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PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION HISTORIQUE ET ÉCONOMIQUE

CHAPITRE PREMIER

HISTOIRE DES ACCIDENTS PROFESSIONNELS

L'histoire des accidents ne commence, pour ainsi dire, que vers la seconde moitié de ce siècle. Antérieurement, la rareté des machines, le nombre assez restreint de la population ouvrière, le défaut de publicité rendent les recherches difficiles, sinon infructueuses. Cependant il s'en dégage deux ordres d'idées bien distincts.

Tout d'abord apparaît la pensée de subvenir aux victimes des risques professionnels, maladies ou accidents. Ensuite, mais beaucoup plus tard, avec le développement de l'industrie et le souci de la vie humaine, l'on songe à la protection de l'individu contre les éventualités du danger.

SI. - De la réparation des accidents.

I

Dans l'ancien Droit français, les accidents n'émeuvent guère l'assistance privée et publique; du moins les institutions de prévoyance se trouvent absorbées dans les caisses de maladies ouvrières.

Dès le XIIe siècle, ce sont les corporations et plus exactement les confréries d'essence religieuse qui fournissent des subsides à leurs affiliés invalides. A cet effet, la confrérie parisienne des corroyeurs de robes de vair (fourrures) avait établi une Caisse alimentée par un droit d'entrée et par des cotisations annuelles. Elle donnait aux malades des secours dont le montant était tarifé d'avance d'après la gravité, la durée du mal, et, en outre, une somme fixe pour les frais de convalescence (1).

Mais si, dans l'exercice normal du métier, l'accident était un phénomène isolé, il en était autrement quand les membres des corporations étaient employés au service du guet. Lorsqu'ils étaient blessés par les malfaiteurs, et dans cette hypothèse seule, l'article 8 de l'Edit de 1559, promulgué par Henri II, prescrivait que « s'il se trouvait qu'ils fussent inutiles au service du guet, en rapportant certification et advis du chevalier du guet et du procureur du roy au Chastelet, il sera pourvu par le roy pour leur subsistance pour le reste de leur vie, ainsi qu'il restera à faire ».

Dans l'industrie maritime, les sinistres se reproduisaient à intervalles infiniment plus rapprochés. Aussi René Josué Valin commentant les articles 11, 12, 17 de l'Ordonnance d'août 1681 (2) nous apprend que, dans le cas où un matelot a été blessé, soit au service du navire, soit en service ordinaire, alors qu'il a été envoyé à terre pour l'intérêt de l'armement, les différents risques se classent tantôt parmi les avaries communes, tantôt parmi les avaries simples. « Car, ajoute, en guise de réflexion, le savant auteur, il ne serait pas juste que son mal

(1) V. E. Merlin, Bull. lég. comp., 1884-85, p. 582; Levasseur, Les classes laborieuses, t. I, ch. V, p. 1168; Mazaroz, Histoire des corporations françaises d'arts et métiers. (2) Cpr. art. 18 et 19 de l'Ordonnance de Wisby, art. 39 et 45 de la Hanse teutonique, 1, 6 et 7 du Jugement d'Oléron.

heur lui fut personnel... c'est à cause qu'il a été blessé en combattant pour le salut commun » (1).

Il ne faudrait point croire qu'en dehors de l'organisation corporative et de la réglementation spéciale de la marine, la bienfaisance des particuliers fût restée inerte en face des malheurs des gens de travail non immatriculés dans un corps de métier.

Au xvin siècle, se dessine un mouvement très visible vers l'assistance individuelle, autonome. En 1753, M. de Chamousset, maître des requêtes, concevait le plan d'une association séculière des travailleurs, qui fut mis à exécution dans une maison située au delà de la Barrière de Sève, vis-à-vis la porte Jésus. Moyennant des primes variant de cinq à six livres, les adhérents malades pouvaient s'y assurer l'hospitalité (2).

En septembre 1755, autre mémoire sur un projet d'établissement singulier. L'auteur anonyme proposait la création d'une communauté séculière et libre ayant pour type les communautés laïques d'Auvergne (3). En juin 1756, le rédacteur du Journal Economique parlait de l'ouverture d'une Maison d'association où chaque participant, pour une somme très modique, se procurerait aliments et remèdes. « Il y a nécessité, disait l'écrivain, de pourvoir aux citoyens dont l'œconomie ne peut s'endormir un seul jour sans qu'elle s'en aperçoive le lendemain, qu'une maladie longue et dispendieuse plonge dans l'indigence » (4).

Telle était la situation, lorsque le décret de juin 1791 précédé de l'Édit de 1776 vint confirmer l'abolition des corporations.

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(1) Commentaire sur l'Ordonnance de la Marine du mois d'août 1681, L. III, t. IV. (2) Journal œconomique ou Mémoires, notes et avis sur l'agriculture, les arts, le commerce et tout ce qui peut avoir rapport à la santé ainsi qu'à la conservation et l'augmentation du bien-être de la famille. Antoine Baudet, imprimeur du Roy, septembre 1755. — (3) Eod. op., pp. 97 à 105. (4) op. cit., juin 1756, 67.

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p.

II

Les classes laborieuses recourant à leurs propres forces fondèrent alors des caisses de secours mutuels et des caisses syndicales.

Celles-là, comme l'attestent les statistiques de 1871 à 1885, n'ont progressé que lentement (1), et à peine doit-on espérer que la nouvelle législation votée par le Sénat, le 14 juin 1889, leur communiquera quelque vitalité (2).

Ces associations paient à l'ouvrier 1 fr. 50 par jour, en dehors des frais médicaux et pharmaceutiques (3). Il est facile de déduire qu'elles n'ont joué dans la réparation des accidents qu'un rôle bien effacé. Sera-t-il dans l'avenir plus accentué

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1871 3.023.441 15.35 436.646 560.539 1.538.913 12.88 222.665 1885 4.835.116 16.41 687.564 953.901 2.170.941 13.04 293.107

De l'examen de ces chiffres il résulte que les ressources des mutualistes ont augmenté constamment, de 11 fr. 98 à 14 fr. 39 dans les Sociétés approuvées, de 12 fr. 88 à 13 fr. 04 dans les Sociétés autorisées. Les dépenses des premières ont oscillé de 11 fr. 60 à 11 fr. 51; celles des secondes, de 12 fr. 88 à 13 fr. 04. - (2) Art. 18. Les Sociétés de secours mutuels désignées en l'art. 7 sont admises à contracter près de la Caisse des dépôts et consignations des assurances soit en cas de décès, soit en cas d'accidents, conformément aux art. 7 et 15 de la loi du 11 juillet 1868. Ces assurances peuvent se cumuler avec les assurances industrielles. (3) Félix Faure, Ch. Dép., Off., 23 mai 1888, p. 1499.

par les attributions nouvelles que lui confère le projet de la Chambre des Députés (1)?

Les Syndicats des diverses professions dont le groupement a été facilité par la loi du 21 mars 1884, ont aussi créé des Caisses. Mais la mauvaise fortune de ces dernières n'a point dù encourager les institutions similaires.

C'est ainsi que les ouvriers charpentiers parisiens ont organisé des Caisses de secours aux blessés, à qui on sert une pension quotidienne de 2 fr., durant le premier mois, et de 1 fr., durant les deux mois suivants. Le Syndicat des tailleurs de pierre donne 2 fr. par jour au manoeuvre mutilé. L'allocation est de 2 fr. 50, si elle émane des entrepreneurs de serrurerie (2).

Depuis quinze années, l'industrie des ouvriers plombiers et couvreurs, composée de 7,200 personnes, possède une Caisse. Les patrons contribuent pour un tiers de la cotisation, et les ouvriers pour le reliquat. Elle a pu distribuer, à raison d'un demi-salaire pendant les jours de maladie, en 1881, 13,843 fr. à 89 personnes; en 1883, 7,359 fr. à 60 autres (3).

Parallèlement aux efforts tentés par les ouvriers souvent entravés par l'irrégularité des versements de la cotisation, il nous faut montrer l'initiative des patrons, la pratique des

(1) Nous faisons allusion au projet du 10 juillet 1888 que nous étudierons dans la suite. (2) Enq. parl., 1884, p. 13, 212. (3) Le Cour, Ch. Dép., Off., 23 mai 1888, p. 1491, col. 2. Signalons encore dans l'industrie parisienne les ouvriers mécaniciens. La Caisse contre la vieillesse est également destinée à secourir les accidents. Le bénéficiaire reçoit 14 francs par semaine, les six premiers mois, et 1 fr. par jour jusqu'au complet rétablissement. Les scieurs de pierre allouent quotidiennement 2 fr. à leurs affiliés et un capital de 150 fr. à la veuve du compagnon.

A Lille, fonctionne depuis 1866, grâce à l'excellente impulsion de M. Auguste Longhage, la Société des ouvriers mutilés. En 1888, elle détenait un fonds de 402,219 fr., tout en supportant le service de 76 pensions viagères et les secours temporaires de 29 adhérents (Cpr. Mon. univ., 1868, p. 892, col. 3).

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