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CHAPITRE SEIZIÈME.

LES FINANCES SOUS LA RESTAURATION.

(1825.)

SOMMAIRE. L'indemnité des émigrés. Son but. Opinion de Napoléon sur les émigrés; sur l'indemnité qui leur était due. Rapport de M. de Martignac. Premier projet du roi Louis XVIII. Phases de cette grande question. Objections. Comment les ventes des biens des émigrés avaient été faites. Estimation de ces biens. Loi du 12 prairial an III. Les deux catégories d'estimation. Montant de la somme totale à restituer aux émigrés. Moyens proposés. Émission de 30 millions de rentes en cinq ans. Conditions à remplir pour avoir droit à l'indemnité. Mesures relatives à la liquidation. Les biens concédés aux hospices à titre définitif ou provisoire. Distinction à établir pour rentrer en leur possession. Oppositions des créanciers. Leurs conditions. Rapport de M. Pardessus. Vingt-deux amendements ou propositions. La discussion générale. Composition de la Chambre des députés. Ses opinions. Les partis. Discours de MM. Labbey de Pompières et Méchin. M. de Lezardière conteste les bases de l'estimation des biens. Réponse de M. de Vaublanc. Attaques de M. de La Bourdonnaye. Il renie la Charte. Réplique de M. Corbière, ministre de l'intérieur. Explications nouvelles de M. de Martignac. Proposition de M. de Laurencin. Le général Foy. M. de Villèle intervient. Son grand discours. Incident grave de M. Duplessis-Grenedan. Tumulte. Opinion de M. Benjamin Constant sur la fidélité des émigrés. Réponse de M. de Villèle. Résumé du rapporteur. La discussion des articles. Article 1er. Amendement Breton. Rejet. Amendement de la commission. Adoption. Admission de la proposition Wangen relative aux biens situés en France au 1er janvier 1792. Article 11. Estimation des biens. Vingt fois le revenu de 1790. Discus

sion sur cette estimation. M. de Lezardière. Proposition de commissions départementales. Réponse de M. de Villèle. Explications complètes sur le mode d'estimation adopté. Rejet des amendements. M. de Lastours propose l'estimation des biens à dix-huit fois le revenu de 1790, au lieu de vingt fois. Ses arguments. Son amendement est adopté. Amendement de la commission sur l'établiseement d'un fonds commun. Il est adopté. Discussion des articles suivants. Délais pour le solde de l'indemnité. Les liquidations inférieures à 250 fr. sont affranchies des délais. De quelle date doit compter le droit à l'indemnité? Amendement de la commission. Elle propose le jour du décès de l'ancien propriétaire. Adoption. Les donataires et les légataires admis. Les déportés et les condamnés révolutionnairement. Proposition de M. de Laurencin en faveur des Lyonnais et des Vendéens. Rejet. Biens vendus et affectés aux hospices. Législation de ces biens. M. Corbière. Amendement de la commission. Droits des créanciers. Leur rang. Dispositions additionnelles. M. de Charencey. Quotité du droit d'enregistrement à percevoir sur ces actes. M. Foy. M. Pardessus. Les Françaises mariées à des étrangers avant 1814 ont droit à l'indemnité. Amendement Jacquinot-Pampelune. Vote de la loi. Majorité. Minorité. Enseignement à tirer de ce vote.

Le Roi, dans son discours d'ouverture, avait annoncé solennellement «que la situation des finances permettait enfin de fermer les dernières plaies de la Révolution.» Ce grand acte de justice et de politique était l'indemnité des émigrés.

L'indemnité des émigrés était celle à accorder aux anciens propriétaires des biens confisqués et vendus au profit de l'État, en exécution des lois révolution

naires.

Cette loi avait une importance exceptionnelle. Déjà, en 1814, lorsque la restitution des biens non vendus avait été faite aux émigrés, tous les bons esprits avaient pressenti que cette première réparation n'était que le prélude d'une seconde plus radicale et plus directe. On se rappelle, à ce sujet, la noble

motion qu'avait présentée le maréchal Macdonald, motion que les désastres des Cent Jours étaient venus bientôt paralyser. Alors chacun s'était dit que, lorsque la situation du Trésor le permettrait, lorsque des passions injustes seraient apaisées par le temps et par la raison, cette réparation devait être la première qui serait offerte à de nobles infortunes.

Cette pensée avait été réalisée.

L'année précédente, lorsque le roi Louis XVIII avait annoncé aux Chambres le projet de loi de la conversion et exprimé le désir de fermer enfin les dernières plaies de la Révolution, il n'avait pas eu, au fond du cœur, d'autre pensée et d'autre but que cette réparation, cette indemnité, qui, liée à l'opération de la conversion, en eût été la conséquence. On n'a point oublié comment, par quels motifs, par quelles influences, cette loi votée par les députés avait été implacablement rejetée par les pairs, et comment alors l'indemnité, conséquence du premier projet, avait dû subir le même sort. On n'a point oublié non plus, assurément, le courage qu'avait déployé M. de Villèle dans cette lutte, la dignité avec laquelle il avait subi sa défaite, le calme avec lequel il avait annoncé qu'il saurait trouver l'heure d'une éclatante revanche.

Cette heure était arrivée.

Mais, si aujourd'hui M. de Villèle voulait sûrement atteindre son but et réaliser la grande pensée de l'indemnité, solidaire ou non d'une seconde proposition de conversion des rentes, il fallait évidemment que son génie trouvât une voie différente de la pre

mière, que son plan, que son mode d'exécution fussent exempts des obstacles, des motifs, des conditions qui avaient naguère amené son insuccès.

Ces moyens étaient trouvés. L'année dernière, la loi de la conversion était la loi première et principale, l'indemnité n'en était que la conséquence, et encore une conséquence qu'on avait à la fin presque désavouée, afin de ne point perdre la conversion. Aujourd'hui, la loi d'indemnité était résolûment présentée la première, la principale. Le moyen d'y faire face, la conversion, n'en était que la conséquence.

Ainsi présentée, l'indemnité des émigrés était nettement accusée. Le Roi, dans son discours, avait annoncé que le temps était irrévocablement arrivé d'accomplir ce grand acte, et M. de Villèle avait pensé, comme lui, que nulle circonstance ne pouvait mieux venir en aide à une semblable réparation que le prestige et les espérances d'un nouveau règne.

Quoique cette pensée d'une indemnité à accorder aux émigrés ne fût point encore généralement comprise par les masses, toutefois, à tous les esprits sensés, apaisés et clairvoyants, elle apparaissait comme une sorte de délivrance, et comme la source certaine des avantages qu'elle allait inévitablement procurer aux anciens possesseurs, aux nouveaux, au sol, à l'État, à la nation tout entière aux anciens posses

seurs, par la juste réparation qui leur était faite; aux nouveaux, par la levée de l'espèce de tache qui pesait sur les biens nationaux; au sol, par la valeur énorme qu'il allait acquérir; à l'État, par les droits

considérables qu'il allait percevoir sur toutes les transactions, les ventes et les mutations à venir; à la nation enfin, par la grande réconciliation qui allait réunir enfin des frères jusque-là divisés et en faire les citoyens d'une même patrie, avec les mêmes droits, les mêmes intérêts, la même sécurité.

Voilà ce que promettait ce grand acte de l'indemnité. Cette pensée d'ailleurs n'avait point attendu la restauration des Bourbons pour germer dans l'esprit d'un grand homme, et, ce que tout le monde ne sait pas, c'est que déjà, en 1806, l'empereur Napoléon avait dit à son Conseil d'État ces mémorables paroles :

« Il y a en France quarante mille émigrés sans moyens d'existence, ils demandent la restitution de leurs biens ou une indemnité. Il faudra bien, un jour, faire quelque chose pour ceux à qui il ne reste que 10,000 livres de rente, de 100 qu'ils avaient autrefois. Les émigrés du dehors, ajoutait-il, sont plus intéressants que les hommes de la même classe qui ne sont point sortis, car ils ont eu le courage de faire la guerre et de faire aujourd'hui la paix ! »

L'indemnité était donc pour tous une justice reconnue, et à ce titre elle ne pouvait qu'honorer le ministre qui eut le bonheur de la présenter; aussi est-elle demeurée comme le glorieux synonyme du nom de M. de Villèle.

La loi de l'indemnité avait été présentée à la Chambre des députés dès le 3 janvier. Les considérants en avaient été exposés par un homme dont la modération, le caractère et les opinions libérales de

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