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cembre. Au commencement d'un règne, on se fait facilement l'idée de la curiosité, mêlée, il faut le dire, de quelque appréhension, avec laquelle on attendait le programme, le discours du nouveau Roi.

Ce discours, évidemment inspiré, sinon dicté, par M. de Villèle, était en effet un programme complet : il disait ce qu'il importait de dire, et n'oubliait rien ni personne.

Le passage qui touchait particulièrement à la situation qui nous occupe, la situation financière, était celui-ci :

Le Roi disait :

« Mon frère trouvait une grande consolation à préparer les moyens de fermer les dernières plaies de la Révolution. Le moment est venu d'exécuter les sages desseins qu'il avait conçus. La situation de nos finances permettra d'accomplir ce grand acte de justice et de politique sans augmenter les impôts, sans nuire au crédit, sans retrancher aucune partie des fonds destinés aux divers services publics. Ces résultats, peutêtre inespérés, nous les devons, Messieurs, à l'ordre établi avec votre concours dans la fortune de l'État, et à la paix dont nous jouissons. J'ai la ferme confiance que vous entrerez dans mes vues et que cette œuvre de réparation s'achèvera par un accord parfait de volontés entre vous et moi.

C'étaient les deux grandes mesures de l'indemnité et de la conversion de la rente, clairement indiquées. La partie politique du discours était moins explicite que la réponse déjà faite à la députation de la

Chambre des pairs: elle disait en termes plus généraux « que, le roi Louis XVIII ayant consolidé le trône par des institutions qui, réunissant le passé et le présent, avaient rendu à la France le repos et le bonheur, le nouveau roi, fort de son amour pour ses peuples, espérait, avec l'aide de Dieu, avoir le courage et la fermeté de bien remplir les devoirs que lui imposait la souveraineté. »>

Ainsi, maintien de la Charte constitutionnelle, indemnité aux émigrés et conversion de la rente, rien n'était omis.

Avec ces promesses, les royalistes étaient satisfaits par la réparation qui leur était annoncée, les libéraux par le maintien des institutions constitutionnelles; et la nation tout entière se réunissait dans un immense applaudissement.

Malheureusement, cet accord ne devait être que de courte durée.

:

La Chambre se constitua aussitôt après. La nomination du président était, dans ces circonstances, une chose importante, presque un augure. M. Ravez réunit 215 voix et fut nommé par le Roi c'était une justice et un hommage rendus à la dignité avec laquelle il n'avait cessé de présider la Chambre dans les circonstances difficiles qui l'avaient traversée plus d'une fois, sous le règne du dernier Roi.

M. de Martignac fut le premier vice-président. C'était déjà peut-être un acheminement vers le système modéré qui, plus tard, essaya de conjurer les tendances qui conduisaient aux abîmes.

La Chambre ainsi constituée, M. de Villèle, qui habituellement entrait aussitôt en matière, présentait, le 3 janvier, les trois grandes lois financières de la session: la loi de la liste civile, la loi d'indemnité aux émigrés, la loi de l'amortissement, ou pour mieux dire, de la conversion, corollaire de cette dernière.

La loi de la liste civile fut la première discutée.

Le règlement de la liste civile du souverain est inhérent à la Constitution de l'État. Ce règlement devait, suivant la Charte, être fixé pour tout le règne, il s'agissait d'en déterminer le chiffre. En 1814, la liste civile de Louis XVIII avait été fixée à 25 millions; les princes de la famille royale recevaient, pour tenir lieu d'apanages, une somme annuelle de 9 millions.

Le projet nouveau donnait également au Roi 25 millions, mais le nombre des princes de la famille étant naturellement diminué par l'avénement du Roi régnant, les 9 millions étaient réduits à 7. Les biens acquis par le feu Roi et dont il n'avait point été disposé étaient réunis au domaine de la Couronne; l'état de ces biens était remis, de même que celui de l'actif et du passif de la liste civile, au jour du décès de Louis XVIII. D'après ce compte, le passif excédait l'actif d'une somme insignifiante de 48,000 fr.

Les écuries d'Artois, situées au faubourg du Roule et provenant des biens particuliers de Charles X, étaient, de leur côté, réunies à la dotation de la Couronne, et non au domaine de l'État, attendu que l'ensemble de ces biens était indispensable au service particulier du Roi.

D'après la même loi présentée, une somme de 6 millions, destinée à subvenir tant aux obsèques du feu Roi qu'au sacre du nouveau souverain, était réclamée des pouvoirs législatifs.

Jusque-là, rien dans cette loi n'eût demandé une heure de délibération : la liste civile du Roi, celle des princes, les sommes nécessaires aux obsèques de Louis XVIII et au sacre de Charles X eussent été votées sans discussion; mais un article exceptionnel, inséré dans cette loi, devait en rendre l'adoption, sinon difficile, au moins délicate et contestée. Il s'agissait des biens de la maison d'Orléans.

D'après l'article 4, on demandait que la possession des biens déjà remis aux mains des princes d'Orléans reçût la sanction spéciale des Chambres et de la loi, ce qui n'avait pas été fait jusque alors.

La situation particulière dans laquelle se trouvaient ces biens et le titre suivant lequel ils étaient possédés par la maison d'Orléans sont curieux à rappeler.

Le frère unique du roi Louis XIV, Monsieur, avait été apanagé, par édits rendus en 1661, 1672 et 1692, de biens considérables; lesquels biens, disaient les édits, «< devaient lui tenir lieu de sa part héréditaire dans la succession mobilière et immobilière du feu roi Louis XIII, et pour prix de sa renonciation à tous les biens composant cette succession. » Là était la source. fort légitime de ces biens. La maison d'Orléans les avait donc possédés à ce titre régulier jusqu'en 1791. A cette époque, l'Assemblée constituante avait supprimé tous les apanages des princes, et substitué à ces

dotations des rentes et des pensions apanagères. C'est ainsi que, suivant l'article 16, M. le comte d'Artois avait reçu une rente apanagère d'un million, en remplacement de son apanage. Plus tard, et par une bizarrerie assez singulière, on avait même rendu à chacun des princes dépossédés une partie de leur apanage, et c'est de la sorte que la demeure du PalaisRoyal et le parc de Monceaux avaient été conservés à la famille d'Orléans. Quant aux biens eux-mêmes, une portion considérable avait été vendue pendant la Révolution, et ce qui en était resté était demeuré aux mains de l'État jusqu'en 1814, c'est-à-dire jusqu'à la Restauration.

A cette époque, M. le duc d'Orléans avait alors réclamé la possession de ce qui restait invendu. Quatre ordonnances royales, en date des 18 et 20 mai, 17 septembre et 7 octobre, avaient restitué à cette famille cet immense domaine, composé de 57 mille hectares de bois, acquittant près de 300,000 fr. de contributions, c'est-à-dire d'un revenu de près de 2 millions et d'une valeur qui dépassait 60 millions. Il est à remarquer qu'afin que la propriété de ces biens demeurât mieux assurée. non-seulement entre les mains du posseseur, mais aussi dans celles de ses successeurs, l'ordonnance royale du 17 septembre stipulait expressément que cette possession était hérédi taire par ordre de primogéniture, mais toutefois, qu'en cas d'extinction de la branche masculine, ces biens devaient faire retour au domaine de l'État. Cette disposition dernière était reproduite dans le texte de la

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