Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

PREMIÈRE HYPOTHÈSE. Le conducteur d'un cheval est renversé par celui-ci. Il intente une action en responsabilité à son patron. Que doit-il prouver? Aux termes de l'article 1385 du C. civ., la matérialité du préjudice occasionné par le travail crée, à l'encontre de l'employeur, une présomption de faute juris tantum, qui ne peut tomber que devant la preuve de la force majeure, du cas fortuit (1).

DEUXIÈME HYPOTHÈSE. Le volant d'une machine fixe vient frapper un ouvrier; le blesse plus ou moins gravement. La démonstration du vice du bâtiment et de tout ce qui est incorporé suffit. Peu importe l'ignorance du patron; il est responsable par application de l'art. 1386 du C. civ. (2).

TROISIÈME HYPOTHÈSE.

[ocr errors]

Un agent de transport est mutilé par une locomotive, c'est-à-dire par un outil mobile: il lui faut articuler une faute commise par le maître, telle que l'inobservation des règlements (3).

-

nous ne

Lorsque la lésion est due à la défectuosité de tout autre engin, cordage, appareil mécanique quelconque, une même étendue est assignée à la preuve de l'ouvrier. Et cependant pouvons passer sous silence une telle contradiction—l'arrêt de la Cour de Paris déjà cité, du 23 février 1884, assimile le fait de confier un animal vicieux à un domestique à celui de lui fournir un instrument de travail défectueux : « que, dès lors, » dit cette juridiction, la situation est celle d'un ouvrier à qui » son patron a commis l'imprudence de remettre un instrument >> défectueux ». Pourquoi, par suite, établir une différence entre la première et la troisième hypothèses, et surtout entre celle-ci et la seconde ? C'est une antinomie que nous renonçons, quant à nous, à trancher.

QUATRIÈME HYPOTHÈSE. L'accident trouve son origine dans

-

[ocr errors]

(1) Paris, 23 février 1884, 11 février 1886, S., 1886. 2. 97-100. (2) Cass., 19 avril 1887, S., 1887. 1. 217.. (3) Cass., 5 mars 1888, D., 1888. 1. 359.

les vices généraux de l'installation; dans une absence de surveillance. Les tendances de la jurisprudence sont, en ce cas, plus humanitaires qu'harmoniques avec son point de départ.

L'ouvrier doit, en effet, être protégé non seulement contre les risques résultant de l'insuffisance du matériel, mais encore contre ses propres imprudences, auxquelles le chef de fabrique pourrait remédier à l'aide de certaines précautions qu'il lui faut imposer à son subordonné (1), même en recourant à des perfectionnements coûteux (2). C'est pour lui une obligation de diminuer, par une diligence constante, toutes les chances d'accidents qui pèsent sur un travail dangereux (3).

La Cour de Paris en a fait une application intéressante. Un maçon travaillait à la construction d'un bâtiment. Par une ouverture qui surplombait la place où se trouvait le manœuvre, tomba une pierre qui brisa le crâne de l'homme. Le patron fut déclaré responsable ipso facto (4).

De même en serait-il s'il n'avait pas observé les règlements prescrits par l'autorité administrative, dans l'intérêt du public tout aussi bien que des employés ; ce qui a été jugé par la Cour suprême dans une espèce où il s'agissait d'un ouvrier graisseur qui, n'ayant pas été prévenu par le sifflet d'une locomotive, avait été tamponné par celle-ci (5).

Au surplus, la victime est recevable dans son action lorsqu'elle a obéi ponctuellement aux ordres du chef d'exploitation ou de ses préposés (6). D'une manière générale, encore qu'une

(1) Moulins, 8 janvier 1887, S., 1887. 2. 173; Toulouse, 1er juillet 1885, Rev. cont., t. IV, p. 390. (2) Lyon, 26 juillet 1886, Rev. cont., t. VI, p. 301.. (3) Cass., 7 janvier 1876, S., 1878. 1. 412; Cass., 5 mars 1888, D., 1888. 1. 359; Caen, 7 mars 1880, S., 1880. 2. 176; Douai, 27 juin 1881, S., 1884. 2. 6; Amiens, 15 novembre 1883, S., 1884. 2. 7; Bordeaux, 15 février 1886, J. des Arrêts, 1886, p. 258; Adde S., 1880. 2. 176; S., 1882. 2. 136; S., 1885. 1. 19. (4) Paris, 3 février 1886, Rev. cont., t. V. p. 390. (5) Cass., 2 décembre 1884, D., 1888. 1. 359. (6) Cass., 28 août 1882, D., 1883. 1. 239.

faute soit relevée à l'égard des gens de travail, elle n'efface pas la négligence initiale de l'employeur, sauf toutefois au juge à modérer le chiffre des dommages-intérêts (1). Cependant ce principe n'est pas absolument invariable, relevant plutôt du fait que du droit, bien que la Cour suprême s'en réserve le contrôle (2).

CINQUIÈME HYPOTHÈSE: Quand l'accident prend sa cause dans la faute d'un agent du patron, prouvée dans les limites du droit commun, le maître ne saurait se soustraire à l'action, sous le prétexte d'un choix malheureux; car il est responsable de l'élection de son personnel (3).

Par cet exposé succinct des décisions de la jurisprudence dont il serait difficile de relever, en cette matière, les hésitations et les divergences, on peut cependant déduire que, dans la première hypothèse, l'ouvrier doit prouver la relation entre l'accident et l'usage de l'animal: il supporte donc les cas fortuits. Dans la deuxième hypothèse, il lui faut démontrer les vices de la machine; dans les trois autres, une faute, si légère qu'elle soit, à la charge du patron, coupable d'un défaut de vigilance, ou de l'emploi d'un outillage dont le maniement n'a pas suivi les progrès de la science.

En dehors de ces conditions, le blessé subit l'incidence de la force majeure; de sa propre imprudence (4) et, enfin, des causes inconnues de beaucoup les plus nombreuses.

[ocr errors]

(1) Cass., 28 août 1882, S., 1885. 1. 9; Adde S., 1875. 1. 204; S., 1877. 2. 336; S., 1879. 2. 13; S., 1880. 2. 176; S., 1880. 1. 55; S., 1884. 2.7. (2) Voir l'espèce citée dans l'arrêt du 2 décembre 1884, S., 1886. 1. 367. (3) Dijon, 27 juillet 1874, S., 1875. 2. 73, (4) Cass., 15 novembre 1881, S., 1883. 1. 402; Req. Cass., 2 décembre 1884, S., 1886. 1. 367; Grenoble, 10 janvier 1883, S., 1883. 2. 55; Toulouse, 16 avril 1886, Rev. cont., t. V, p. 387; Seine, 16 juillet 1886, Rev. cont., t. V, p. 469. Adde S., 1874. 2. 316; S., 1878. 1. 148.

[ocr errors]

IV

(a) De même que le fondement de l'action est laissé à l'arbitraire du juge, de même en est-il de l'évaluation de l'indemnité, variable suivant la gravité de la blessure; le nombre des personnes dont le mutilé était le soutien; la qualité des survivants, — enfant, conjoint, ascendant; - l'affection présumée des ayants-cause pour leur auteur. On comprend qu'avec des éléments si disparates, la réparation pécuniaire doive osciller entre des limites indéterminées, très considérable quelquefois, insignifiante souvent, comme il est facile de s'en convaincre en parcourant les annexes du Rapport de M. Martin Nadaud on y voit le juge allouer jusqu'à 6,000, 7,000, 8,000, 10,000 et mème 25,000 fr. de dommages-intérêts, en capital; 300 fr., 1,500 fr., en rentes viagères (1).

Le paiement s'opère, soit en un capital une fois aliéné, soit en rentes sur l'Etat français.

(b) Abstraction faite de l'hypothèque judiciaire inhérente à tout jugement, il ne paraît pas, d'après les monuments de la jurisprudence, que l'ouvrier ait aucune autre garantie, telle qu'un privilège spécial ou général sur les biens de son patron.

V

Ce dernier, par une clause du règlement de chantier; par une convention particulière du contrat de louage de services, pourrait-il s'exonérer de toute garantie? La jurisprudence incline vers la négative, bien que le Tribunal de Moulins, dans le jugement dont nous avons cité des extraits, fasse découler la solution de la production d'un titre (2).

(1) Ch. dép., Doc. parl., 1882, n° 1334, p. 2,509. (2) << Les parties peuvent, en contractant, stipuler que certains risques seront à la charge de tel ou tel contractant; que c'est là une convention parfai

Dr. fr.

6 B.

Pour le Tribunal de Saint-Etienne, ce n'est point une pure question de forme. La liberté des conventions serait paralysée par le caractère d'ordre public attaché aux articles 1382 et 1383 du Code civil, et par ce motif que l'ouvrier n'aurait pas la liberté de répudier une telle clause, contraire à la sécurité générale, puisque « n'étant pas retenus par la crainte de leur responsabilité, les maîtres négligeraient, dans une pensée de lucre, les précautions les plus nécessaires » (1).

Aussi bien cette décision est-elle davantage adaptée à la jurisprudence suivie par la Cour de cassation dès 1876.

L'exonération expresse est nulle et de nul effet. A fortiori, l'exonération tacite, dérivant d'une hausse de salaire, est-elle considérée par la Cour de Paris comme inefficace (2).

VI

A cette fin de non recevoir tirée d'une prétendue clause du contrat, l'employeur peut ajouter celle de la prescription. tement licite; qu'aussi, le patron peut se faire l'assureur de ses propres ouvriers, mais que les parties ne peuvent, d'avance, s'exonérer des conséquences des fautes qu'elles commettront, tout ce qui constitue une faute présentant nécessairement un caractère délictueux ou quasidélictueux, qu'autant que cette réglementation se fait à raison de ce caractère et sous la forme transactionnelle (art. 2044 C. c.); la transaction faite entre le patron et l'ouvrier, pour prévenir une contestation à naître et portant sur l'intérêt civil du délit, n'empêchant pas, d'ailleurs, l'action du ministère public (art. 2046); que, par suite, l'appréciation des fautes commises par les parties contractantes dans les rapports naissant pour elles du contrat doit être faite selon la clause de la transaction, si elle est rapportée; que la clause transactionnelle n'est point de l'essence du contrat de louage; que les termes de l'art 1710 du C. c. répugnent à une telle transaction ». Si, par hypothèse, le patron avait rapporté le contrat de louage, le juge eût-il pu déclarer cette clause valable? Il semble que cette conclusion se dégage logiquement du dispositif qui, n'abordant pas le fond, fait cependant pressentir la manière de voir du juge. (1) Saint-Etienne, 10 août 1886, Rev. cont., t. VI, 125. p. (2) Paris, 23 février 1884, S., 1886. 2. 97.

« PreviousContinue »