Page images
PDF
EPUB

guerre, c'était, à ses yeux, la première condition de la flotte. On l'avait toujours recherchée, mais sans réussir à l'obtenir complétement et ceci pour plusieurs

causes.

En premier lieu, le service chargé de l'entretien des navires conservés dans les ports, à l'état de désarmement, de demi-armement ou même de disponibilité était organisé sans unité, sans responsabilité définie. En effet, les diverses directions de travaux avaient mission d'assurer cet entretien, et les officiers qui exerçaient leur autorité sur les navires placés dans la situation dite de disponibilité, ne devaient pas commander ces bâtiments une fois armés et n'avaient plus alors à leur disposition aucun moyen de réparation.

En second lieu, le personnel mis à bord de ces bâtiments était complétement insuffisant soit pour faire face à leur entretien journalier et aux réparations courantes, soit pour composer des cadres de sousofficiers et de spécialités dans lesquels on n'eût plus, au moment de l'armement définitif, qu'à faire entrer le complément d'hommes nécessaire pour former l'équipage normal.

Enfin, nous n'avions pas un matériel d'armement en rapport avec le nombre de navires de guerre qu'il importait de maintenir disponibles. Ce matériel, depuis la suppression des magasins particuliers de bâtiments, était commun aux divers navires auxquels il pouvait s'appliquer.

Dans ces conditions, il fallait nécessairement beaucoup de temps pour armer les bâtiments classés comme disponibles, d'un côté parce que, au moment de s'en servir, on reconnaissait le plus souvent qu'ils exigeaient des réparations, et, de l'autre, parce que le personnel à bord devait être entièrement changé.

Le mal une fois bien constaté, le remède était tout clairement indiqué: il fallait constituer l'unité de direction pour l'entretien et les réparations des navires reconnus aptes à naviguer, confier cette direction aux officiers qui ont le plus d'intérêt à ce que le bâtiment soit toujours en état de prendre la mer, c'est-à-dire à ceux qui doivent le conduire. En outre, pour que ces officiers fussent à même d'accomplir le service qui leur était remis, il fallait leur donner les moyens de faire, dans nos ports, les mêmes travaux d'entretien et de réparations qu'ils exécutent dans les ports et sur les rades à l'étranger, lorsqu'ils sont en cours de campagne.

Il était indispensable, ensuite, de constituer, sur les navires ainsi entretenus, un cadre permanent de maîtres et de spécialités suffisant pour recevoir le nombre d'hommes nécessaires à la formation de l'équipage normal, au moment de l'armement définitif.

Unité de commandement et, dès lors, responsabilité sérieuse pour l'entretien en bon état des navires de la réserve confiés au service actif de la flotte; formation et permanence de cadres sur ces navires, dans quelque situation qu'ils fussent placés; armement en

réserve; telle est la pensée qui a dicté le décret du 1er août 1861, dont les conséquences ont été d'assurer une véritable disponibilité de la flotte; on l'a vu par la promptitude et la régularité qui ont présidé à nos expéditions maritimes de Chine, de Cochinchine, du Mexique, de Syrie, d'Italie, etc.

Le personnel de la flotte doté d'une bonne organisation, un service de réserve constitué d'une manière réellement efficace, et notre matériel naval maintenu par là toujours disponible, il restait encore à approprier ce matériel aux services multiples auxquels il devait pourvoir.

En 1857, à la suite de discussions approfondies au sein du Conseil d'État, une décision impériale avait arrêté que notre flotte devait se composer de quatre groupes principaux: flotte de combat, flotte de siége et de défense des côtes, flotte de transport, flotte légère.

Dans une note remise à l'Empereur le 2 juillet 1863, M. de Chasseloup indiquait comme il suit le rôle de chacun de ces groupes:

<< Dans l'état actuel de la science, la flotte de com « bat doit être composée de l'équivalent de ce qu'on <«<appelait autrefois les vaisseaux de ligne, c'est-à-dire « de frégates cuirassées, réunissant, au plus haut degré « possible, les qualités des navires de guerre: capacité << d'approvisionnements, vitesse, facilité d'évolution, << puissante artillerie, invulnérabilité; son rôle est l'attaque; tout appareil embarrassant pour le combat <« doi disparaître et, pour ceux de ces navires des

[ocr errors][ocr errors]

« tinés à agir dans les mers d'Europe, leur mâture « doit être réduite à l'indispensable. »

« Pour la flotte de siége et de défense des côtes, « elle devra sans doute se diviser en deux sortes de « bâtiments; d'une part, les batteries flottantes, véri << tables forts mobiles; d'autre part, les béliers, appelés « peut-être à jouer un rôle considérable, en dehors « même de la zône de défense, comme de puissants << auxiliaires de la flotte de combat. >>

<< Mais, pour ces deux espèces de navires, les << conditions sont toutes différentes: pour les batteries « flottantes, instruments de défense de nos côtes et << d'attaque contre les villes maritimes, aux abords « desquelles on trouve peu de profondeur d'eau, << tout doit être consacré à l'invulnérabilité; elles << doivent porter les plus puissantes bouches à feu et << avoir le moins de tirant d'eau possible. »

«Peu importe la vitesse: que ces batteries puissent « se rendre à leur poste, sur nos côtes, cela suffit; et, « pour les conduire devant les places dont on ferait le « siége, on les convoierait, on les remorquerait « même; mais, comme pour être à l'abri des coups « les plus redoutables de l'ennemi, elles doivent « être placées sur des bas fonds, il faut que, tout en << ayant le plus faible tirant d'eau possible, elles aient <<< encore une certaine hauteur de batteries. >>

« Pour les béliers, au contraire, c'est une grande « agilité qui leur est indispensable: point de hauteur << sur l'eau, peu d'approvisionnements, mais tout sa

«< crifié à la vitesse, à la facilité d'évolutions dans un << volume aussi restreint que possible, et calculé ce<< pendant de manière à ce que, par leur forte cons«<truction et leur propre poids, agissant eux-mêmes « en quelque sorte comme projectiles, ces béliers << enfoncent, sans se briser, les murailles de bois bardées de fer qu'ils doivent détruire. »

« La flotte de transport veut des navires spéciaux, << assez rapides encore, puisqu'ils n'ont que la vitesse « pour échapper à l'ennemi; enfin, quelque avanta«geux qu'il soit, au point de vue des transports, de <«<les emménager pour recevoir soit des hommes, << soit des chevaux, soit du matériel, comme il ne faut << pas s'exposer à perdre un des éléments de l'armée << transportée, il importe, si ce n'est pour tous les bâ<«<timents, du moins pour un certain nombre, de les << organiser de manière à ce qu'ils puissent renfer<< mer comme autant de petits corps prêts à com<<< battre au moment du débarquement. C'est le desi«deratum, difficile à atteindre sans doute, mais dont << on peut pourtant approcher dans une certaine

« mesure. »

Il est véritablement impossible de prévoir plus complètement, d'exposer avec plus de netteté et de clarté, un programme aussi complexe et aussi technique. On le voit, avec sa prodigieuse facilité d'assimilation, M. de Chasseloup s'est rendu maître de son sujet, et il parle constructions navales, guerre maritime, comme un ingénieur, comme un marin.

« PreviousContinue »