Page images
PDF
EPUB

mières mesures prises par M. de Chasseloup : développement des spécialités; constitution d'une véritable réserve; composition de la flotte nouvelle.

L'armement d'un navire de guerre exige la réunion d'hommes aptes à faire produire à cet admirable instrument de navigation et de combat la plus grande somme d'effet avec la plus grande rapidité réalisable. Autrefois, on cherchait, sans doute autant que possible, à composer les équipages de manière à avoir des hommes ayant acquis une certaine aptitude pour les services auxquels ils devaient être destinés. Mais, comme les inscrits maritimes fournissaient le principal, c'est-à-dire, des gabiers pour les manoeuvres des voiles, quant au reste, c'était, en général, au commandant qu'incombait le soin de former son équipage. Aussi, fallait-il un certain temps pour qu'il possédât toute sa valeur. On parait à cet inconvénient en maintenant au service pendant une période indéfinie, en cas de guerre, ou en rappelant, au moyen de secondes levées, des hommes déjà formés. Mais on ne tarda pas à reconnaître les vices de ce système et la nécessité de donner aux hommes, pour le canonnage et pour la mousqueterie, une éducation spéciale de là, la formation de ce qu'on a appelé les spécialités. En 1837, on commença à faire, avec une corvette, une école de matelots-canonniers. Puis, on substitua à la corvette, d'abord une frégate et ensuite un vaisseau; en 1856, un bataillon de fusiliers-marins fut formé à Lorient; en 1860, une

ccole de timoniers fut établie à bord du Montebello.

Quant aux officiers de marine, leur cadre avait été déterminé par l'ordonnance de 1846 et n'avait reçu d'autre modification que celle résultant de la création, en 1859, de 75 places de lieutenants de vaisseau en résidence fixe.

Telle était, pour le personnel, la situation au moment où M. de Chasseloup-Laubat prenait la haute direction des affaires maritimes.

Il chercha d'abord à bien constater quels étaient les besoins permanents de la flotte, seulement pour les services de paix, et, quelles étaient les obligations qui lui incombaient sur tous les points du globe. Il voulut ensuite se rendre compte des besoins qui surgiraient au premier jour d'une guerre maritime, et, en établissant ce qu'il avait fallu faire pendant les expéditions d'Italie et de Crimée comme pour le transport de nos troupes en Chine, il se convainquit aisément de l'insuffisance de nos moyens d'action.

Pour déterminer les augmentations rationnelles, il dressa un tableau comparatif de notre marine sur le pied de paix et sur le pied de guerre et, sans prétendre satisfaire d'avance à tout ce qu'exigerait une longue guerre, il chercha à mettre nos institutions en état de former, au moins, les cadres indispensables à nos forces navales pour maintenir la France à son rang parmi les puissances maritimes.

Pour les équipages, le nombre des canonniers formés par l'école du Montebello, à Toulon, était insuffi

sant même pour le temps de paix; il en créa une seconde (12 juillet 1861) à Brest, sur le Louis XIV. De cette manière, chaque année, 1200 canonniers brevetés, choisis soit dans le recrutement, soit dans l'inscription maritime, étaient répartis sur la flotte, et, une fois sortis du service, préparaient une précieuse ressource pour la défense des côtes et des places.

Les fusiliers-marins n'étaient pas assez nombreux pour qu'on en pût placer sur la plupart des navires de guerre un second bataillon école fut créé à Lorient.

Les mécaniciens nous faisaient défaut en nombre suffisant; les chauffeurs, si utiles pour la bonne marche de la machine, recrutés au hasard parmi ceux du commerce ou parmi de simples matelots de pont, n'offraient pas toutes les garanties voulues. Des écoles de mécaniciens et de chauffeurs (18 août 1862) furent instituées sur l'atelier central de la réserve à Brest et à Toulon. Enfin, pour donner satisfaction à des aspirations légitimes et pour améliorer le sort de sujets précieux, auxquels est confié le maniement d'un matériel de grande valeur, des emplois de mécaniciens en chef et de mécaniciens principaux, créés par décret du 25 septembre 1860, puis augmentés par décret du 29 mai 1867, offrirent, à ce personnel si utile, des avantages de position, de solde et de retraite, bien propres à attirer et à conserver à l'État des serviteurs de choix. En outre, aux canon

niers, aux fusiliers et aux timoniers brévetés, un décret du 11 mai 1866 ajoutait les gabiers brevetés.

Une pépinière de gabiers et de timoniers, destinés à rester sur la flotte, existait dans l'école des mousses de Brest. Seulement, cette école était trop restreinte. Une décision du 24 août 1861 tripla le nombre des élèves qui y étaient reçus de treize à seize ans, pour être formés au rude métier de la mer; en peu de temps, 900 mousses en sortaient, que nos bâtiments demandaient à l'envi et ils assuraient à la flotte les véritables sous-officiers de l'avenir.

Mais, on n'entre aux écoles des mousses qu'à treize ans et les salles d'asiles se ferment pour les enfants à sept ans. Que deviennent, entre sept et treize ans, les fils de marins qui n'ont plus de famille? Certes, la sollicitude, on peut dire paternelle, du département de la marine ne les abandonne pas et leur alloue des secours sur la Caisse des invalides. Cela ne parût pas suffisant à M. de Chasseloup, qui eût la généreuse pensée de recueillir ces orphelins, de les remettre aux soins et de les placer sous la tutelle de la Marine qui les élèverait, pour leur faire suivre la carrière de leurs pères, comme les enfants de troupe sont élevés par les régiments et y retrouvent une nouvelle famille. C'est à Brest qu'un décret du 15 novembre 1862 a installé l'établissement des Pupilles de la Marine, Il y a été organisé d'après les instructions du ministre de la marine par M. le vice-amiral comte de Gueydon avec autant d'habileté que de dévouement. De 1863

à 1867, sur 741 orphelins admis, 326 en étaient sortis dotés d'une instruction élémentaire et professionnelle (1).

Ceci fait pour les spécialités, les officiers de la marine et des autres corps n'étaient pas non plus oubliés.

Nous rappelions tout à l'heure que l'état-major de la flotte était, en 1861, surmené, découragé. A ce moment, en effet, des documents officiels constataient que l'insuffisance des cadres était telle que les commandants des diverses stations réclamaient près de 80 officiers pour maintenir l'effectif réglementaire sur leurs bâtiments; et on ne pouvait pas les leur envoyer. Les préfets maritimes n'avaient plus à leur disposition le nombre d'officiers fixé par les règlements; enfin << 120 officiers faisaient défaut, unique<<ment pour le service ordinaire et encore faut-il << remarquer que l'administration supérieure a borné « à trois mois la durée des congés accordés après << plusieurs années de navigation. Ainsi réduit, (con<< tinuait le rapport qui précède le décret du 14 août << 1861), le temps de repos n'est plus en rapport << avec les fatigues, et nous voyons des hommes pleins

(1) C'est à propos de cette précieuse institution, dont il suivait les progrés avec une sollicitude constante, qu'il écrivait un jour cette pensée si bien en harmonie avec sa nature généreuse et sensible :

« J'attends les Pupilles de la marine qui vont venir me voir; "puis j'irai à l'hôpital. Il faut commencer par ceux qui souffrent. C'est juste, n'est-ce pas ?» (Brest. 4 oct. 1865.)

« PreviousContinue »