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les donataires (En ce sens : Montpellier, 28 mai 1831; Sirey, 1831, 2, 217. - Paris, 15 janvier 1857, S., 1857, 2, 301).

Un arrêt postérieur de la Cour de Montpellier autorise l'exercice de l'action en réduction dans notre hypothèse (Montpellier, 23 mai 1866, Sirey, 1867, 2, 235).

Enfin, un arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation, qui mettra probablement fin aux hésitations de la jurisprudence, a été rendu le 5 juin 1878. Aux termes de cet arrêt, l'héritier réservataire qui rétracte sa renonciation à la succession, n'est plus recevable à demander la réduction des dons et des legs excédant la quotité disponible (Sirey, 1878, 1, 457).

Cette jurisprudence est fortement motivée; de nombreux auteurs la défendent (En ce sens : Demolombe, Successions, T. 3, no 71.-Ducauroy, Bornier et Roustaing, Commentaires du Code civil, T. 2, no 600, note 1. Ragon, Du droit de rétention, T. 2, no 287. — Laurent, Principes du Droit civil, T. 9, 456. p. Aubry et Rau, T. 6, § 613, p. 410). Par sa renonciation à la succession, le réservataire a rendu à son égard, définitives et inattaquables, les libéralités excessives. Les donataires ont désormais un droit acquis que rien ne peut entamer.

L'art. 790 est favorable à cette interprétation. Sa partie finale n'a rien de restrictif; c'est une simple énumération qui n'est pas complète. Le législateur n'a pas eu l'intention de limiter aux deux exemples cités les cas où les droits des tiers seront respectés. Ils le sont toujours, en principe. Et si l'art. 790 y apporte une dérogation, on doit l'interpréter restrictivement, en ce qu'il a d'exceptionnel.

Les travaux préparatoires sont favorables à cette doctrine, puisque Chabot, l'orateur du Tribunat, disait en parlant de cet article : « La faculté » d'accepter après renonciation ne peut être exercée que dans le cas seu>>lement où la succession n'a pas été acceptée par d'autres héritiers et » sans préjudice des droits acquis à des tiers sur les biens de l'hérédité ». C'est une véritable interprétation de l'art. 790.

Le Code lui-même nous fournit un argument d'analogie très puissant dans l'art. 462, qui, prévoyant la rétractation d'une renonciation à la succession, faite par un mineur ou pour son compte, lui permet seulement de la reprendre « dans l'état où elle est » : c'est dire que l'action en réduction lui serait refusée. Or, il est impossible que le législateur ait traité le majeur avec plus de faveur.

Enfin, cette solution se concilie parfaitement avec l'intérêt général : elle ne laisse pas les droits des tiers en suspens, comme la théorie qui permet au réservataire d'intenter l'action en réduction.

Pour soutenir cette seconde théorie, la Cour de Montpellier a raisonné ainsi les droits du réservataire sont éteints par sa renonciation; mais

l'acceptation les fait revivre; or, d'après l'art. 777, l'acceptation remonte au jour du décès du de cujus. De même, par cette acceptation les droits des tiers sont anéantis rétroactivement. L'art. 790 y apporte deux dérogations, on ne doit pas étendre ce texte en dehors de ses termes.

Cet argument est facilement rétorqué. Il est, en effet, inexact de dire que les droits des tiers sont anéantis par l'acceptation, survenant après la renonciation du réservataire. Par cette renonciation les tiers ont acquis des droits; les donataires sont devenus irrévocablement maîtres des biens donnés. On ne comprendrait pas qu'ils en fussent ensuite privés par le fait unilatéral du réservataire.

On met en avant un second argument : il y a, dit-on, une différence profonde entre la situation du donataire contre qui l'action en réduction va être intentée et celle des tiers qui ont acquis des droits en vertu de l'art. 790 in fine. En effet, ces derniers peuvent invoquer un titre autre que la renonciation du réservataire. Le donataire a, au contraire, la renonciation pour seul titre et elle a été rétractée ses effets disparais

sent.

Les donataires n'invoquent pas des droits acquis en vertu de la renonciation, mais bien en vertu de la donation qui leur a été consentie. La renonciation est une simple condition dont l'avènement confirme les droits des donataires et constitue un fait accompli.

Il faut donc décider que l'action en réduction n'appartient pas au réservataire qui, après avoir renoncé à la succession, rétracte sa renonciation.

CHAPITRE III

DE LA RÉTENTION DE LA RÉSERVE

Le réservataire renonçant peut-il invoquer un droit de rétention pour conserver sa réserve sur la donation reçue ?

Cette question a été l'objet de vives controverses pendant un demi-siècle. Aujourd'hui, en présence d'une jurisprudence constante, l'ardeur des discussions est un peu tombée; mais le problème n'en reste pas moins un des plus délicats de notre droit civil.

Dans l'examen des divers systèmes qui se sont produits, nous séparerons nettement la théorie pure, le droit civil, tel qu'il ressort de l'exégèse des textes, de la jurisprudence ou pratique judiciaire.

Si le législateur, dans la discussion et le vote des lois, a l'obligation morale de s'inspirer des besoins de tous et de céder souvent à des considérations pratiques, l'interprète doit les laisser de côté en face de textes précis, pour s'en tenir à la volonté certaine du législateur.

Au contraire, dans l'historique des variations de la jurisprudence, nous indiquerons les inconvénients qui se sont produits par suite de l'adoption des divers systèmes : nous n'aurons qu'à reproduire les motifs des arrêts célèbres qui ont résolu différemment la question.

SECTION I

HISTOIRE DE LA JURISPRUDENCE

La mission de la Cour de cassation est de maintenir l'unité de la législation française, qui est une de nos conquêtes modernes les plus précieuses on lui a donné des pouvoirs étendus et le dernier mot lui reste toujours dans les contestations juridiques soumises aux tribunaux. Ce n'est que depuis 1837 que la Cour de cassation a ce pouvoir suprême par conséquent, longtemps après la position du problème de la nature de la réserve, la Cour de cassation était encore impuissante : voilà une des causes qui expliquent la résistance que nous allons signaler de la part des Cours d'appel.

:

La Cour de cassation a conscience des intérêts considérables dont la sauvegarde lui a été confiée et, pour assurer l'unité de la législation, elle s'applique à rendre invariable l'interprétation judiciaire.

Mais, sur notre question, la jurisprudence a fait une évolution complète. Elle a consacré et abandonné tour à tour plusieurs systèmes mettant dans un provisoire trop long les principes certains de notre Code. Cette instabilité est due à la difficulté de la matière et aussi aux inconvénients engendrés par les systèmes préconisés.

En 1818, la Cour de cassation fut appelée à se prononcer sur le droit de rétention du réservataire renonçant. Pouvait-il, en s'abstenant de la succession, retenir sur une donation à lui faite la quotité disponible et sa réserve?

Telle fut la question posée à la Cour suprême; voici dans quelles circonstances :

En faveur du mariage de son fils aîné, Mme Laroque de Mons avait fait à ce dernier une donation de tous ses biens, immeubles et meubles, se réservant l'usufruit d'une partie déterminée.

Mme Laroque mourut en 1808, laissant six enfants. Le fils donataire renonça à la succession; les autres l'acceptèrent. Ils réclamèrent à leur frère aîné la portion qui, dans la donation, excédait la quotité disponible. Celui-ci, au contraire, prétendit non seulement à la quotité disponible, mais encore à sa part dans la réserve.

Le 29 août 1814, le Tribunal de Périgueux accorda à M. Laroque de Mons aîné la quotité disponible; mais il lui refusa sa part de réserve.

M. Laroque de Mons fit appel de ce jugement. La Cour de Bordeaux, par un arrêt en date du 30 janvier 1816, confirma le jugement du Tribunal de Périgueux.

M. Laroque de Mons se pourvut en cassation pour fausse application des art. 785, 786, 1003 et suivants du Code civil et pour violation des art. 845, 919 et 924 du même Code.

En effet, disait-il, il y avait deux titres en vertu desquels il pouvait recueillir la réserve : comme héritier et comme donataire. Par sa renonciation, il avait perdu le titre d'héritier; mais il restait donataire. De plus, sans être faite par préciput, la donation n'était pas sujette à rapport. Si, cependant, elle excédait la quotité disponible à laquelle il convenait d'ajouter la réserve du donataire, «< il y avait lieu à réduction ou retran>> chement jusqu'à ce que les héritiers qui avaient accepté fussent >> remplis chacun de sa réserve ». En faveur d'un fils donataire, la quotité disponible était, d'après le demandeur, différente de celle qui existait vis-à-vis d'un étranger. Dans l'espèce, la donation serait seulement réduite si elle atteignait la réserve due aux trois défendeurs en cassation. Et il invoquait à l'appui de sa thèse des auteurs anciens, Ricard, Lebrun, Merlin; des auteurs nouveaux, Chabot, Levasseur, Grenier et Toullier.

Les défendeurs répondaient que dans le système proposé par le demandeur, toute donation du disponible était préciputaire, et que, dans une donation de père à fils, la présomption de pré

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