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des efforts pour préparer une fusion du droit barbare et du Droit romain. Ils publièrent des capitulaires qui s'adressaient à tous les sujets du royaume, Francs ou Gallo-Romains. Mais ces capitulaires s'occupaient surtout des questions de droit public. Comment comprenaient-ils le principe de la réserve? Il est difficile de le dire exactement; mais ils prescrivaient aux juges de rendre justice à l'enfant injustement exhérédé par ses parents (1).

Le bien-fondé de l'exhérédation sera examiné par le juge qui prêtera, dans la mesure du possible, « quantum ad nos vel » ad nostram pertinet potestatem », le secours de son autorité à ceux qui auront été victimes d'une exhérédation injuste.

Les Capitulaires parlent bien plus souvent de la donation que du testament. Cependant si un héritier qui a reçu une libéralité du testateur n'accomplit pas la volonté de celui-ci dont l'expres sion se trouve dans le testament, il sera privé de sa part d'hérédité pour cause d'indignité.

De même, si le juge voit dans la conduite du fils donataire un fait d'ingratitude, la donation sera révoquée.

Enfin, les Capitulaires visent une hypothèse probablement controversée un homme libre épouse une femme appartenant à l'Eglise ou à l'Etat (fiscalina). Est-ce là une cause d'exhérédation?

Les Capitulaires se prononcent pour la négative et concluent dans ce cas à l'impossibilité de l'exhérédation.

(1) Ansegise, L. 2, ch. 31.

CHAPITRE II

PÉRIODE FÉODALE

La puissance royale qui, avec Charlemagne, s'était fait respecter de tous, dégénéra bientôt sous ses faibles successeurs.

Suzerain de tous les seigneurs du royaume, le roi de France n'eut plus assez de prestige pour imposer sa volonté et il fut souvent vaincu dans la lutte qu'il dut entreprendre contre ses

vassaux.

Ceux-ci, délivrés du joug pesant d'une autorité royale forte, ne reconnurent plus de maître et de leurs vastes domaines ils formèrent autant d'Etats séparés soumis à une législation locale et particulière. La France fut ainsi découpée en une foule de petites provinces, qui, avec des idées juridiques à peu près identiques, arrivaient quelquefois à des solutions diffé

rentes.

Sous l'influence de ces faits politiques, le principe de la compétence avait changé d'orientation. Dans un débat, on ne considérait pas la race du demandeur ou du défendeur, le règne de la personnalité des lois avait cessé. On se demandait quelles étaient les lois ou les coutumes qui s'appliquaient sur la terre seigneuriale où se déroulait le procès. C'était la territorialité des lois. La territorialité des lois était une conséquence forcée de la fusion des races. De nombreux mariages entre Gallo-Romains et Barbares avaient rendu difficiles des recherches des nationalités premières.

Par suite des unions successives de Barbares et de GalloRomains, la plupart des enfants avaient une origine commune.

L'impossibilité de démêler exactement à quelle race appartenait un enfant devait fatalement amener à l'application territoriale des lois. On remplaçait ainsi des rapports compliqués et gênants par un principe d'une simplicité tentante pour les esprits peu cultivés du moyen-âge.

La loi du sol était la loi de l'individu attaché à la terre qui, à cette époque, dominait l'homme et l'absorbait (1).

Cantonnée sur son territoire, la loi ou coutume ne subissait pas une influence étrangère que la difficulté des communications rendait plus impossible encore. Mais les principes de toutes ces lois locales étaient identiques; les besoins de chaque province étaient sensiblement les mêmes; le développement du droit sur la surface des diverses parties de la France se fit forcément d'après les mêmes règles.

C'est ainsi qu'on retrouve dans les monuments qui nous ont conservé le droit de l'époque, une théorie successorale susceptible d'être généralisée dans son ensemble. Et nous allons constater que la distinction des biens déjà esquissée par les lois franques a pris une importance nouvelle dans le droit

féodal.

Le patrimoine de chacun se divisait en eritage et muebles et

(1) Du reste, ce point de vue est quelquefois encore consacré par nos législations modernes. La loi récente du 28 juin 1889 en fait l'application aux étrangers nés en France et leur attribue la nationalité française à cause de leur naissance sur le territoire français. Ainsi, l'enfant né en France de parents étrangers ou de parents inconnus sera Français de plein droit (art. 8 modifié §§ 2 et 4).

Dans l'un et l'autre cas, pourquoi lutter contre les difficultés de recherches souvent infructueuses pour découvrir quelle est la nationalité des parents, s'ils l'ont conservée et si l'enfant lui-même ne l'a pas perdue.

Ne vaut-il pas mieux, en effet, attribuer à l'enfant le pays auquel il est sûrement rattaché par les liens de sa naissance?

Cette analogie avec le principe féodal méritait d'être signalée : il est curieux de voir le législateur moderne faire un retour vers les anciens principes longtemps abandonnés.

conquez. L'éritage se composait des biens transmis dans la famille de père à fils. A ces biens s'attachaient des souvenirs tendres, une affection familiale; ils étaient liés au sort de tous les parents, ascendants et descendants: la loi en réservait une grande partie.

Les muebles et conquez, au contraire, formaient la portion variable du patrimoine. Ils étaient une propriété récemment acquise par l'un des membres de la famille; ils se dégradaient rapidement; celui qui les avait acquis grâce à son travail et à son économie devait avoir le droit d'en disposer à son gré : aussi la réserve, en général restreinte à l'éritage, ne portera pas sur les muebles et conquez (1).

Tous les auteurs ont fait ressortir avec soin cette opposition constante de l'éritage et des muebles et conquez; le premier, atteint plus ou moins entièrement par la réserve; les seconds, propriété disponible du chef de famille (2).

Le législateur de l'époque présume que le disposant a l'intention de donner d'abord les biens nouvellement acquis auxquels il ne tient pas de préférence. Ses héritiers ne sauraient articuler aucun reproche contre la disposition de ces biens; de

(1) Cette distinction des biens peut être rapprochée de celle que nous avons signalée (Thèse de Droit romain, ch. 2), aux premiers siècles de Rome. Le patrimoine comprenait la familia et la pecunia et si la loi des XII Tables donna la liberté de disposer de la pecunia, elle réserva la familia. Il ne faudrait pas croire que la distinction des biens en éritage et muebles et conquez y trouvât son origine. Cette division romaine avait, en effet, disparu sous l'Empire et le Droit romain qui exerça une certaine influence sur la formation du Droit français fut celui de l'Empire et non la vieille législation de la République. Cette distinction prend sa source dans les mœurs germaniques anciennes où nous avons trouvé une institution semblable.

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(2) Etablissements de Saint-Louis, L. 1, ch. 10. Conseil de Pierre Defontaines, ch. 31, § 10. - Coutume de Beauvoisis, ch. 12, § 3. Livre de Jostice et de plet, L. 12, ch. 3, § 1. Grand Coutumier de France, L. 2, ch. 40.

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par leur naissance ils n'y ont aucun droit; l'aliénation faite s'imposera à eux comme un fait accompli. Ils n'auront aucun moyen judiciaire pour faire respecter leur caprice contre la volonté manifestée par leur père. Voici, en ce sens, une décision de la Coutume de Saint-Dizier : Maître Giles a fait son testament; il meurt. Il laisse aux filles de sa femme un legs portant « sur ses muebles heritages ». Les héritiers attaquent le testament parce qu'ils se trouvent «< deshiretey et tropt dure>>ment deceu ». Quelle est la solution? « De cest article samble >> as eschevins d'Yppre que le don et l'amone est de value, » pource que li fillastre ne partent miez en son avoir » (1).

Dans certaines provinces, cependant, une part des muebles et conquez est réservée aux enfants. Telle est la décision du Grand Coutumier de France : « Item si le testateur n'a aucuns » heritiers, il peult donner en son testament tous ses biens » meubles et heritaiges, et s'il y a héritier, si peult il faire » testament de la moitié de tous ses meubles et conquests et » donner le quint de ses heritaiges » (2).

Mais en principe le père pouvait disposer librement de ses muebles et conquez; l'éritage seul était réservé en partie. La quotité disponible variait.

Les Etablissements de Saint-Louis permettent la donation. du tiers de l'éritage (3). La coutume de Beauvoisis restreint le droit du disposant et ne reconnaît la validité d'un acte à titre gratuit que jusqu'à concurrence du quint (4). C'est là, du reste, le droit commun (5).

Le Somme Rural de Bouteiller donne une décision toute romaine qui contraste avec toutes celles

(1) Coutume de Saint-Dizier, § 170.

(2) L. 2, ch. 40.

(3) L. 1, ch. 10.

(4) Ch. 12, § 3.

(5) Livre de Jostice et de Plet, L. 12, chap. 3, § 1.

que nous avons

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