuliers innocens et paisibles. Restée longtemps en arrière des nations du continent, qui l'ont précédée dans la route de la civilisation, et en ayant reçu d'elles tous les bienfaits, elle a conçu le projet insensé de les posséder seule, et de les leur ôter. Elle voudrait qu'il n'y eût sur la terre d'autre industrie que la sienne, et d'autre commerce que celui qu'elle ferait elle-même. Elle a senti que pour réussir il ne lui suffirait pas de troubler, qu'elle devait encore s'efforcer d'interrompre totalement les communications entre les peuples. C'est dans cette vue que, sous le nom de droit de blocus, elle a inventé et mis en pratique la théorie la plus monstrueuse.

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D'après la raison et l'usage de tous les peuples policés, le droit de blocus n'est appliquable qu'aux places fortes.

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L'Angleterre a prétendu l'étendre aux places de commerce non fortifiées, aux havres, à l'embouchure des rivières.

: » Une place n'est bloquée que quand elle est tellement investie qu'on ne puisse tenter d'en approcher sans s'exposer à un danger imminent.

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» L'Angleterre a déclaré bloqués les lieux devant lesquels elle n'avait pas un seul bâtiment de guerre.

» Elle a fait plus, elle a osé déclarer en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies étaient incapables de bloquer, des côtes immenses, et tout un vaste empire.

Tirant ensuite d'un droit chimérique et d'un fait supposé la conséquence qu'elle pouvait justement faire sa proie, et la faisant en effet, de tout ce qui allait aux lieux mis en interdit par une simple déclaration de l'amirauté britannique, et de tout ce qui en provenait, elle a effrayé les navigateurs neutres, et les a éloignés des ports que leur intérêt les invitait et que la loi des nations les autorisait à fréquenter.

>> C'est ainsi qu'elle a fait tourner à son profit, et au détriment de l'Europe, mais surtout de la France, l'audace avec laquelle elle se joue de tous les droits, et insulte à la raison

même.

» Contre une puissance qui méconnaît à ce point toutes les idées de justice et tous les sentimens humains, que peut-on faire, sinon de les oublier un instant soi-même pour la contraindre à ne les plus violer? Le droit de la défense naturelle permet d'opposer à son ennemi les armes dont il se sert, et de faire, si je puis ainsi parler, réagir contre lui ses propres fureurs et sa folie. De plus, quand les principes de la civilisation sont attaqués par des entreprises sans exemple, et que l'Europe entière est menacée, la préserver et la venger n'est pas seulement un droit, c'est encore un devoir pour la puissance qui seule en a les moyens.

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Puisque l'Angleterre a osé déclarer la France en état de blocus, que la France déclare à son tour que les íles Britanniques sont bloquées!

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Puisque l'Angleterre répute ennemi tout Français, que tout Anglais ou sujet de l'Angleterre trouvé dans les pays occupés par les arinées françaises soit fait prisonnier de guerre!

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Puisque l'Angleterre attente aux propriétés privées des négocians paisibles, que les propriétés de tout Anglais et sujet de l'Angleterre, de quelque nature qu'elles soient, soient confisquées?

>>

» Puisque l'Angleterre veut anéantir toute industrie sur le continent, quiconque fait le commerce des marchandises

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