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telbajac. Étaient inscrits contre MM. Labbey de Pompierres, Méchin, de Thiars, Bacot de Romans, de La Bourdonnaye, Devaux, le général Foy, Benjamin Constant, Bertin de Vaux, de Cambon, de Girardin, Casimir Perier.

Ces noms indiquaient assez que la question allait être vivement contestée, et on ne se trompa point, puisque cette discussion allait durer vingt-sept jours.

Préalablement, il n'est pas sans importance de dire un mot de la manière donc était composée la Chambre à laquelle s'adressait la loi d'indemnité. La composition des assemblées, les intérêts qu'elles représentent, les origines d'où elles émanent, sont bien, il faut le dire (et en dehors de l'esprit de justice qui doit les animer), pour quelque chose dans leurs impressions, leurs tendances, leurs décisions.

La Chambre des députés de 1825, composée de quatre cent trente membres, comptait dans son sein cent quatre-vingt-quatre individus revêtus d'un titre de noblesse, alliés de près ou de loin à des émigrés, ou émigrés eux-mêmes. Parmi ces membres, ou à part d'eux, deux cent soixante membres étaient revêtus de fonctions publiques.

Le parti de l'extrême droite y était ardent, plus confiant en sa force que sous le dernier Roi, influent par ses traditions et par ses alliances avec le clergé qu'il dominait, animé par des espérances impérieuses qu'il ne cachait point, trouvant M. de Villèle point assez royaliste pour lui, et décidé à le renverser à son profit, quand celui-ci ne lui céderait plus.

L'opposition restait composée d'hommes exerçant par leurs convictions une grande action sur l'opinion libérale au dehors, recommandés par leurs antécédents; distingués, la plupart, par leur éloquence.

Le reste de la Chambre, la majorité, suivait M. de Villèle; non pas cependant sans lui manquer quelquefois; et déjà on voyait se dessiner dans son sein, et hors de son sein, ce parti libéral et modéré dont M. de Martignac était, sans le vouloir, l'expression première, parti dont l'influence et l'action devaient grandir si vite, et aboutir un jour aux deux cent vingt et un, plus tard à 1830.

Tel était l'aréopage auquel était soumise cette grande question de l'indemnité.

La discussion générale s'ouvrit solennellement le 17 février; elle dura sept jours.

Les discussions générales embrassent ordinairement plutôt l'ensemble de la loi proposée, sa partie théorique, son esprit et sa portée politique, que la valeur même, la valeur pratique et réellement discutable du projet. A ce point de vue, et surtout en ce qui avait trait à la loi d'indemnité, l'opinion de la Chambre avait une importance et un intérêt exceptionnels : on en jugera.

M. Labbey de Pompierres ouvre la discussion : les considérations politiques sont son thème principal. « Le rôle de l'opposition, disait-il, est de marquer les pas faits par les ministres dans la carrière qu'ils ont embrassée. L'opposition eût pu avoir l'espoir de les arrêter et d'avertir la Chambre; cet espoir est aujour

d'hui complétement évanoui. Notre tâche est donc de mettre les choses à nu et de déchirer les voiles à l'aide desquels, à toutes les époques, les avides complaisants du parti dominant se sont chargés de nous masquer son véritable but.

« Si, après le manifeste de Brunswick, l'émigration eût triomphé dans les plaines de la Champagne, la Révolution eût subi la loi du vainqueur. La subirat-elle, après avoir vaincu pendant trente ans, lorsque tous ses principes sont dans nos lois et dans nos mœurs? Voilà la question. »

Après ce préambule net et provocateur, M. Labbey de Pompierres, rendant hommage aux dispositions de conciliation du roi Louis XVIII, disait avec une grande vérité qu'à sa rentrée, ce monarque, sentant qu'il n'y avait plus en France ni vainqueurs ni vaincus, avait fait alliance avec la France nouvelle et donné pour gage de ce pacte solennel une charte qui assurait tous les droits par la loi du 5 décembre 1814, Louis XVIII avait fait plus; il avait aboli les lois sur l'émigration. Ainsi tout avait été réglé égalité dans les droits acquis, égards pour le malheur, justice pour

tous.

M. Labbey de Pompierres s'attachait ensuite à démontrer que la prospérité des finances annoncée par M. de Martignac, prospérité sur laquelle devaient reposer les moyens de solder cette indemnité, n'était qu'une prospérité illusoire et mensongère; et alors, il comparait la situation de la France actuelle avec celle de 1814.

En 1814, le budget avait été arrêté à 618 millions, y compris 70 millions d'excédant destinés au payement de l'arriéré; la dette inscrite était de 40 millions, on était en paix avec toute l'Europe, les émigrés étaient rentrés à la sollicitation même des régnicoles, la tranquillité et l'union régnaient partout.

Aujourd'hui, en 1825, le budget s'élevait à un milliard, la dette avait quintuplé, l'armée occupait encore une partie de l'Espagne; à l'extérieur, nous étions menacés; à l'intérieur, alarmés.

D'après ce sombre tableau politique et financier de la France, la mesure de l'indemnité était, suivant M. Labbey de Pompierres, au moins inopportune : était-elle plus conforme à la justice? Il le niait et le démontrait également.

L'émigration qui s'était armée contre la France avait commencé en 1791. Un décret du 1er août avait rappelé les émigrés, ce décret n'avait point été obéi. Plus tard, vainement les vœux des Français restés fidèles, les invitations de l'Assemblée nationale, les ordres et les prières du roi Louis XVI avaient pressé les émigrés de rentrer, ils avaient de nouveau résisté, armés qu'ils étaient contre la patrie. C'est alors que la confiscation avait été prononcée. Cette mesure était la loi du temps, comme elle avait été depuis trois mille ans celle de toutes les nations; Louis XIV, en 1669 et 1688, en avait fait une trop célèbre application.

La confiscation des biens des émigrés avait eu deux motifs l'un, de fournir à des besoins pressants;

l'autre, de priver de leurs ressources ceux qui déchiraient la patrie. C'était enlever à son ennemi un moyen d'attaque, et alors, c'était plutôt un acte de conservation qu'un acte de vengeance. La confiscation s'appliquait à tous sans exception, tandis que cette loi d'indemnité qu'on proposait ne s'appliquait qu'au privilége; elle admettait les uns et repoussait les autres : donc, elle était souverainement injuste.

En effet, les négociants, les capitalistes, qui avaient perdu leur fortune immobilière, n'avaient-ils pas droit comme les autres à une indemnité? On avait dit qu'ils n'avaient pas tout perdu, qu'ils avaient conservé une partie de leurs créances; on avait dit que les rentiers dépossédés des deux tiers avaient, eux aussi, conservé quelque chose; on avait dit que le propriétaire au milieu des désastres de la guerre avait au moins conservé son sol; mais ce sol, demandez-le aux habitants de Lyon, de Toulon, des villes écrasées par les bombes de l'ennemi, aux départements où des villages entiers avaient été incendiés, ce sol, quel était-il? Un arpent de sable, ou un monceau de ruines! A ceux-là aussi une indemnité était au moins due. Là, eût été la justice.

Quant aux émigrés pour lesquels cette justice était invoquée, parce que, disait-on, ils avaient tout perdu, M. Labbey de Pompierres prétendait que cette assertion était tout aussi mensongère.

:

Les listes des électeurs actuels faisaient preuve du contraire à l'exception de quelques émigrés de province qui n'auraient qu'une faible part à l'indemnité, à l'exception de ceux dont toute la fortune était mobi

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