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venir de sa victoire par un monument élevé sur le lieu même où s'était livrée la bataille; et l'on se demandait comment ce prince, qui, à l'occasion de cet événement mémorable, avait fait de pieuses fondations (1), n'avait pas eu la pensée de faire construire, à l'endroit qui avait été le théâtre de la défaite de ses ennemis, une chapelle commémorative? Le document qu'on vient de lire répond à cette question, et ne laisse pas un seul doute sur la part que prit le vainqueur de Charles-leTéméraire à l'édification de la chapelle et de l'ermitage de Bon-Secours.

Il résulte des deux titres que je viens de faire connaître, que la chapelle prit, dès l'origine, le nom qu'elle porte encore aujourd'hui, et qu'on l'appelait aussi chapelle des Bourguignons, dénomination moins pieuse, mais que le peuple dut adopter de préférence, comme lui rappelant d'une manière plus saisissante les événements dans lesquels il avait joué un si grand rôle. Enfin, s'il faut en croire Durival, cette chapelle fut dédiée par l'évêque de Toul, sous le nom de Notre-Dame de la Victoire et des Rois.

On lit, à ce sujet, dans un ouvrage publié en 1650 (2), par Nicolas Julet, qui fut provincial des Minimes

(1) Parmi lesquelles le couvent des Cordeliers de Nancy.

(2) Miracles et graces de N. Dame de bon Secours les Nancy. Imprimés du commandement de Monseigneur l'illustrissime cardinal de Lorraine. A Nancy par S. Philippe, Imprimeur de Son Allesse, 1630. Ce volume a pour frontispice la gravure de Callot, représentant la statue de la Vierge sculptée par Mansuy Gauvain. Cette statue est placée dans une espèce de tabernacle posé sur un autel, au pied duquel, et de chaque côté, sont des Minimes en prières.

L'ouvrage du P. Julet fut réimprimé en 1734, avec quelques variantes et corrections de style, sous ce titre: a Miracles et graces de Notre-Dame de Bon-Secours proche Nancy. Avec des instructions et une pratique générale pour faire des Neuvaines à NotreDame de Bon-Secours, pour les personnes de l'un et l'autre sexe qui y ont Dévotion, et plusieurs autres Prières choisies. A Nancy, chez Antoine Leseure, Imprimeur-Libraire, proche la paroisse S. Sébastien, à l'Image S. Jean l'Evangéliste. "

La chapelle lez Nancy a divers noms, tirés tant de la place, comme de ce qui s'y est faict et s'y faict.

› Son premier nom est la Chapelle des Bourguignons, ainsi nommée à raison du grand nombre de combattans de cette nation qui moururent en la bataille et furent enterrez et inhumez chrestiennement au cymetiere joignant par commandement du victorieux....

› L'autre nom est la Chapelle de Nostre Dame de la Victoire; car qu'elle soit dédiée à Dieu soubs l'invocation de la Reine des Saincts; que cette image miraculeuse posée sur le S. Autel, soit l'image de la Ste Vierge, Mère du vray Dieu, il n'en faut pas doubter puisque nous en sommes assurez par le sentiment et consentement commun de tout le peuple...

» A cette voix se rapporte l'authorité, qui fait veoir que le peuple ne s'abuse. C'est de ce brave et grave poëte, autheur de la Nanceiade...., qui nous chante cette vérité en ces vers:

Tum pius (ut decuit) miseranda cadavera victor
Dux jubet imponi tumulis: gelidissima primum
Dum patietur humus se ferri cuspide scindi.
Et datur hic tellus inhumatis (dicere nolim)
Hestibus, hos patrie heredes victoria fecit.
Atque sepulchrandis patet hic locus: ore sacratus
Pontificisque manu, et structum non grande sacellum
Virginis: alma deo que prebuit ubera nato.
Cognomen que dedit tante victoria matri:
Incorrupta hominem peperitque virgo: deumque :
Qui falsos nihilasse deos mihi creditur. Et quo
Evicisse modo te credo Renate tot hostes..... (1)

(1) Le duc de Lorraine, ému de compassion, ordonne qu'on rende les honneurs funèbres aux corps mutilés des vaincus, dès que le sol glacé se laissera enfin ouvrir par le fer. La terre couvre alors les cadavres de ceux que je n'ose plus nommer ennemis, puisque notre victoire assure à leurs dépouilles l'hospitalité de la tombe. On désigne pour leur sépulture ce lieu bénit par les prières et la main d'un pontife; ce lieu où s'élève une petite chapelle consacrée à la Vierge qui nourrit de son lait le divia enfant et donna à ce temple modeste le nom glorieux de Sainte

» Le ST Nicolas Romain, docteur ez droicts et conseiller de Monseigneur le duc François, nous rechante le. mesme en nostre langue, confirmant ce que l'autre

vient de dire:

Tandis René larmoyant de pitié,
Rayant du cœur toute l'inimitié

Faict recueillir cette moisson de guerre
Pour l'entasser au giron de la terre,
Dès que le fer brisera les gazons
Qui sont roidis, maintenant de glaçons
Tantost apres ces hommes l'on enterre
(Ne disons plus haineux de nostre terre)
D'autant qu'ils ont hérité pour tombeau
Le S. pourpris d'un Temple riche et beau
Bien que petit voüé à la Pucelle

Qui allaicta son Dieu de sa mamelle,
Et pour combler sa gloire de renom

De la Victoire elle prit le surnom....

» Si bien que ce S. lieu est appelé comme tesmoignent ces autheurs la Chapelle de Nostre Dame de la Victoire.....

» Nostre bon prince René recognoissant que cette victoire contre un si puissant et redouté ennemy, luy avoit esté octroyée divinement; pour en remercier plus dignement l'autheur, et celle par les mains de laquelle les faveurs divines nous sont communiquées, il fit dresser cette Chapelle à Dieu, en l'honneur de sa tresheureuse Mere, soubs le nom de la Victoire, comme obtenue par les tressainctes prieres d'icelle, que ce prince tres-devot imploroit instamment jour et nuict.

› Le nom troisiesme de N. dame de Bon Secours, meritoirement imposé à la Vierge honnorée et venerée en ce lieu, s'accorde au precedent, à cause de l'assistance miraculeuse que ressentit ce bon René, ayant eu

Marie-de-la-Victoire, nom mérité par la mère de l'Homme-Dieu dont la puissance anéantit les fausses divinités et accorda au duc de Lorraine un glorieux triomphe sur ses nombreux ennemis. (La Nancéïde, livre VIo, traduction de M. Schütz.)

recours à la Reyne du Ciel, en sa necessité extreme............ Toujours du depuis les peuples circonvoisins en leurs necessitez ont pris plaisir à frequenter ce lieu sainct sur l'esperance et asseurance qu'ils avoient d'estre secourus en leurs afflictions; ils y accouroient avec grande confiance, et s'en retournoient joyeux apres avoir obtenu par les merites de la Mere de misericorde ce qu'ils attendoient d'elle, se pouvant glorifier d'avoir trouvé en cette Chapelle le domicile de Nostre Dame de bon se

cours. >>

En 1505, on travaillait encore à la chapelle de BonSecours, et René fit délivrer, par le receveur général de Lorraine, une somme de vingt francs pour convertir à l'ouvrage que l'on y faisait alors (1).

Le même prince, voulant contribuer à la décoration de cette chapelle, et donner en même temps à la Mère de Dieu un témoignage de sa reconnaissance, fit exécuter, par le sculpteur Mansuy Gauvain, une statue de la Vierge entourée de différents personnages à genoux (2). Philippe de Gueldres, s'associant à la pensée de son époux, fit peindre à ses frais cette statue (5).

(1) Payé par le receveur à messire Nicolas Tabourin, prebtre, pour et on nom du chappellain de la chappelle Nostre Dame de Bon Secours, la somme de xx fr., xij gros pour franc, pour convertir et employer à l'ouvraige que l'on fait presentement en ladite chappelle. (Comptes du Receveur général de Lorraine pour 1505-1506.)

(2) Payé par le receveur à Mansuy..., pour avoir taillié ung ymaige de Nostre Dame affublée d'un manteau ouvert et y taillié gens de tous estas... viij fr. v gros. (Comptes du Receveur général de Lorraine pour 1505-1506.)

Ce Mansuy Gauvain, dont il est ici parlé, est l'auteur de la statue du duc Antoine, qui était placée sur la Porterie du Palais Ducal, à Nancy. J'ai publié, sur cet artiste, dont le nom n'était même pas connu, une notice biographique qui a été insérée au tome II des Bulletins de la Société d'Archéologie Lorraine.

(3) A Martin Deniset, chappellain de Nostre Dame de Bon Secours, que la Royne lui a ordonné bailler ceste fois pour faire paindre une ymage de Nostre Dame à plusieurs personnaiges adjacens à icelle pour mectre en ladicte chappelle, vj florins d'or... (Comptes du Receveur général pour 1505-1506.)

L'image de la Vierge (1), que l'on voit encore dans l'église actuelle de Bon-Secours, devint bientôt l'objet de la vénération publique, et de nombreux miracles, que le P. Julet a consignés dans son livre, furent opérés, dit-on, en faveur de ceux qui venaient se prosterner dévotement devant elle.

En 1523, René de Bourbon, épouse du duc Antoine, fit clore de murailles le cimetière des Bourguignons, et y fit placer une croix de pierre, «belle et somptueuse (2),» portant une lame de cuivre (3), sur laquelle on grava

ces vers:

Mil quatre cens soixante et seize advient,
Que Charles Duc de Bourgogne icy vient
Accompagné de Soudars et Gens d'armes
Cuidant Nancy surprendre à force d'armes
Veille des Roys qu'on depart le gasteau :
Il fut occis en passant un ruisseau,
Et la plus part de ses hommes de guerre
Furent occis et semez sur la terre.
* Puis recueillis par le commandement
Du preux René qui vertueusement
Obtient sur eux glorieuse victoire,
Dont les corps sont cy gisant en memoire
De ce conflict. Renée de Bourbon,

Noble Princesse ayant vouloir tresbon,

(1) Cette image a été gravée par Callot, pour servir de frontispice au livre du P. Julet; elle l'a encore été sous Léopold, par Bazin, et par Nicole en 1770. Ces différentes gravures présentent des variantes qu'il ne faut attribuer, je crois, qu'à des fantaisies d'artiste, et il ne me semble pas possible d'admettre, avec M. Noël, que Stanislas ait fait disparaître la statue primitive pour la remplacer par une autre. Tout le monde, d'ailleurs, est d'accord pour faire remonter au commencement du XVIe siècle l'image placée derrière le maître-autel de l'église de Bou-Secours. (2) Nicolas Julet.

(3) Les comptes du Cellerier de Nancy pour l'année 1522-1523, font mention d'une somme de 8 gros, payée à Mangin Gradelet, serrurier, pour crampons à attacher l'épitaphe de la croix des Bourguignons, et d'une autre somme payée à Robinet, le menuisier, a pour un buys (une porte) et une croix de bois pour le cimetiere de la chappelle des Bourguignons. "

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