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Jamais un plus digne hoinmage ne fut plus noblement offert dans le sanctuaire de la législation, et la France entière a répété vos voeux pour le prince qui a détróné l'anarchie, reposé l'ordre social sur ses véritables bases, et qui tend par ses constans efforts à rendre le repos à sa patrie, l'indépendance aux mers, et la paix au monde!

» En retournant, messieurs, au milieu de vos concitoyens, vous leur porterez tous ces grands souvenirs; vous recevrez les justes hommages qu'ils rendront à votre sagesse ; vous les verrez jouir des bienfaits des leis que vous avez sanctionnées, et vous pourrez, avec une noble fierté, leur répéter ces paroles si vraies que l'empereur proférait dans cette enceinte : Princes, soldats, magistrats, citoyens, nous n'avons tous qu'un seul but, l'intérêt de la patrie ! »

III.

DIPLOMATIE. RELATIONS AVEC L'ANGLETERRE.

Communication (1) faite au Sénat, par ordre de l'empereur, dans la séance extraordinaire du 15 pluviose an 13. (4 février 1805.) — Présidence de S. A. l'archichancelier de l'Empire (Cambacérès).

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DISCOURS de l'archichancelier.

Messieurs, Sa Majesté a fait de nouveau connaître au gouvernement de la Grande-Bretagne les dispositions pacifiques dont les plus flatteuses espérances ne l'ont détourné dans aucune circonstance de sa vie, et qui toujours lui ont fait préférer à la gloire des armes le repos du monde et le bonheur de l'humanité.

» Si la réponse du cabinet de Londres n'a point été telle qu'on avait lieu de l'espérer, la démarche de l'empereur n'en conserve pas moins tout son éclat. Il est beau de voir un prince accoutumé à vaincre déplorer les malheurs de la guerre, s'oc

(1) Cette communication avait été transmise le même jour au Corps législatif par M. de Ségur, conseiller d'état, et au Tribunat par M. le conseiller d'état Regnault (d'Angely ).

emper sans relâche d'assurer à l'Europe les douceurs de la paix, et renoncer pour ainsi dire à l'esprit de conquête dans l'âge où la force des passions donne tant d'empire à la voix de l'ambition, et en laisse si peu aux conseils de la sagesse.

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soit le résultat de cette ouverture, l'amour des Quel que Français pour leur prince, la reconnaissance de l'Europe l'admiration même de ses ennemis, sont une récompense digne de son cœur, et qui ne peut lui échapper.

» S. M. l'empereur, voulant donner au Sénat un nouveau témoignage de sa confiance, a ordonné, messieurs, que sa lettre au roi d'Angleterre fût mise sous vos yeux, ainsi que la réponse qui a été faite à cette lettre au nom du gouvernement britannique.

"

» Tel est l'objet de la présente séance, que j'ai reçu la mission de présider, et dans laquelle le ministre des relations extérieures se trouve pour satisfaire aux intentions de S. M. »

RAPPORT par Son Excellence le ministre des relations extérieures (Talleyrand)

La solennité nationale du couronnement, ce noble et. nécessaire complément de nos institutions sociales, tenait à des sentimens trop profonds et trop universels pour ne pas Occuper l'attention entière de toutes les classes de l'Etat. Aux approches, à la suite de ce grand événement intérieur, qui vie:it d'assurer à jamais les destins de la France, en consacrant par la voix des hommes et par celle du ciel tout ce que nous avons acquis de gloire, de grandeur et d'indépendance, on a généralement, et comme par une commune impression, sent i diminuer et s'affaiblir l'intérêt de tous les autres événemen s; la pensée même de la guerre, au sein d'une nation qui doit tant à ses victoires, a semblé disparaître.

"Tout est accompli; l'Empire est fondé; et en reprenant les soins extérieurs, et en rappelant les esprits aux interêts de la guerre, le premier sentiment de l'empereur a été de s'élever au dessus de toutes les passions, et de justifier la grande destinée que la Providence lui réserve, en se montrant inaccessible à la haine, à l'ambition, à la vengeance.

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S'il existe des hommes qui ont conçu le projet de nous combattre avec les armes du crime, qui ont, autant qu'il a été en eux, réalisé cette cruelle pensée, qui ont soudoyé des assassins, et qui dans ce moment encore salarient nos ennemis, c'est de ces passions mêmes que l'empereur a voulu triompher. Plus il est naturel et commun de ressentir une vive irritation

contre des attaques personnelles, plus il a senti qu'il était d'une âme supérieure de s'y montrer inaccessible.

» Cette détermination est grande, mais elle s'éloigne des règles ordinaires; et, dans une aussi rare circonstance, je dois oublier un instant le principe de bienséance qui dans d'autres temps me défendrait d'offenser par des louanges le souverain dont j'ai l'honneur d'être ministre. Ici je ne puis expliquer des démarches dont la générosité suppose l'oubli des lois communes de la prudence, sans les justifier; et, sans qu'il y ait de mon intention, mes justifications sont des éloges.

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L'empereur a fait les premières avances vers un gouvernement qui a eu le tort de l'agression, qui a manifesté sans motif et sans ménagement envers lui et envers nous les sentimens d'une haine exaltée. Pour bien comprendre une telle modération il faut se reporter aux souvenirs du passé, et suivre la marche de notre auguste souverain dans toute l'étendue de sa noble carrière. Les hommes qui ont fait une étude de son caractère n'ont-ils pas reconnu dans l'essor audacieux, dans l'exécution vigoureuse et constante de toutes ses entreprises, un fond de calme et de prudence qui les tempérait, une retenue qui prévenait tout abus, une verve enfin de justice et d'humanité qui tendait sans cesse à modérer les effets et à rapprocher le terme des violences nécessaires?

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Ainsi, après une suite d'avantages, arrivé sur les bords de la Drave, loin de se laisser entraîner à des espérances dont la fortune la plus libérale semblait vouloir l'enivrer, il calcula qu'il était plus utile à la France et à ses ennemis de s'entendre. Il combattit le grand attrait de la gloire par le grand intérêt de l'humanité. Il entendit les cris des victimes qui devaient incessamment être iminolées dans les derniers débats d'une guerre implacable, et il fit des propositions de paix.

» Dès lors, avec cette vue d'avenir qui devance les événemens et les distingue dans les causes mêmes qui doivent les produire, il avait vu tout le sang qui devait couler sur le champ de Marengo, sur celui d'Hohenlinden; et, insensible aux présages qui promettaient à la France, à sa brave armée, de nouveaux lauriers et de nouvelles conquêtes, il n'écouta, que la sagesse et l'humanité, qui légitiment la gioire, mais commandent des sacrifices,

» Le même principe lui inspira la même magnanimité lorsqu'appelé à prendre les rênes du gouvernement, il réunit le titre de premier consul à la renommée de son généralat, ét les pouvoirs de la première magistrature à l'ascendant immense de la gloire qu'il avait acquise. Partout il adress,a des paroles de paix, et il réussit à se faire entendre. Le continent pacifié,

il restait encore un ennemi à la France : le 5 nivose de l'an 8 il proposa la paix au roi d'Angleterre (1).

Le vainqueur généreux de l'an 5, le premier consul, pacificateur de l'an 8, devait se retrouver avec la même modération magnanime dans l'auguste souverain à qui le ciel a confié nos destinées. Les degrés du pouvoir, la diversité des positions ne changent rien à ces qualités éminentes qu'on pourrait justement appeler des vertus de caractère; et l'empereur a dû proposer une troisième fois la paix, pour prouver que ce n'était pas en vain qu'il avait dit dans une occasion solennelle ces paroles à jamais mémorables : « Soldat ou preinier consul, je n'ai eu qu'une pensée; empereur, je n'en ai point

>> d'autre. »

Depuis deux ans la guerre est déclarée, et n'a pu commencer encore. Toutes les actions ont été en préparatifs, en projets; mais le moment étant arrivé où l'exécution devait amener des événemens réels, et faire naître les plus terribles chances, l'empereur a pensé qu'il était dans les principes de cette religion politique, qui sans doute attire sur les pensées et sur les efforts des princes justes et généreux l'assistance du ciel, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir de grandes calamités en faisant la paix.

>> J'ai l'ordre de vous communiquer la lettre que, dans cette vue de modération et d'humanité, l'empereur a jugé convenable d'écrire à S. M. le roi d'Angleterre.

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Lettre de l'empereur au roi d'Angleterre.

« Monsieur mon frère, appelé au trône de France par la » Providence et par les suffrages du Sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un vœu de paix. La >> France et l'Angleterre usent leur prospérité. Elles peuvent » lutter des siècles; mais leurs gouvernemens remplissent-ils » bien le plus sacré de leurs devoirs? et tant de sang versé » inutilement et sans la perspective d'aucun but ne les ac»cuse-t-il pas dans leur propre conscience? Je n'attache point » de déshonneur à faire le premier pas : j'ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre ; elle ne m'offre d'ailleurs rien que je doive redou»ter. La paix est le vœu de mon cœur; mais la guerre n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure Votre Majesté » de ne pas se refuser au bonheur de donner elle-même la paix

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(1) Voyez, dans le tome xvi de ce recueil, la lettre du premier consul au roi d'Angleterre, et la réponse de lord Grenville.

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au monde; qu'elle ne laisse pas cette douce satisfaction & ses enfans: car enfin il n'y eut jamais de plus belle circons»tance ni de moment plus favorable pour faire taire toutes, » les passions, et écouter uniquement le sentiment de l'hu»manité et de la raison. Ce moment une fois perdu, quel » terme assigner à une guerre que tous mes efforts n'auraient pu » terminer? Votre Majesté a plus gagné depuis dix ans en ter>> ritoire et en richesses que l'Europe n'a d'étendue ; sa nation » est au plus haut point de prospérité. Que veut-elle espérer » de la guerre? Coaliser quelques puissances du continent? Le » continent restera tranquille; une coalition ne ferait qu'ac» croître la prépondérance et la grandeur continentale de la » France. Renouveler des troubles intérieurs? Les temps ne » sont plus les mêmes. Détruire nos finances? Des finances » fondées sur une bonne agriculture ne se détruisent jamais. » Enlever à la France ses colonies? Les colonies sont pour la >> France un objet secondaire ; et Votre Majesté n'en possède-telle déjà pas plus qu'elle n'en peut garder? Si Votre Majesté >> veut elle-même y songer, elle verra que la guerre est sans but, sans aucun résultat présumable pour elle. Eh! quelle > triste perspective de faire battre les peuples pour qu'ils se >> battent! Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre, et la raison a assez de puissance pour qu'on » trouve les moyens de tout concilier, si de part et d'autre on »en a la volonté. J'ai toutefois rempli un devoir saint et pré>> cieux à mon cœur. Que Votre Majesté croie à la sincérité » des sentimens que je viens de lui exprimer, et à mon désir » de lui en donner des preuves. Sur ce, etc., etc.

»

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Paris, ce 12 nivose an 13 (2 janvier 1805). Signé NAPO

» LÉON. >>

» En calculant les avantages de notre position, et en pensant à cet élan unanime d'affection et de respect qui, dans les dernières circonstances, nous a fait voir la France entière toute disposée à se dévouer pour maintenir l'honneur du nom français, la gloire du trône et la puissance de l'Empire, je ne cacherai pas qu'étant seul admis, comme ministre, dans la confiance d'une telle détermination, j'ai dû, pour l'apprécier tout entière, la considérer moins en elle-même que dans son principe héroïque, et la voir plutôt comme conséquence de caractère que comme application d'une maxime d'état. Si tout autre prince m'eût manifesté une telle disposition, j'eusse cru que l'honneur de ma place et mon dévouement personnel me faisaient une loi de la combattre par mes conseils.

» Et en effet, quelle est notre position, et de quel côté

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