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il l'avait pris dans la Charte même; l'article 70 disait : « La dette publique est garantie, tous les engagements pris par l'État envers ses créanciers sont inviolables. »

S'il s'accusait, une telle autorité l'avait absous d'avance.

Quant à la théorie, au moins étrange pour ne pas dire autrement, de M. de Beaumont, qui avait contesté aux acquéreurs de biens nationaux la propriété même que la Charte leur avait assurée, qui avait établi en principe que cette propriété devait être intégralement et immédiatement restituée à l'ancien propriétaire, et l'indemnité alors affectée à l'acquéreur; qui avait dit plus, qui avait prétendu que le Roi n'avait point le droit de maintenir des actes révolutionnaires et conventionnels, la même réponse devait lui être faite La disposition de la Charte, quant à l'origine et à la possession de tous les biens nationaux ou non, était absolue. La Charte n'admettait aucune différence entre les propriétés, elles étaient toutes soumises aux mêmes règles, toutes placées sous la même garantie.

C'était tout dire. Ce discours, qui dissipait bien des doutes, répondait à bien des exagérations, corrigeait bien des erreurs, détruisait bien des équivoques, brisait bien des hérésies, eut un succès marqué dans la Chambre, qui ne sentait point encore la fatigue et ne réclamait point la clôture de la discussion.

Elle continua donc. Ce fut M. de Laurencin qui vint ranimer le débat.

M. de Laurencin, quelque monarchique et modéré qu'il fût, combattait cependant vivement la loi. Diffé

rant de ceux qui l'avaient précédé, il venait pratiquement proposer une modification radicale et complète au projet ministériel.

D'accord sur le principe de justice et de morale incontestable de la loi, il ne l'était point sur les moyens, sur les détails d'exécution, moins encore sur les résultats.

Suivant lui, il était facile d'apercevoir que la Charte, en assurant aux acquéreurs des biens nationaux la paisible possession de ces biens, n'avait pas évidemment compris dans cette clause déjà si généreuse l'engagement d'en doubler la valeur aux dépens de l'État ; et c'était justement ce qu'allait faire la loi d'indemnité, en donnant à ces propriétés une plusvalue considérable.

M. de Laurencin venait alors proposer, dans l'intérêt du Trésor et dans celui des contribuables, que cette plus-value fût payée, fût remboursée à l'État, suivant une proportion donnée, par les propriétaires actuels de ces biens dont la valeur était ainsi augmentée. Il fixait cet abandon en faveur de l'État aux quatre cinquièmes de cette plus-value; d'après ce mode, il leur restait encore un cinquième de bénéfice sur la valeur de leur propriété.

Cette proposition, disait M. de Laurencin, avait déjà son application dans tous les règlements en vigueur en matière d'administration ou de jurisprudence, et il en citait un exemple dans le département de l'Isère, où les propriétaires riverains des marais de Bourgoing avaient été obligés de payer une plus-value

à la compagnie qui en avait entrepris le défrichement, en retour de l'élévation des prix qu'avaient acquis leurs propriétés par suite de ce défrichement. M. de Laurencin, assimilant ainsi d'une façon singulière ces deux cas, condamnait alors les propriétaires de biens nationaux à une sorte de remboursement à l'État, et il indiquait même comment, au moyen de cette plus-value, la somme de 30 millions de rentes destinée à l'indemnité pourrait être augmentée.

On comprend d'avance pourquoi il était constitutionnellement impossible d'introduire dans une loi une disposition qui venait la mettre en contradiction formelle avec la Charte; aussi M. de Villèle demandat-il à être entendu.

Il expliqua sommairement comment la proposition de M. de Laurencin était virtuellement contraire à

l'article 6 de la Charte, qui disait : « Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant entre elles aucune différence; » puis, protestant contre cette proposition, M. de Villèle annonça que, s'il y était donné suite, la loi serait retirée.

Quelques dissidences se produisirent sur le droit du ministre à cette occasion, ainsi que sur celui de la Chambre, qui se prétendait maîtresse d'introduire tout amendement à son gré, mais il n'y fut point donné suite, et la discussion continua.

Un orateur qui n'avait pas encore paru dans cette lutte, orateur écouté, se présenta alors à la tribune : un grand silence se fit, c'était le général Foy.

« Le droit et la force, dit-il, se disputent le monde: on propose de verser dans les mains des émigrés un milliard. Les émigrés ont-ils donc vaincu? Non. Com bien sont-ils dans cette Chambre? Deux contre un ; dans la nation? un sur mille: ce ne serait donc point la force qu'ils invoqueraient, mais le droit. Le droit, mais il découle de la loi même qui régit la France : le vendeur a bien vendu, l'acheteur a bien acheté, et la Charte a plus tard ratifié cette double convention. »

A cet égard, et suivant M. Foy, comme suivant la loi elle-même, le droit de possession existait donc bien réellement chez les acquéreurs légitimes de biens. nationaux ; tout autre système, toute autre prétention devaient alors être regardés comme des prétentions factieuses, et ceux-là calomnieraient la majesté du trône qui la feraient l'auxiliaire d'une opinion ou d'un parti dont le but serait de placer le Roi ailleurs qu'à la tête des affections de son peuple.

Sur ces principes très-constitutionnels, le ministère avait déclaré son accord complet.

Cela posé, voici donc comment le général Foy eût compris une indemnité et sa répartition.

C'était à la bienveillance nationale, aux intérêts publics, et non aux créanciers de l'État, qu'on devait demander une mesure de l'espèce de celle que l'on proposait, et non point à des députés ou des pairs qui étaient juges et parties dans leur propre cause.

Cette réparation devait être alors mesurée sur les ressources du pays, elle devait aller chercher les plus dépouillés, consoler le dépossédé, son fils, ses

petits-fils, peut-être ses frères et sœurs, mais elle devait éloigner des collatéraux étrangers ou des légataires inconnus. Elle devait se complaire à refaire des fortunes modérées et se garder de reconstruire l'opulence. Elle devait se garder surtout d'exhumer les haines du passé, elle devait enfin ne demander jamais si c'étaient les naufragés qui avaient excité la tempête qui était venue les assaillir. L'union et l'oubli devaient être son seul esprit, sa seule pensée.

Ces paroles et ces pensées fort bien exprimées, mais sans application pratique, n'en furent pas moins vivement senties: c'était l'éloquence de l'indemnité, le fonds manquait.

Quant aux dispositions financières de la loi actuellement formulée, M. Foy en blâmait directement et l'application et la distribution. La France républicaine avait retiré de la vente des biens des émigrés 200 millions, et on leur donnait un milliard; c'était plus qu'il n'en faudrait pour restaurer à la fois toutes les routes, achever les canaux, reconstruire les prisons, élever les forteresses qui manquaient à la défense du territoire.

Où devait aller ce milliard? A un seul malheur, à vingt ou trente mille familles. Si on en retranchait les trois quarts qui ne devaient recevoir qu'une indemnité des plus minimes, tout, ou à peu près tout, allait donc à la haute noblesse et à la Cour. C'était là, et là seulement, qu'on comptait l'indemnité par millions. Il y a pis les étrangers appelés dans certains cas à succéder à des familles françaises devaient y participer.

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