Page images
PDF
EPUB

On peut se demander la cause d'une semblable anomalie. Pourquoi la bonne foi de l'acquéreur ne le protège-t-il pas contre les poursuites du patron tout aussi bien que contre le recours d'un créancier quelconque? La raison en est historique. A l'origine, le maître avait la faculté d'imposer à l'affranchi qui refuse l'« obsequium » une société de tous biens, à titre de peine, quelquefois comme indemnité des «<operae » perdus par la <«< manumissio ». Le préteur Rutilius avait créé une action qui portait son nom et qui sanctionnait ce contrat singulier. Plus tard, les Prudents s'aperçurent combien il était contraire à la raison de placer la contrainte à la base d'une obligation, où la volonté des parties, plus que partout ailleurs, devait être respectée par le magistrat. Aussi songea-t-on à remplacer la communauté obligatoire par un droit de succession sur les biens de l'affranchi en faveur de son ancien maître. Ce droit donnait naissance à une sorte de réserve, pars debita patrono. Il y avait là une indisponibilité partielle grevant le patrimoine de l'affranchi qui, très probablement, en avait puisé les éléments dans le pécule concédé par le patron. Ainsi s'explique l'énergie avec laquelle était sauvegardé un titre qui, en définitive, était supérieur au gage tacite des autres créanciers. Les tiers ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes de leur légèreté, la qualité d'affranchi se révélant assez ordinairement par des signes exté

rieurs.

En résumé, à l'époque classique, les contrats à titre onéreux sont révocables par l'action Paulienne, si l'une des parties est Je b. f.; par l'action Faviana, lorsque le débiteur est seul de b. f. Contre les contrats à titre gratuit, l'action Paulienne réussit, s'il y a un préjudice, jusqu'à concurrence de l'enrichissement du tiers de b. f.; la loi Aelia Sentia, quand existe le consilium fraudandi; l'action Calvisiana, élimination faite de toute volonté.

[blocks in formation]

Pour en terminer avec le « fraudator », notons qu'au second siècle, le Chapitre II de la loi Aquilia prévoyait une acceptilation faite in fraudem par un «adstipulator » (Gaius, III, 215). Le dommage devait-il seulement être constaté? Les hésitations proviennent de ce que, d'une manière générale, la loi exige une faute; que, d'autre part, l'acte litigieux a été consenti à titre gratuit. En outre, Gaius ne joint pas à l'expression in fraudem le mot sciens ou dolo malo, caractéristique de la mauvaise foi. Néanmoins, nous inclinerions en faveur de la nullité, sans considération de l'intention.

CHAPITRE III

DE L L'OBJET

La règle d'interprétation des contrats est de rechercher la volonté des parties. Appliquant cette méthode à l'objet des conventions, nous dirons qu'il y a contrariété entre la « res » et l'« animus» quand, dans la réalité, la chose n'est pas celle que les parties avaient en vue, si elle a une valeur nulle ou inférieure à la contre-prestation.

Or, dans trois hypothèses, la valeur d'un objet est nulle (1) : il a péri en totalité, il a été mis hors du commerce (2), il appartient déjà au stipulant.

La chose a une valeur inférieure, lorsqu'elle a péri partiellement, qu'elle est composée d'une substance moins précieuse, infestée de vices qui rendent son usage dangereux et plus difficile, grevée de droits réels, fiscaux qui en déprécient le

revenu.

Telles sont les trois séries d'espèces que les jurisconsultes romains ont tranchées d'une manière divergente, suivant la bonne ou mauvaise foi des contractants, et que nous analyserons dans la première section.

D'autre part, l'objet conforme à la volonté des parties peut dépérir, après coup, totalement ou partiellement ce sera le sujet d'une deuxième section.

(1) Il se peut que, d'un commun accord, la vente porte sur un aléa et, par aventure, sur un objet sans prix : vente d'un coup de filet (f. Ulpien, 11, 18, D., 19, 1), d'une hérédité (Gaius, 12, D., 18, 4). Le vendeur de b. f. peut scul toucher le prix dans le cas où la pêche serait improductive; la succession réduite à néant.—(2) « deperdita res » (f. Gaius, 21, D., 5, 3).

SECTION I

DE LA CONTRAriété de l'objet et de l'inTENTION DES PARTIES

[merged small][ocr errors]

Lorsqu'il y a désaccord sur l'objet, à la bonne foi est attaché un triple effet.

1o Le contrat est inexistant. Dans le cas où il a reçu un commencement d'exécution, les choses doivent être remises. en l'état.

2o Le contrat, quoique nul, engendre certaines conséquences. La prestation en nature est remplacée par un équipollent pécuniaire.

3o Le contrat est valable, mais à l'exécution réelle s'ajoutent des dommages-intérêts.

Les motifs de ces propositions en réduisent la complexité. L'erreur peut altérer le jugement au point d'annihiler le concours de volontés. Les prohibitions de l'Etat, les impossibilités de fait empêchent l'exécution en nature, à laquelle on substitue la valeur vénale de l'objet. Le dommage occasionné doit être réparé par son auteur, dont l'ignorance est cependant un élément d'atténuation.

§ II.

[ocr errors]

Vente et stipulation aliud pro alio.

La première difficulté ne doit pas nous arrêter longtemps. Si le vendeur avait en vue une « merx » et l'acquéreur une autre, le marché est nul par suite de l'erreur commune sur le « corpus » (f. Ulpien, 9 ppio, D., 18, 1; f. Paul, 83, 1, D., 45, 1; Venuleius, 137, 1, hoc tit.).

Que décider lorsque l'erreur s'exerce sur un accessoire? C'est l'esclave Dave que l'acquéreur a entenda adjoindre à l'objet principal, c'est au contraire l'esclave Pamphile qui est visé par

le vendeur. Le contrat tient, dit Paul (34 pp1o, D., 18, 1). Peu importe le prix des accessoires; car, le plus souvent, on acquiert une chose en contemplation de ces derniers.

§ III. De la valeur nulle de la chose.

I

J'achète un fonds dont j'étais déjà propriétaire. Gaius prononce la nullité d'une telle obligation contractée de bonne foi (1). Pour Pomponius, la vente est nulle (16 pp1o, D., 18, 1) que l'acquéreur soit de b. ou m. f. Mais s'il est de b.f., il répétera le prix. Julien approuve cette décision (2), à laquelle sc rallient Paul (14 ppio, D., 50, 16) et Ulpien (35, D., 41, 1).

En serait-il de même de la stipulation de sa propre chose, nulle d'après les Institutes (3), faisant allusion à un stipulant de b. f. ? Le silence des textes ne nous permet pas de l'affirmer.

Le vendeur de mauvaise foi pourrait être poursuivi par l'actio furti, ajoute Pomponius (44, 1, D., 47, 2).

Primus prend à bail sa propre maison. Le contrat est nul lorsque le locataire est de b. f. (20, C., 4, 65, an 293). Le dépôt de sa chose est nul. Quand de b. f., on en a opéré la restitution, la condictio indebiti est licite, dit Tryphoninus (31, 1, D., 16, 3) « quia non est ex fide bona rem suam dominum praedoni restituere compelli ». Dans les mêmes conditions, le gage n'a aucune efficacité pour un créancier de b. f. : telle est la solution de Julien (33, 5, D., 41, 3). Enfin, la loi 7, C., 4, 49, nous apprend que la réception en paiement de ses derniers ne vaut point à l'encontre d'un créancier de b. f. (4).

Ces diverses solutions sont reliées les unes aux autres par une double idée. Nul ne peut acquérir sa propre chose. Car, dans la

[blocks in formation]

(4) « Cum proprii venditoris nummi soluti non praes

(1) III, 99; 1, 10, D., 44, 7.19, 2; IV, 6, 14. tent emptori liberationem »>.

« PreviousContinue »