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songeons seulement à celles de ses œuvres qu'il nous est permis d'apercevoir, cela nous paraît bien misérable. »

« L'indifférence en tout me semble une négation et un défaut de vie. L'égoïste qui ne croit à rien, si ce n'est aux jouissances en quelque sorte matérielles, ne me fait pas l'effet de vivre; c'est une chose à mes yeux; j'aime mille fois mieux l'erreur que l'indifférence. »

<Dans ce monde il n'y a pas de jour tout-à-fait sans nuage, mais les plus beaux sont ceux où les nuages passent vite et où l'atmosphère est douce et tiède.»

« On n'est digne d'être un homme que lorsqu'on est prêt à se sacrifier et pour son pays et pour son devoir. Jésus s'est sacrifié pour les hommes et il est mort sur la croix pour leur montrer que c'était une mort digne d'un Dieu, quand on mourait pour sauver les autres ! »

Et ces conseils à sa chère compagne au sujet de l'éducation de ses enfants :

« Élève bien nos chers enfants dans ces idées

saines d'honnêteté et de libre arbitre. Il y a des dangers, sans doute, à laisser croire aux hommes et aux enfants qu'ils ont le droit de tout faire, mais c'est par la raison et par la loyauté qu'il faut montrer aux enfants comme aux hommes qu'il sont toujours responsables de leurs actes et que cette responsabilité est d'autant plus grande que leur liberté est plus considérable. »

< Autant, dans ce monde, il faut avoir des formes douces et calmes, polies et distinguées, autant il faut avoir une âme libre et forte. »

Un jour, tes fils auront à combattre peut-être ; aussi faut-il travailler à en faire des hommes au moral, et au physique. C'est là notre devoir à tous les deux; puis nous demanderons au ciel qu'ils soient épargnés.

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Enfin, voici comment il comprenait le pouvoir :

« Le pouvoir, pour une âme honnête, c'est un sacerdoce; ; on ne doit l'employer que dans l'intérêt du bien, ou, du moins, de ce que l'on croit être le bien. Plaise à Dieu qu'à mon dernier jour, je puisse me dire que mon passage au pouvoir n'a rien entravé de bon et peut-être n'a pas été inutile. Nous ne sommes que des instruments, souvent

aveugles, des desseins de la Providence; mais, enfin, heureux ceux qui, dans leur libre arbitre, ont pensé travailler selon cette volonté éternelle qui ne veut que le bien (29 novembre 1862). »

Ceux à qui il a été donné de vivre de la vie de M. de Chasseloup retrouveront dans ces lignes ce mélange de tendresse et de virilité qui faisait le fond du caractère du père et du citoyen. Mais, il nous apparaît réellement tel que nous l'avons connu et aimé, dans les derniers mots que sa main a tracés, dans ce testament, où il adresse à sa femme et à ses enfants de suprêmes conseils :

.....

Je veux, (dit-il, dans cet acte solennel) qu'on ne néglige rien pour faire de mes enfants des hommes utiles à leur pays; je désire que leur instruction littéraire soit complète; qu'on leur apprenne de bonne heure à s'exprimer facilement, correctement et, quelle que soit la direction qu'ils prennent, alors même qu'ils suivraient la carrière militaire, qu'ils fassent des études de droit pour connaître au moins les lois civiles et politiques de la patrie. »

......

Quant à vous, mes chers enfants, trop jeunes encore, hélas! quand vous m'aurez perdu, relisez quelquefois cette dernière pensée de votre père « Restez unis, toujours unis. Qu'aucun intérêt ne vous sépare jamais, que tout reste en commun entre vous le plus longtemps possible. Aimez, soignez votre mère, soutenez-la, dévouez-vous pour

elle. Avant tout, soyez honnêtes, vrais, loyaux; le nom que vous portez n'a jamais eu une tache. Soyez en dignes. Si vous avez du talent un jour, fuyez toute pensée de vanité; gardez toujours votre indépendance; pour conserver votre indépendance de caractère, soyez économes, sobres; ne vous créez pas de besoins factices. Un honnête homme sait vivre de peu. J'ignore quelle fortune vous aurez un jour. Plus ou moins réduite, sachez tout régler sur ce qu'elle sera. Travaillez, travaillez toujours ! enfin, soyez des hommes, des hommes libres, et, si le destin vous conduit à gouverner vos semblables, restez simples au pouvoir, jamais obséquieux pour ceux qui sont audessus de vous, toujours bienveillants pour les autres; et si la Providence vous a choisis pour rendre quelques services à votre pays, remerciez-là humblement de vous avoir pris pour instrument de ses desseins, mais n'en tirez aucune pensée d'orgueil. Les vaniteux, les courtisans sont les plus dangereux ennemis de notre chère patrie. » (18 août 1870).

Ainsi, lorsqu'on pénétrait dans la pensée intime de cette âme douée d'une fierté délicate et d'une modestie peut-être excessive, lorsqu'on cherchait, dans le sanctuaire intérieur de l'homme, la flamme où s'alimentait cette généreuse vie, on y trouvait qu'une triple passion en était l'incorruptible foyer: la France, le devoir, la liberté !

Ces sentiments ont été ceux de M. de Chasse

loup dans tous les temps, à toutes les époques.

En cherchant à le rappeler à ceux qui l'ont connu, à le faire connaître aux autres, j'ai la conscience d'avoir mis la vérité bien au-dessus de mon respectueux attachement et je puis dire du fond du cœur, avec un grand orateur chrétien (1): « Tant que « l'homme vit, la modestie doit garder ses actes et <«<l'amitié elle-même doit être contenue par une «sage réserve; mais la mort a cela d'admirable, <«< qu'elle donne au souvenir, comme au jugement, << toute sa liberté. En enlevant ceux qu'elle frappe << au double écueil de la fragilité et de l'envie, elle << permet, à ceux qui ont vu, de lever le voile, à «< ceux qui ont reçu de confesser le bienfait, à ceux << qui ont aimé d'épancher leur affection. >>

(1) Lacordaire.

J. DELARBRE.

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