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I. - Jugement rendu, le 15 février 1899, par le tribunal civil de Blois.

(EXTRAIT.)

Attendu que Bigot (Ernest) exploite à Vineuil, commune de Bourré, une carrière de pierres sise en partie sous un immeuble lui appartenant et au-dessous d'une carrière intermédiaire, dite de la Rollanderie;

Que, dans cette dernière carrière, d'étendue considérable et d'origine fort ancienne, mais actuellement abandonnée, un s Bonroy, propriétaire à Bourré, a établi une importante culture de champignons ;

Que Bigot avait toujours circulé dans l'étage occupé par Bonroy pour assurer la sécurité de son exploitation et rechercher notamment, au fur et à mesure de l'avancement de ses travaux, l'emplacement des piliers de la carrière supérieure pour y juxtaposer les siens, conformément, d'ailleurs, aux prescriptions des règlements administratifs qui exigent que les supports soient disposés de façon que ceux d'un étage correspondent à ceux des autres étages pour qu'il y ait toujours plein sur plein, vide sur vide;

Qu'il se disposait, en septembre 1897, à user encore de ce qu'il considérait être pour lui l'exercice d'un droit, lorsqu'il constata que Bonroy avait fait édifier un mur qui interceptait toute circulation; qu'il démolit le mur et continua à passer comme précédemment;

Que Bonroy, contestant à Bigot le droit à un passage quelconque dans sa carrière, réédifia un nouveau mur bouchant l'accès des galeries; qu'il imagina aussi de forer un puits perçant complètement le ciel de la galerie inférieure et de déverser les déblais dans l'étage de Bigot en quantité telle que ce dernier dut sus

pendre son exploitation à cause de l'impossibilité où il se trouvait de faire pénétrer des charrettes pour l'enlèvement des pierres ;

Que, dès lors Bigot, par exploit en date du 6 octobre 1897, fit assigner Bonroy en référé pour faire constater l'état de la carrière de ce dernier et obtenir la suppression des obstacles portés à son exploitation; que Bonroy ayant excipé de son droit de propriété exclusif sur la carrière et de ce que, par suite, il avait agi dans la plénitude de son droit, le juge des référés décida que la demande d'enlèvement tant du mur que des déblais jetés dans la galerie inférieure, constituait une question intéressant le fond du procès et renvoya les parties à se pourvoir au principal; qu'il nomma néanmoins trois experts pour visiter les lieux litigieux et en décrire l'état, après s'être fait représenter les titres des parties;

Que les experts ont procédé à la mission à eux confiée et déposé, le 2 mars 1898, le procès-verbal de leurs opérations;

Que Bigot a fait alors assigner Bonroy devant le tribunal civil de Blois à raison des faits ci-dessus et aussi parce que ce dernier s'est permis de creuser des galeries et d'extraire de la pierre sous un certain nombre de propriétés sous lesquelles il possède le droit exclusif d'extraction; qu'il conclut, en conséquence, à ce que le tribunal décide: 1° que Bonroy n'a aucun droit d'occuper ni de faire un travail quelconque sous les terrains desdites propriétés; 2o qu'il a le droit de pénétrer librement dans les carrières supérieures à l'effet de faire les vérifications imposées par l'administration des mines; 3° que tous les obstacles apportés à l'accès des galeries supérieures soient détruits; 4o que la suppression du puits et l'enlèvement des décombres jetés par ce puits soient ordonnés; 5o enfin, que, pour le préjudice causé, il lui soit alloué 10.000 francs de dommages-intérêts; ́

Qu'en réponse à cette demande, Bonroy persiste à soutenir comme il l'a fait en référé que, tant par lui-même que par ses auteurs, il a acquis, depuis un temps immémorial, la légitime propriété de la carrière litigieuse, dite de la Rollanderie;

Que, de son côté, Bigot réplique en déniant formellement au défendeur le droit qu'il invoque;

Que toute la question se résume donc dans l'examen et la discussion des titres communiqués par les parties;

Attendu que le premier titre produit par Bonroy est un procèsverbal d'adjudication du 12 janvier 1840 régulièrement approuvé par le préfet de Loir-et-Cher, procès-verbal en vertu duquel la

commune de Monthou-sur-Cher vendait, aux s's René et Basilide Soudée, la cave perrière de la Rollanderie;

Que les acquéreurs de ladite cave étant tombés en faillite, elle fut revendue suivant procès-verbal d'adjudication du 29 août 1847 au rapport de Me Jacquet de Nay, notaire à Montrichard, au s Lelarge, qui, à l'occasion du mariage de Bonroy, défendeur actuel, en a fait abandon à ce dernier aux termes d'une institution contractuelle, en date du 9 novembre 1882;

Que Bigot soutient que ces titres ne lui sont pas opposables et que la commune de Monthou-sur-Cher n'avait pas le droit de vendre cette carrière, puisqu'elle n'en était pas elle-même propriétaire;

Que c'est à tort que Bigot prétend tout d'abord que ces différents titres ne peuvent être invoqués contre lui; que la preuve, en effet, d'un droit de propriété, peut être faite même à l'aide de titres auxquels celui qui se les voit opposer n'a pas été partie ni par lui, ni par ses auteurs (Cassation, 27 décembre 1865);

Qu'il n'est pas plus fondé à soutenir que la commune de Monthou-sur-Cher, a vendu, le 12 janvier 1840, un bien qui ne lui appartenait pas;

Qu'en effet la carrière de la Rollanderie était, depuis un temps immémorial, exploitée en commun par les habitants de Monthou-sur-Cher qui, suivant leurs besoins, en extrayaient de la pierre, dont ils disposaient à leur gré, sans payer de redevance à personne;

Qu'en 1819, à raison des développements de l'exploitation comme aussi des éboulements qui s'étaient produits par suite du ma uvais état de la carrière dû à l'incurie ou à l'incapacité des habitants qui creusaient sans aucune précaution, l'administration crut devoir intervenir pour étudier les mesures à prendre pour assurer la sécurité des exploitants et celle des édifices situés audes sus de la carrière;

Que c'est ainsi que fut publié, le 28 novembre 1820, un arrêté préfectoral portant règlement des carrières de Bourré, Monthousur-Cher et Montrichard, dans lequel on lit que le produit de cette exploitation est avantageux pour le canton de Montrichard, dans lequel elle est située, puisque le nombre des ouvriers qu'elle fait subsister est de 55 à 60, et que le produit brut des matériaux donne lieu à une recette annuelle de 18.000 à 19.000 francs;

Que ces faits répétés d'extraction pratiqués, au vu et au su de tous, par de nombreuses personnes, sans protestations des propriétaires du sol sis au-dessus de la carrière, rapprochés de cette circonstance que la commune de Monthou-sur-Cher payait, depuis

des temps fort anciens, l'impôt de la pièce de terre sur laquelle ouvrait la carrière, démontrent bien que ladite commune était en possession des galeries de la Rollanderie et que cette possession prolongée lui en a fait acquérir la propriété par prescription; Que les communes, en effet, acquièrent et conservent la possession, puis prescrivent ensuite par ceux qui les représentent et même par les habitants qui les composent (Dalloz, Verbo Prescription civile, no 247); que, d'autre part, la propriété des carrières peut, séparément de la surface, s'acquérir par la prescription au moyen d'une possession réunissant les conditions voulues par la loi et notamment, comme dans l'espèce actuelle, la condition de publicité (Pandectes françaises, Verbo Mines, no 1865); qu'enfin cette jouissance commune des habitants prouve que la carrière était un bien communal, puisque aux termes des articles 1 de la loi du 10 juin 1793 et 542 du code civil, les biens communaux sont ceux sur la propriété ou le produit desquels tous les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit commun;

Que, d'ailleurs, le droit de propriété de la commune de Monthou-sur-Cher ne faisait doute pour personne, puisqu'en 1835, le conseil municipal de cette commune reconnaissait formellement à la carrière le caractère de bien communal et demandait, dans sa délibération du 20 avril, que le préfet lui fasse obtenir l'autorisation de la vendre pour le prix en provenir être versé à la caisse municipale; que, pour justifier cette aliénation, il était ajouté que la commune ne retirait aucun revenu de la carrière, bien qu'elle en payât les impôts depuis un temps immémorial;

Que cette demande d'autorisation d'aliéner fut suivie d'une enquête de commodo et incommodo à laquelle il fut procédé, le 29 juin 1835; que, dans cette enquête, si les uns furent partisans de l'aliénation ou, tout au moins, de la location au profit de la commune, et si d'autres, pour des motifs spéciaux, demandèrent que la carrière fût conservée, il convient de remarquer que le caractère de bien communal ne fut contesté par personne, mais, au contraire, formellement reconnu par tous; que, si les auteurs de Bigot avaient eu un droit quelconque à prétendre sur la carrière mise en vente, ils n'auraient pas manqué de le faire; qu'à ce point de vue il n'est pas sans intérêt de retenir que, parmi ceux qui se montrèrent favorables à l'aliénation au profit de la commune et signèrent le procès-verbal de l'enquête, se trouvaient les srs Germain Gilles père et fils, auteurs de Bigot, puisqu'ils sont devenus propriétaires, les 13 et 14 juillet 1846, des biens aujourd'hui détenus par ce dernier;

Que le conseil municipal, à la suite de cette enquête, émit à nouveau l'avis, le 13 août 1835, qu'il convenait de vendre la carrière communale de la Rollanderie, dont les galeries étaient indiquées sur un plan qui fut dressé, le 24 avril 1835, par un s' Duleyer, pour que les adjudicataires soient bien fixés sur l'étendue des biens dont ils devenaient acquéreurs;

Qu'enfin une ordonnance royale du 28 décembre 1835 autorisa la commune, dont le droit de propriété était ainsi définitivement consacré, à vendre sa carrière; que cette vente fut réalisée, le 12 janvier 1840, au profit des srs Soudée, auxquels, comme titre -de propriété, remise fut faite du plan dont il vient d'être question;

Qu'en supposant, d'ailleurs, pour un instant, que la commune venderesse ne fût pas propriétaire du bien vendu, les acquéreurs et, après eux, le s' Lelarge, qui leur a succédé en août 1847, n'en seraient pas moins fondés à invoquer à leur profit les dispositions de l'article 2265 du code civil; qu'ils pouvaient, en effet, aux termes de l'article 2235, joindre leurs possessions respectives; qu'ils avaient, de plus, la juste opinion qu'ils avaient acquis la propriété de l'immeuble qu'ils possédaient; qu'enfin ils avaient un titre qui, abstraction faite du point de savoir s'il émane du véritable propriétaire et d'une personne capable d'aliéner, est propre à conférer un droit de propriété; qu'en détenant à titre de propriétaires, au vu et au su de tous, depuis la vente de 1840, ils ont acquis eux-mêmes la propriété qu'ils conservent, tant qu'un autre n'a pas prescrit contre eux;

Que, si l'on recherche maintenant quelle peut être l'étendue du droit de propriété que la commune pouvait avoir lors de la vente, le tribunal est amené à décider que ce droit s'appliquait non seulement au sol même de la carrière, mais à tout le terrain situé au-dessous usque ad infera, en vertu du principe même de l'article 552 du code civil; qu'en effet la présomption légale créée par cet article ne profite pas seulement au propriétaire de la superficie, mais aussi au propriétaire d'une carrière souterraine pour toute l'étendue de terre sise au-dessous du sol de la carrière; que rien dans la loi ne s'oppose à cette interprétation, qui peut, d'ailleurs, s'induire de ce que Demolombe (De la propriété, no 650) dit formellement que, lorsque la surface et la mine appartiennent à des propriétaires différents, « le propriétaire de la surface ne peut plus évidemment désormais faire des fouilles au-dessous de la mine ».

Attendu que si maintenant on recherche quels sont les titres

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