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plantations, l'on ne plantât que des vignes de bonne essence et qualité, vulgairement appelées pineaux, et il défendit de planter celle nommée gametz, ou grosse race, espèce qu'il se réserve de faire arracher, même dans les anciens vignobles. D'un autre côté, par ordonnance des officiers du bailliage de la police et de la ville de Toul, du 5 avril 1731, homologuée au parlement de Melz, il a été ordonné que l'on arracherait des vignes les govaux blancs ou noirs, les gametz ou verdunois, et les focans ou grosses races. Le parlement de Metz étendit cette défense à tous les vignobles du pays messin. Les vignerons auxquels on donnait les deux tiers du prix du vin, et par conséquent plus intéressés à l'abondance qu'à la qualité, introduisaient dans les vignobles de Metz les govais, les Liverduns, les saumireaux et autres grosses races qui n'y pouvaient mûrir. On a eu tort d'étendre cette proscription aux vignes blanches, disent les mémoires de l'époque. Celles-ci, qu'on cultivait sous le nom d'aubins à SteRuffine et dans deux vignobles de la Seille, donnaient du bon vin. Cette variété d'aubins n'a jamais réussi ailleurs, et, dans le siècle dernier, on disait déjà que cette variété de cepages, qui ne se provignait pas, mais qui se renouvelait par des rejets du pied, était perdue. Dès 1770, M. Béguillet, savant Bourguignon, qui concourut pour le prix d'œnologie proposé par l'académie de Metz, avança, dans son discours, que la vigne qui se plaît sur les coteaux les plus arides, se nourrit plus du fluide de l'air et de ce qu'elle aspire par les feuilles, que de ce qu'elle reçoit par les racines. Il fait remarquer aussi, à l'égard de la Moselle, que les vignobles où croît le meilleur vin, sont situés sur les collines qui ont la vue sur des plaines arrosées par les rivières. On prétend que le raisin est mieux conditionné, à cause des rosées fréquentes que reçoivent les collines dans cette assiette. Le mémoire de M. Durival, secrétaire de la chancellerie de Lorraine, en 1776, fait ressortir les inconvénients de diverses mutilations faites à la vigne par les vignerons du pays. Par exemple, la rognure des sarments non aoûtés opère une extravasion de séve qui nuit au dévelopqement et à la maturité du raisin. Ce sage avis a été écouté dans le val de la Moselle, et il a été reconnu que plus la vigne était garnie de feuilles, et mieux elle résistait aux fraîcheurs et aux brouillards d'automne, et que, par conséquent, les raisins mûrissaient mieux. A la même époque, M. Maupin fit en grand d'heureux essais de vinification, dans la terre de M. de la Galaisière, au château de Neuviller-sur-Moselle. Cette méthode consistait principalement à provoquer une fermentation violente par l'addition de moût bouillant et à couvrir les cuves. Une partie des raisins devaient être égrappés. Sur un autre point du pays, dans le beau vignoble de Bathelémont-lesBauzemont, M. le comte de Fontenoy, pour obtenir un vin blanc distingué, faisait planter le bon pineau de Montrachet.

Enfin nous arrivons au régime de la liberté des cultures, décrété par le code rural de 1791. La vigue, émancipée, sortit des limites restreintes des anciens vignobles qui avaient de la réputation, et descendit dans les terres à grains, et même dans les prairies et chènevières. Il est rare que d'un excès on ne se jette pas dans celui opposé. C'est plutôt à ce déplacement inconsidéré de la vigne qu'il faut attribuer la diminution de la qualité du vio, qu'à l'invasion des gamays de Bourgogne. Il est à remarquer qu'au commencement du XVIIIe siècle, les gamays et autres grosses races ne murissaient pas bien en Lorraine, et qu'à la fin de ce siècle, la maturité de leurs raisins devenait contemporaine de celle des plants du pays. Le vigneron avait deviné la culture et la taille propres aux gros plants. A cette époque mémorable, tout contribua à révolutionner la culture de la vigne. L'hiver de 1789 venait de détruire encore une partie des vieux cépages; la vente des biens nationaux faisait passer les belles vignes des mains des anciens maîtres et des couvents en celles de vignerons intelligents, qui entendaient avec raison vivre sur leurs produits, et enfin l'inclémence des printemps des premières années du XIXe siècle fit sacrifier la culture des plants fins à celle qui a la propriété de repousser des raisins, lorsque les premiers, bourgeons de la vigne ont été gelés en avril ou mai. La famille des gamays alors envahit toutes les terres substantielles du has des côtes, et il ne resta plus de la nombreuse tribu des pineaux que dans les marnes calcaires et arides qui couvrent les hauteurs des terrains jurassiques de l'arrondissement de Toul. A cette époque de bouleversement et de régénération, on vit beaucoup de citoyens éclairés diriger leurs soins vers le perfectionnement de la culture de la vigne et de l'amélioration des vins.

En 1805, l'excellente statistique de M. Marquis, préfet de la Meurthe, signale déjà des améliorations apportées dans la confection des vins, et la tendance à faire des vins moins durs. Voici la nomenclature des cépages cultivés dans le département, d'après M. le préfet, qui a dû être bien informé le pineau blanc et noir; le morillon noir ordinaire, ou frane noir; le morillon taconné, ou meunier; l'Auvergnat, ou raisin gris; le fromenteau gris-brun; le morillon blanc; la plante verte, ou la rochelle blanche et noire; l'hérissé noir et blanc, apporté de Bourgogne au XVIIIe siècle, et qui paraît être le tresseau; le raisin du Palatinat, dit Saint-Aubin; le facan; le gouais blanc et le gamay noir, ou verdunois. Le gouvernement s'occupa aussi de l'industrie viticole. M. Chaptal, alors qu'il était ministre de l'intérieur, fit planter dans les jardins du Luxembourg, à Paris, une collection de toutes les variétés de vignes de la France, afin d'en étudier et comparer le mérite, et fixer la synonimie des variétés cultivées sous différents noms. La variété du Liverdun, bon vin de la Meurthe, y fut considéré comme voisin du pineau.

En 816, M. l'abbé Thomassin, curé d'Achain, arrondissement de Château-Salins, publia un petit ouvrage sur la culture raisonnée de l'hérissé et du Liverdun, et une nouvelle façon des vins. Cet écrit eut du retentissement dans toute la France viticole, et consacra la réputation de l'hérissé et du Liverdun. En 1820, M. Bosc, de l'Institut, inspecteur général des pépinières du gouvernement, commença la visite de tous les vignobles de France, afin de mettre de la concordance entre les noms et les variétés de raisins existant à la pépinière du Luxembourg. Ce fut en cette année qu'il étudia les vignobles de la Meurthe, aux environs de Toul, Nancy et Pont-à-Mousson. Il dit que des vins fort agréables en rouge et en blanc sortent de ces vignobles, et que ceux de l'arrondissement de Toul sont principalement estimés. Ils sont légers et très-agréables à boire. Il mentionne aussi que M. le curé d'Achain, en substituant le Liverdun au gamay, a doublé le produit de ses vignes, et a prouvé par là combien la variété influe sur la qualité et la quantité. Voici, d'ailleurs, les variétés de raisins que ce savant compétent a pu déterminer dans nos vignes le petit-noir, différant peu de celui de Bourgogne ; le pineau, qui ne paraît pas différer du franc-pineau ; le Liverdun diffère peu du précédent; le verdunois rouge, qui est le gamay de Bourgogne; le verdunois blanc; l'aubin blanc ; le Renard ou Jacquemard; le gôt, ou gouais blanc et noir; le pineau gris, ou Azerailles; la petite blonde, raisin blanc, et le meilleur ; l'hérissé blanc, mauvais plant; le fil d'argent, de Bar-sur-Aube; le facan, autre variété de chasselas. Dans l'OEnologie française de M. Cavoleau, le pineau de Coulange-la-Vineuse, département de l'Yonne, et le Liverdun de la Meurthe, sont cités comme les plants les plus fertiles des vignobles de France, et comme étant ceux qu'il est le plus avantageux de planter dans les vignobles où l'on ne cultive que des variétés de qualité moyenne ou commune. Dans son excellent traité de tous les cépages connus, M. le comte Odart décrit exactement les variétés de raisins des rives de la Moselle et de la Meurthe. Il estime que plusieurs sont propres au pays, et classe le Liverdun dans les bonnes sous-variétés de gamay obtenues par semis adventices. Ce cépage, tiré de Liverdun même, figure dans la belle collection de la Dorée, près de Tours, où il se comporte bien et est recherché par les vignerons du pays. M. le comte Odart estime ce cépage pour sa constante fertilité, et il le classe, pour l'époque de la maturité, avec les pineaux. Effectivement, en 1850, dans la liste des cépages cultivés dans le jardin botanique de la ville de Dijon, dont les raisins avaient acquis une maturité satisfaisante le 14 octobre, le lendemain d'une petite gelée blanche, on remarque, avec les pineaux, le Liverdun, bon vin; le Riesling; et le noir de Lorraine, dit l'enfumé.

Il ne nous reste rien d'important à signaler relativement à l'in

dustrie vignicole, que le procédé d'amélioration des vins de M. Bonnejoy, de Toul; procédé que la Société centrale d'Agriculture du département a patroné. Nous aurons occasion d'en parler dans la seconde partie de notre travail.

Renseignements relatifs à la culture de la vigne.

Le patriarche de l'agriculture française, Olivier de Serres, a dit que l'air, la terre et le comptant sont le fondement du vignoble. Vignerons du département, vous venez de voir que, dans tous les temps, les coteaux de la Moselle, de la Meurthe, de la Seille et même de la Basse-Sarre, ont toujours produit des vins sains, légers et agréables à boire. Ce sont les plus nécessaires à la santé de l'homme, et ceux qui contribuent le plus au développement de la richesse publique. Il est même de nos vins, que les souverains du pays et les classes riches préfèraient à ceux des vignobles de la France plus en réputation. On connaît l'ancienne réputation des vins de Bar, Thiaucourt et Pagny-sur-Moselle. C'est un avantage que l'Alsace et la Lorraine doivent aux abris puissants que présentent les vallées profondes du Rhin et de la Moselle, abris qui prolongent la culture de la vigne jusques au 51e degré de latitude nord, tandis que dans l'ouest de la France, qui s'abaisse sans abris vers l'Océan, cette culture ne dépasse guère le 47° degré. Dans notre département, la configuration du sol a dû inviter les anciens à ce genre de culture. En effet, le système des collines lorraines présente ordinairement un escarpement rapide au midi, au sud-est et sud-ouest. Ces bonnes expositions assurent le succès de la vigne. A ces circonstances il faut ajouter que le pays n'est pas très-élevé la hauteur des eaux de la Meurthe et de la Moselle au-dessus de l'Océan est de 190 mètres, à Frouard, et la hauteur des collines varie de 300 à 350 mètres, également au-dessus de l'Océan. Quelques points seulement sont plus élevés. Les vignobles de la Côte-d'Or sont plus élevés que les nôtres, surtout sur les arrière-côtes.

Les meilleurs vignobles de la Côte-d'Or sont établis sur les marnes calcaires, chaudes, et souvent ferrugineuses des terrains jurassiques. Ceux des côtes de Toul sont plantés sur des terrains qui appartiennent à la même formation géologique ; mais ils sont moins bien tournés au soleil qu'en Bourgogne, et plus ouverts au vent du nord. Dans cet arrondissement, les vignobles du canton de Thiaucourt sont les mieux partagés, tant sous le rapport de la nature du sol que sous celui de l'exposition; aussi produisent-ils les vins distingués du département. Les vignobles de l'arrondissement de Nancy sont principalement plantés dans les marnes bleues du lias, mélangées souvent avec les débris des calcaires oolithiques qui sont descendus du sommet des côtes.

C'est dans cette condition que se trouve le vignoble de Liverdun, qui a donné son nom au plant de vigne le plus fertile du département. De belles expositions et un sol convenable à la vigne se remarquent au-dessous de Nancy et vers Pont-à-Monsson. L'arrondissement de Château-Salins a des vignobles fertiles, tant dans les marnes du lias, que dans les marnes rouges et les grès du keuper. Ils sont situés sur des coteaux bien exposés au soleil, mais peu élevés et par conséquent moins bien abrités que dans l'arrondissement de Nancy. Enfin, l'arrondissement de Lunéville, dans les cantons Lunéville-nord, Gerbéviller et Bayon, possède des vignobles assez étendus et bien exposés, sur les coteaux des marnes rouges et des calcaires coquilliers. Le canton de Bayon a de bons abris et un sol favorable à la culture de la vigne. Dans les quatre arrondissements, le sol du vignoble est coloré de rouge par l'oxide de fer, circonstance favorable tant pour la maturité du raisin que pour la bonne saveur des vins.

Outre l'exposition, la nature du sol contribue efficacement à la qualité du vin. On remarquait, dans le siècle dernier, que le sol plus calcaire qu'argileux du haut des côtes, donnait des vins fermes, bien colorés et se conservant bien; les marnes plus argileuses que calcaires des mi-côtes, des vins plus doux, moins colorés, mûrissant promptement, mais difficiles à clarifier, et de peu de garde; et les terrains d'alluvions du bas des côtes, mélange des débris calcaires, argileux et sableux, des vins durs, souvent acides, d'une couleur lourde, abondant en tartre, et ne s'éclaircissant pas.

Mais la cause principale de la qualité des vins réside dans la bonté des raisins. Il y a longtemps qu'il a été dit que le pineau est le père des bons vins de Bourgogne et des autres vignobles du centre et du nord de la France. La variété des cépages du bassin de la Meurthe et de la Moselle est très-nombreuse, el témoigne des efforts que le vigneron a dû faire pour arriver à celles qui existent aujourd'hui. Quelques-unes sont propres au pays; mais le plus grand nombre se rapproche des variétés estimées de Bourgogne et de la vallée du Rhin. Les soins de la culture, le couchage des sarments et la nature du sol les ont appropriées aux ressources de la climature du pays. M. Bosc a observé que dans tous les pays de vignobles, on disait que plus anciennement la vigne était cultivée dans une contrée, et plus on donnait de soins à sa culture, et plus elle offrait de variétés qui se rattachent bien par des traits de famille à l'auteur primitif, mais qui toujours lui étaient préférables. M. le comte Odart admet aussi que les semis de hasard, ou dûs aux soins intelligents des moines de couvents, de pepins hybridés, ont pu donner naissance à des métis. Par exemple, les bonnes variétés de petits gamays, cultivées aujourd'hui en Bourgogne et sur la côte du Rhône, ne ressemblent plus que par la fertilité au grand

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