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DE

LA BONNE FOI

SES EFFETS SUR LES CONTRATS

DU PREMIER AU SIXIÈME SIÈCLE DE L'EMPIRE

Par la naissance de besoins nouveaux, peut-être par une exagération de l'analyse, les doctrines que semblait protéger contre la critique la longue expérience des temps sont, de nouveau, discutées, sinon soumises aux attaques les plus vives.

Ainsi en est-il de la théorie d'après laquelle les dommagesintérêts doivent varier, suivant la bonne ou mauvaise foi des parties.

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Le droit contemporain nous enseignait et ce système paraissait rationnel que l'importance de la réparation du préjudice était proportionnée à la bonne foi de son auteur; que, réciproquement, quiconque s'exposait à un tort par sa négligence, son dol, était mal venu à s'en plaindre.

Cette doctrine dériverait d'idées à priori, dont il conviendrait de faire table rase, si nous ajoutons crédit aux tendances, impor tées d'un pays voisin, traduites dans plusieurs lois sociales, auxquelles nous consacrons un autre travail.

Dr. rom.

1 B.

Désormais, il importerait au progrès de substituer un tarif unique à la complexité de l'arbitrage judiciaire.

Aussi bien était-il conforme à la logique d'instruire le procès de la législation romaine, qui contient le point de départ de la différenciation des indemnités, innovation barbare, écrit le docteur Schwiedland (1).

Un tel reproche est-il justifié? C'est de la résolution de ce problème que traitera cet essai, limité aux contrats, d'abord, par son étendue, ensuite, par l'intérêt moindre que présentent, dans cet ordre d'idées, les conséquences de la bonne foi dans la procédure; les délits; l'état des personnes; la possession. Toutefois, nous parlerons incidemment de cette dernière, nous proposant de résumer les autres matières dans un appendice.

(1) Le développement moderne du droit à l'indemnité, Rev. Econ. pol., 1888-1889.

PREMIÈRE PARTIE

DE LA BONNE FOI ET DU PRÉJUDICE

Pour apprécier si la transformation du dommage en soi en dommage accompagné de l'estimation de la bonne foi, marque un recul ou bien un pas vers l'idéal du Droit, il est nécessaire de fixer, à travers les diverses phases de la société romaine, la notion de la bona fides et du damnum; de montrer comment, par les nécessités de la pratique, ces deux conceptions se sont associées, de manière à ne plus pouvoir se séparer l'une de l'autre.

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Le sens de la bona fides ne saurait être facilement déterminé, et, plus exactement, il est multiple. Il varie, non seulement avec les temps, mais encore avec les jurisprudents d'une même. époque.

Tour à tour, la bona fides se présente à nous, comme l'équité; l'état d'ignorance et d'erreur excusables; la manière d'exécuter un contrat, conformément à l'intention des parties; enfin, comme la négation du dol et du préjudice.

Chez Plaute, elle est l'équivalent de la probité la plus scrupuleuse dans les rapports de droit. Témoin cette scène de Mostellaria (le Revenant). Nous assistons à un dialogue entre l'esclave Tranion et Theuropide, un « paterfamilias », dont le fils a consenti l'acquisition d'un immeuble. La vente ne saurait être ramenée à exécution sans l'aveu de Theuropide, non obligé par une personne « sub potestate ».

TRANION............. De vicino hoc proximo

Tuus emit aedeis filius. THEUR. Bonan' fide?

TRANION. Si quidem es argentum redditurus, tum bona.

Si non redditurus es, non emit bona.

(Acte III, scène I, vers 660 à 663).

Le valet, qui redoute les étrivières, dit bien que, si le maître paie, le marché est sérieux; que, sinon, il n'a aucune valeur. Mais sa pensée intime renferme une leçon pour le « dominus ».

En ne réalisant pas la vente, le vieillard commet un acte de mauvaise foi; la parole de son fils est privée de consistance.

Tout cela n'est pas très clair, sans que cette obscurité soit de nature à nous étonner, quand on estime avec Ihering que « le système des conventions basées sur la bona fides, dans le sens romain du mot, c'est-à-dire du commerce juridique exclusivement fondé sur la loyauté et la confiance, est un complément du formalisme » (1) et avec M. Esmein que « le droit antique évite par instinct la recherche des intentions; il ignore la pensée individuelle dans les actes juridiques, lorsqu'elle ne s'est pas affirmée dans une forme précise et connue d'avance »(2).

Cicéron se montre beaucoup plus net que le comique du VI° siècle (3). A son avis, la bona fides n'est autre chose que la manière d'observer l'équité; le sens le plus simple; la réalité de la promesse (promissorum veritas), dégagée de toute subtilité, tromperie, finesse ou perfidie. Et Charondas d'élucider encore cette pensée : « on donne un judex, non pour appliquer étroitement les stipulations des plaideurs et leur sens littéral, mais bien pour rechercher la bona fides, l'intention des contractants : ce qui ne peut se faire ne peut se faire que par l'examen des antécédents » (4).

Francisque Hottman se rappelait sans doute ce passage du de Officiis, lorsqu'il définissait la bonne foi, l'exécution de la promesse (5).

(1) De l'Esprit du droit romain, t. III, p. 174. (2) Sur l'histoire de l'usucapion, Nouv. Rev. hist., 1885. (3) Cpr. ce fragment du de Officiis, III, 17 « Fidei bonae nomen manare latissime, idque versari in tutelis, societatibus, fiduciis, rebus emptis venditis, locatis conductis, quibus vitae societas continetur. In his magni esse judicis statuere, praesertim cum in plerisque essent judicia, quid quemque cuique praestare oporteret ». C'est dans cette acception que Suétone faisant allusion à Auguste dit : « Eodem populo promissum quidem congiarium reposcenti bonae fidei respondit ». (4) Lud. Charondas, Diss., III, 3, p. 773, apud Ev. Ottonis Thesaurum. (5) Bona fides proprie dicitur quod quod promissum est praestatur ». Commentarius verborum juris, antiquitatum romanarum elementis amplificatus.

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