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CHAPITRE II

DU DÉVELOPPEMENT DU DROIT A L'INDEMNITÉ

§ I. Du contrat, loi des parties.

Aux temps les plus reculés de Rome, l'exécution littérale de la parole échangée paraît avoir été une règle unanimement reçue et respectée.

<«< Cum nexum faciet, mancipiumque, uti lingua nuncupassit, ita jus esto», dit la sixième des XII Tables (Caput primum).

Cette loi du contrat est acceptée par la jurisprudence, qui en affirme, à plusieurs reprises, l'existence incontestée; par Gaius, au deuxième siècle (1) (27, 2, D., 17, 1); au troisième siècle, par Ulpien (2) : « Nihil magis bonae fidei congruit quam id praestari, quod inter contrahentes actum est >> (11, 1, D., 19, 1); par Papinien (24 in fine, D., 16, 3).; Javonelus (3) (21, D., 19, 2), Marcellus (69 ppio, D., de legatis, 3o) (4), consacrant ainsi un principe exact en pratique dans les contrats nommés; un précepte de morale dans les contrats innommés et les

(1) Qui mandatum suscepit, si potest id explere, deserere promissum officium non debet. (2) Adde: sed haec ita, nisi si quid nominatim convenit (vel plus vel minus) in singulis contractibus nam hoc servabitur, quod initio convenit (legem enim contractus dedit (f. 23, D., 50, 17); quid enim tam congruum fidei humanae quam ea quæ inter eos placuerunt servare? (F. 1 ppio, D., 2, 14). 1 ppio, D., 13, 5; 3, 1, D., 10, 3. (3) Bona fides exigit uti quod convenit fiat. (4) Cependant sont prohibées les conventions contraires à l'ordre public (f. Ulpien, 45, 1, D., 50, 17; f. Paul, 21, 1, D., 34, 5), aux bonnes mœurs (f. Papinien, 5, D., 22, 1; Paul, Sent. I, 1, 4) ou tendant à exonérer l'une des parties de son dol (f. Gaius, 28 ppio, D., 2, 14; ff. Ulpien, 23, D., 50, 17; 1, 7, D., 16, 3; ff. Paul, 17 ppio, D., 13, 6; 27, 3, D., 2, 14.

pactes adjoints in continenti et ex intervallo, dont le développement fut entravé, même à l'époque classique, par l'antique maxime « Nudo pacto actio neque nascitur neque tollitur »>< (6, D., 2, 14).

Ne point remplir sa promesse, c'est donc infliger au stipulant un dommage, dont la gravité est subordonnée à la valeur de la chose déduite dans la stipulation, quod nominatim convenit. Ce dommage doit être réparé intégralement, sous peine des contraintes les plus rigoureuses contre le débiteur.

Cependant, il était parfois insuffisant pour le créancier d'exiger une libération littérale, qui ne laissait pas de lui causer un préjudice. A la vérité, il était possible, dans une opération très simple, comme dans un mutuum pecuniae, de convenir de la quantité du métal à restituer, du temps et du lieu. Mais dans une vente se produisaient des complications. Si le prix était méticuleusement déterminé, la « merx » échappait, par sa mobilité et sa composition, à une désignation tout aussi précise. Ajoutez l'accroissement continu des transactions, et l'on voit la nécessité, pour le créancier, d'excéder les verba, lorsqu'au début il avait négligé de sauvegarder ses intérêts. C'est pourquoi le Corpus nous offre de nombreux exemples de clauses tacites dans les contrats de droit strict (1).

§ II. De la recherche de l'intention individuelle;

clauses tacites.

Or, pour arriver à ce résultat, choquant pour la rigueur des déductions, ne fallait-il pas rechercher l'intention des parties. soumise, dans chaque espèce, à l'analyse du juge? Afin de caractériser cet élément nouveau, les prudents recourent aux

(1) Ff. Paul, 73 ppio et 83 ppio, D., 45, 1; f. Papinien, 69, 4, D., 23, 3; f. Ulpien, 2, 6, D., 13, 4; f. Julien, 24, D., 38, 1; f. Venuleius, 137, 2, D., 45, 1; f. Africain, 38 ppio, D., 46, 3; III, Instit., 15, 5.

termes les plus variés, dont la multiplicité démontre l'empire qu'il n'allait pas tarder à exercer sur l'interprétation des contrats. On le retrouve dans les expressions Mens (1); Affectus (f. Javonelus, 55, D., 44, 7); Sententia (f. Papinien, 115, 2, D., 45, 1; f. Marcianus, 96, D., 50, 17); Actum (2); Affectio (f. Paul, 168, 1, D., 50, 17); Propositum (f. Paul, 15, 2, D., 18, 1); Intellectus consonans (III, Inst., 15, 1); Animus (f. Paul, 49, D., 41, 1); In promptu esse (f. Marcellus, 19 ppio, D., 41, 2).

Cette appréciation de la volonté était-elle compatible avec le formalisme des contrats de droit strict dont, au second siècle, Publius Juventius Celsus disait : « Quidquid adstringendae obligationis est, id nisi palam verbis exprimitur, omissum intellegendum est » (99 ppio, D., 45, 1), et Paul, au siècle suivant : « Plerumque enim in stipulationibus verba, ex quibus obligatio oritur, inspicienda sunt rarò inesse tempus, vel conditionem, ex eo, quod agi apparebit, intellegendum est : nunquam personam, nisi expressa sit » (126, 2 in fine, D., hoc tit.)? Non, à moins que la formule ne contînt une clausula doli ou bien une clausula recte, qui élargissait davantage les pouvoirs du juge (3).

C'est principalement dans les contrats de bonne foi que la promissorum veritas prend toute son extension. C'est là qu'on remarque les clauses tacites, qui protègent minutieusement le patrimoine du créancier, visant les conditions les plus diverses, depuis l'étendue de l'obligation jusqu'à la façon dont le débiteur doit se libérer.

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(1) F. Labéon, 23, D., 44, 1; f. Pomponius, 13, 2, D., 13, 6; f. Ulpien, 52 ppio, D., 45, 1; f. Africain, 45 ppio, D., 3, 5. (2) Ff. Pomponius, 6, 1, D., 18, 1; f. Paul, 35, 2, D., 45, 1; f. Ulpien, 34, D., 50, 17. (3) Cette dernière clause, l'arbitrium viri boni fut, au sentiment de M. Hauriou, un levier puissant pour l'avancement de la stipulation vers la bona fides et la répression du dol. Mise à part, la clausula doli fut, tout au plus, une clause commode dans la pratique pour les gens étourdis (Boni viri arbitrium et clausula doli, Nouv. Rev. hist., 1881).

Labéon (58, 1, D., 19, 2) suppose que, dans un contrat de louage de services, les parties n'ont point indiqué le délai dans lequel l'exécution doit avoir lieu. A quelle époque les dommagesintérêts seront-ils dus? A une date telle que l'assignerait un «< vir bonus », répond le jurisconsulte du premier siècle.

Un vendeur promet à l'acquéreur rem habere licere. Le contrat serait violé si ce dernier détenait le bien en payant une seconde fois le prix : il faut, en effet, que la possession dérive de la vente, sinon l'action ex empto est ouverte (1).

Titius, héritier de Sempronius, a vendu à Septicius un fonds de terre avec cette clause fundus Sempronianus, quidquid Sempronii juris fuit, erit tibi emptus tot nummis. Le vendeur a livré la possession, sans tracer les limites de la propriété. Doit-il être contraint de faire cette désignation d'après les titres du « de cujus »? La solution dépend de l'intention des parties, dit Scævola (48, D., 19, 1); au cas de doute, la demande de Septicius doit être accueillie « hoc etenim contractui bonae fidei consonat. »

De même, Labéon et Sabinus estimaient que, par la restitution d'un vêtement déchiré ou d'une chose gâtée, la res était censée abesse, parce que la valeur de ces objets ne résidait pas tant dans la substance que dans l'art (f. Paul, 14 ppio, D., 50, 16).

La promesse usuelle facere oportere signifie qu'on doit, non seulement s'abstenir de tout fait contraire à la convention, mais aussi veiller à ce qu'on ne fasse rien pour la contrarier (f. Paul, 189, D., 50, 16).

Sont sous-entendus dans les contrats de bonne foi l'abstention de tout dol (f. Proculus, 68, 1, D., 18, 1); la promesse du double en cas d'éviction (f. Paul, 2, D., 21, 2); la garantie des vices de la chose (6, C., 8, 44); la subordination du transfert de propriété au paiement du prix (f. Ulpien 13, 8, D., 19, 1).

(1) f. Ulpien, 13, 5, D., 19, 1; f. Africain, 24, D., 21, 2; f. Paul, Sent., II, 17, 8; ff. 9, D., 21, 2; 41, 1, D., hoc tit.; f. Pomponius, 29 ppio, hoc tit.

D'où on peut conclure que, le plus souvent, l'obligation du débiteur dépasse la lettre de la promesse.

En concédant que l'intérêt du créancier imprudent eût brisé l'enveloppe de la formule, n'était-il pas équitable que le débiteur en profitât, lui aussi? De cette manière, les investigations du juge n'avaient pas pour but unique de secourir l'un des cocontractants, plus exactement, le contractant jouant le rôle de créancier; car, dans les contrats synallagmatiques, chacune des parties est, à la fois, créancière et débitrice. Ce fut la pensée des jurisconsultes, qui achevèrent ainsi l'émancipation de la volonté.

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Un vendeur, écrit Gaius, a attribué à un esclave certaines qualités la persévérance, l'activité, le goût de l'épargne, et ses déclarations ne se trouvent pas absolument vérifiées. Sans doute, en principe, les actions redhibitoria et quanto minoris seraient recevables. Mais, interprétant les conventions ex aequo et bono, le préteur refuserait toute voie de recours si l'esclave ne travaillait point jour et nuit, mais qu'il fournît un labeur quotidien normal la promesse ne s'entend que d'un esclave moyen (18 ppio, D., 21, 1). Un fonds a été déclaré uti optimus maximusque; les parties ont dû faire allusion à une exonération de droits réels passifs, non pas à l'exercice de servitudes actives telles sont les décisions de Paul (169, D., 50, 16); d'Ulpien (90, D., hoc tit.); de Venuleius (75, D., 21, 2).

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§ III. De l'ignorance et de l'erreur.

Par un acheminement progressif, le Droit romain arrive, d'abord, à interpréter les conventions outre leur contenu, ensuite, contre leur contenu, alors qu'un contractant a été victime de son ignorance, de son erreur, du dol, de la violence.

Que, dans une période où le formalisme prédomine, les

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