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rapprochée du Châtelet, lequel exercera les fonctions de tribunal de district sur tous ceux du département.

Enfin la municipalité, présidée par le maire, et formée pareillement d'un directoire et d'un conseil à la fois municipal pour la ville, et de département pour tous les districts, aurait l'administration générale, partagerait l'impôt entre les districts, recevrait et vérifierait les comptes de leurs directoires et de leurs conseils, leur intimerait les ordres qui lui seraient donnés par l'assemblée nationale et par le roi, dirigerait les établissements publics qui seraient d'une utilité commune à tout le département, surveillerait tous les autres, exercerait la police générale, administrerait la rivière, convoquerait et présiderait les assemblées générales d'électeurs, remplirait toutes les mêmes fonctions que les assemblées de département des provinces.

La grande municipalité de Paris, correspondant directement avec l'assemblée nationale et avec le roi, serait donc parfaitement organisée jusque dans ses moindres ramifications, et comme municipalité, et comme assemblée de département.

Les cantons et les sections de canton de Paris seraient en quelque façon de petites municipalités, dont les officiers seraient revêtus par délégation d'une subdivision du pouvoir administratif.

Les districts, formés de neuf cantons, seraient en tout semblables aux districts des provinces; la ville de Paris garderait sans inconvénient la plus grande dignité dont elle soit susceptible; la constitution de son département serait complètement analogue à celle des autres départements, et aurait atteint le plus haut degré de perfection que l'on puisse donner à un département urbain.

Il me semble que pour peu que l'on ait de connaissance du cœur humain, ainsi que de la grande nécessité d'éviter dans l'administration tous les conflits d'autorité et la complication des ressorts inutiles, on jugera que cette constitution pour la ville de Paris et pour son département, formée d'ellemême et, au-delà de ses murs, d'une simple banlieue, est incomparablement préférable à celle qui ne mettrait la municipalité de Paris qu'au troisième rang dans l'administration, et qui la soumettrait à l'assemblée de son district, qui serait soumise ellemême à une assemblée de département.

J'offre à la fois ces idées à la commune de Paris et à l'Assemblée nationale, et je désire qu'elles y trouvent ce que je crois y voir, le moyen de concilier tous les droits, tous les intérêts, tous les besoins, et, ce qui est bien plus difficile, toutes les prétentions.

L'Assemblée renvoie au comité de constitution le discours de M. Dupont, et adopte en ces termes le réglement proposé par M. l'évêque d'Autun:

L'Assemblée nationale, vu le projet de réglement qui lui a été présenté par les maire, lieutenant de maire, conseillers, assesseurs et administrateurs de la ville de Paris, et les observations faites par le comité de constitution; considérant que la nature des circonstances exige impérieusement que l'action de la police soit rétablie, et qu'il est important de donner dès à présent un moyen provisoire d'activité à cette partie essentielle de l'ordre public, en attendant qu'elle puisse recevoir une organisation régulière, a décrété et décrète ce qui suit:

• Art. Ier. Chaque comité de district remplira provisoirement dans son arrondissement, sous l'autorité du corps municipal, les fonctions de police ciaprès désignées.

II. Les comités des districts veilleront, chacun dans son arrondissement, aux objets de police journalière, conformément aux ordres et instructions qui seront donnés par la municipalité.

• III. Il y aura nuit et jour au comité au moins un des membres, qui sera spécialement chargé d'entendre et d'interroger les gens arrêtés pour faits de police, avec pouvoir de les faire relaxer après une simple réprimande, ou de les faire déposer dans les prisons de l'hôtel de la Force. Le secrétaire-greffier, dont il va être parlé, enverra tous les matins les procèsverbaux qui auront été dressés au maire ou à son lieutenant, ayant le département de la police.

IV. Un secrétaire-greffier assistera le commissaire de service, et il sera par lui tenu un registre de tout ce qui se fera de relatif à l'exercice de la police. Ledit registre sera paraphé par le président du comité du district.

V. Les particuliers arrêtés, prévenus de vols ou d'autres crimes, seront conduits sur-le-champ et directement par les patrouilles devant un commissaire au Châtelet, avec les effets pouvant servir à charge ou à décharge; et, dans le cas où ces particuliers auraient été conduits d'abord aux comités des districts, ils seront renvoyés à l'instant devaut un commissaire au Châtelet, à l'effet de commencer la procédure suivant les formes judiciaires.

VI. Le commissaire au Châtelet qui aura interrogé les prévenus de vols ou autres crimes enverra, dans le jour, une expédition de son procès-verbal au maire ou au lieutenant de maire au département de la police.

VII. Le lieutenant de maire au département de la police, ou l'un de ses conseillers-administrateurs, visitera chaque jour les prisons de l'h`tel de la Force, interrogera les prisonniers arrêtés la veille et envoyés dans cette prison par les comités des districts; seront à cette visite invités deux adjoints notables, pris alternativement dans chaque district.

« VIII. Le lieutenant de maire, ou le conseilleradministrateur qui le remplacera, pourra mettre les prisonniers en liberté, s'il y a lieu, ou, selon la nature des circonstances, les condamner, soit à garder prison pendant trois jours au plus, soit à une amende qui ne pourra excéder la somme de 50 livres; et, dans le cas où ils mériteraient une plus longue détention ou une amende plus forte, il en sera référé au tribunal de police.

L'amende sera payable à l'instant où elle aura été prononcée, entre les mains du greffier des prisons, qui en comptera au trésor de la ville, et le produit de ces amendes sera employé à la propreté et à la salubrité des prisons. A défaut de paiement, le condamné gardera prison, à moins qu'il ne donne bonne et valable caution; le tout sauf l'appel au tribunal.

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IX. Les prisonniers ci-devant arrêtés et actuellement détenus dans les prisons de police seront interrogés et jugés le plus promptement qu'il sera possible, en ayant égard au temps qui se sera écoulé depuis le jour de leur détention.

« X. Il sera établi un tribunal de police, composé de huit notables adjoints, élus dans la forme qui sera indiquée par le bureau de ville. Il sera présidé par le maire ou par son lieutenant au département de la police, et, à leur défaut, par le plus âgé des conseillers administrateurs du département. Les fonctions du ministère public y seront exercées par l'un des adjoints du procureur-syndic de la commune, et les causes jugées sommairement et sans frais.

XI. Le tribunal de police jugera en dernier ressort jusqu'à concurrence de 100 livres d'amende, ou d'un mois de prison.

XII. Le présent décret ne sera exécuté que provisoirement et jusqu'à ce qu'il ait été statué par l'Assemblée nationale sur l'organisation définitive tant des municipalités que de l'ordre judiciaire..

(La suite au numéro prochain.)

N® $5.

GAZETTE NATIONALE

OU

LE MONITEUR UNIVERSEL.

Du 6 NOVEMBRE 1789.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Présidence de M. Camus.

SUITE DE LA SÉANCE DU 5 novembre.

M. LE COMTE DE MIRABEAU : Messieurs, la réclamation que j'ai l'honneur de vous porter au nom de ma province est relative à l'inexécution de vos décrets, etnotamment de celui qui intéresse le plus les hommes sensibles; je veux parler de la loi provisoire sur la procedure criminelle, ce premier bienfait que vous deviez à la classe la plus malheureuse de l'humanité. Depuis trois mois, messieurs, une des plus importantes villes du royaume, Marseille, qui fut le berceau de mes pères, et dont je suis le fils adoptif, Marseille tout entière est sous le joug d'une procédure prévotale, que l'esprit de corps et l'abus du pouvoir ont fait dégénérer en oppression et en tyrannie.

Il était difficile que cette ville ne se ressentît pas de l'agitation du royaume. Plus de sagesse dans son administration municipale aurait prévenu des désordres. C'est pour les punir que la procédure a été prise; mais des mains cauteleuses ont su la diriger vers un autre but. Les vrais coupables ne sont pas jugés, et mille témoins ont été entendus. On a informe, non sur des délits, mais sur des opinions, mais sur des pensées. On a voulu remplacer par cette procédure celle qu'on n'avait pas permis au parlement de commencer, ou qu'on avait arrachée de ses mains; et des haines secrètes, dont le foyer ne nous est pas inconnu, ont rempli les cachots de citoyens.

Ne croyez point en effet que cette procédure soit dirigée contre cette partie du peuple que, par mépris pour le genre humain, les ennemis de la liberté appellent la canaille, et dont il suflirait de dire qu'elle à peut-être plus besoin de caution que ceux qui ont quelque chose à perdre. Non, messieurs, c'est contre les citoyens de Marseille les plus honorés de la confiance publique, que la justice s'est armée; et un seul fait vous prouvera si les hommes qu'on a décrétés sont les ennemis du bien. M. d'André, à qui l'Assemblée accorde son estime et le roi sa confiance, ayant fait assembler les districts de Marseille, pour nommer des députés et former une municipalité provisoire, partout la voix publique s'est manifestée; elle a nommé ces mêmes décrétés; et comme des lois, susceptibles sans doute de quelque réformation, s'opposaient à ce qu'ils fussent admis dans le conseil, ou le suffrage de leurs concitoyens les appelait, on a choisi pour les remplacer, leurs parents, leurs amis, ceux qui partageaient les principes des accusés, ceux qui pouvaient défendre leur innocence.

Le temps viendra bientôt où je dénoncerai les coupables auteurs des maux qui désolent la Provence, et ce parlement qu'un proverbe trivial a rangé parmi les fléaux de ce pays (1), et ces municipalités dévorantes qui, peu jalouses du bonheur du peuple, ne sont occupées depuis des siècles qu'à multiplier ses chaines, ou à dissiper le fruit de ses sueurs. Je dois me borner à vous entretenir aujourd'hui de l'inexécution de votre décret sur la procédure crimiDelle.

Ce décret fut sanctionné le 4.

Le 14, il fut enregistré au parlement de Paris. Le 18, il était connu publiquement à Marseille. Cependant, le 27, des juges arrivés d'Aix le même jour, et réunis à quelques avocats, ont jugé suivant les anciennes formes une récusation proposée par les (1) Parlament, mistraou et Dourence Sount les très fléous de Prouvence.

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accusés. Ce fait est prouvé par plusieurs lettres que je puis mettre sur le bureau.

Par quel étrange événement s'est-il donc fait que le décret de l'Assemblée ne soit parvenu ni au prévôt. ni à la municipalité de Marseille! Les ministres chercheraient-ils encore des détours? Voudraient-ils rendre nuls vos décrets en ne s'occupant qu'avec lenteur de leur exécution? ou bien les corps administratifs, les tribunaux, oseraient-ils mettre des entraves à la publicité de vos lois? Je ne sais que penser de ces coupables délais. Mais ce que personne de relever l'empire écrasé par trois siècles d'abus, si le nous ne peut ignorer, c'est qu'il est impossible de pouvoir exécutif suit une autre ligne que la nôtre, l'auxiliaire; et si des corps auxquels il faudra bien s'il est l'ennemi du corps législatif, au lieu d'en être apprendre qu'ils ne sont rien dans l'Etat, osent encore lutter contre la volonté publique dont nous sommes les organes. Je propose le décret suivant: Qu'il sera demandé à M. le garde-des-sceaux et au secrétaire d'Etat de représenter les certificats, ou accusés de la réception des décrets de l'Assembléc criminelle qu'ils ont dû recevoir des dépositaires du nationale, et notamment de celui de la procédure pouvoir judiciaire, et des commissaires départis, auxquels l'envoi à dû être fait; et qu'il sera sursis provisoirement à l'exécution de tous jugements en dernier ressort, rendus dans la forme ancienne par tous les tribunaux, antérieurement à l'époque où le décret a dû parvenir à chaque tribunal. »

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A peine M. de Mirabeau eut-il fini cette motion, qu'une foule de députés firent, au nom de leurs provinces, des plaintes du même genre.

M. Dubois de Crancé dénonce le prévôt de Champagne. M. Lavie, les juges criminels d'Alsace.

M. LAPOULE: Le défaut de circulation des décrets vient du défaut d'enregistrement des cours. Le parlement de Besançon a refusé d'enregistrer le décret sur la jurisprudence criminelle et ceux qui concernent l'exportation et la circulation des grains, enfin tous les décrets de l'Assemblée nationale.

Je demande que, faute par les cours d'enregistrer les décrets, ils le soient dans les municipalités. Un membre propose d'ajourner la motion.

M. LE COMTE DE MIRABEAU: Si l'on devait vous pendre, monsieur, proposeriez-vous l'ajournement d'un examen qui pourrait vous sauver? Eh bien! 50 citoyens de Marseille peuvent être pendus tous les jours. M. se plaint qu'il n'est parvenu dans le Beaujolais que les décrets utiles, sous quelque rapport, au pouvoir exécutif. La motion de M. le comte de Mirabeau est décrétéc comme ci-dessus.

***

M. Chapelier propose de rendre, relativement à celle de M. Lavie, un décret constitutionnel qui est arrêté et adopté ainsi qu'il suit :

Toutes cours, même en vacations, tribunaux, municipalités et corps administratifs qui n'auront pas inscrit sur leurs registres, dans les trois jours, et publié dans la huitaine après leur réception, les lois faites par les représentants de la nation, sanctionnées où acceptées, et envoyées par le roi, seront poursuivis comme prévaricateurs et coupables de forfaiture.»

M. Alexandre de Lameth demande que six personnes soient chargées de savoir où est l'expédition des différents décrets sanctionnés ou acceptés, qui doivent avoir été envoyés dans les provinces.

L'Assemblée juge qu'il n'y a lieu à délibérer sur cette

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de MM. Lapoule, etc., pour en être demain rendu compte à l'Assemblée.

Celte proposition est agréée et transformée en décret. M. Dubois de Crancé instruit l'Assemblée d'une proclamation relative aux impôts, publiée le 14, et conclut à ce que cet acte soit demandé au ministre, et remis au comité des finances pour l'examiner.

L'Assemblée ne décrète rien sur cet objet.

La séance est levée à quatre heures et demic.

SÉANCE DU VENDREDI 6 NOVEMBRE.

M. le président fait lecture d'une lettre, par laquelle le maltie de la chambre des bâtiments annonce qu'il résulte d'une vis te très scrupuleuse, faite de la salle construite au Manége pour recevoir l'Assemblée, que les députés et le public n'y courront aucuns risques pour leur sûreté et leur santé.

- Une lettre de M. le garde-des-sceaux accompagne l'envoi d'une expédition en parchemin du décret relatif aux parlements, et annonce que la chambre des vacations de celui de Paris a enregistré ce décret.

-M. le duc de Bouillon offre plusieurs sommes à prendre sur divers objets, et qui réunies, forment celle de 332,484 1., excédant de beaucoup le quart de son revenu.

Ce jour est destiné à des discussions sur les finances. M. LE DUC D'AIGUILLON: Le comité des finances n'a pas, dans ce moment, de point de travail arrêté à présenter à l'Assemblée. Les motifs de son silence sont:

Premièrement, la translation et le défaut d'un local convenable qui ont empêché la réunion de tous les membres qui composent ce comité.

Secondement, quelques retards dans l'impression des états de finance concernant les revenus, les dépenses et les pensions.

Troisièmement, la connaissance qu'avait le comité que M. Necker devait incessamment présenter un plan de banque nationale.

Plusieurs membres témoignent des inquiétudes sur les causes qui ont pu faire différer l'impression de l'état des pensions. M. le duc d'Aiguillon calme leurs craintes, en assurant que les épreuves sont déjà entre ses mains.

M. Bouche propose de décréter la suppression de toutes les pensions au-dessus de 300 livres, sous quelque titre que ce soit, sauf aux pensionnaires à les faire rétablir en tout ou en partie, en indiquant l'époque et les motifs des pensions, se réservant l'Assemblée de réduire ou de supprimer toutes celles qu'elle croira susceptibles de suppression ou de réduction.

M. LE COMTE DE MIRADEAU: Le préopinant ne pouse pas à l'effet de sa motion; il ferait manquer de pain quarante mille personnes avant qu'on eût exainé si elles ont le droit de vivre; il oublie, dans son zèle patriotique, que beaucoup de pensions et de graces, très faiblement tarifées sur des blessures ou de longs services, s'élèvent cependant au-dessus de 300 livres. Peut-on, en attendant, laisser mourir des malheureux, parcequ'ils n'ont pas été tués par les coups de fusil qu'ils ont reçus?

La motion de M. Bouche est ajournée.

Elles s'approchent à grands pas, ces calamités. Nous touchions à une crise redoutable; il ne nous reste qu'à nous occuper, sans relâche et sans délai, des moyens de la diriger vers le salut de l'Etat.

Observez, messieurs, que non-seulement le numéraire ne circule plus dans les affaires du commerce, mais encore que chacun est fortement sollicité pour sa propre sûreté à thésauriser, autant que ses facultés le lui permettent.

Observez que les causes qui tendent à faire sortir le numéraire du royaume, loin de s'atténuer, deviennent chaque jour plus actives, et que cependant le service des subsistances ne peut pas se faire, ne peut pas même se concevoir sans espèces.

Observez que toutes les transactions sont maintenant forcées; que dans la capitale, dans les villes de commerce, et dans nos manufactures, on est réduit aux derniers expédients.

Observez qu'on ne fait absolument rien pour combattre la calamité de nos changes avec l'étranger; que les causes naturelles qui les ont si violemment tournés à notre désavantage s'accroissent encore par les spéculations de la cupidité; que c'est maintenant un commerce avantageux que d'envoyer nos louis et nos écus dans les places étrangères; que nous ne devons pas nous flatter d'être assez régénérés ou instruits pour que la cupidité fasse des sacrifices au bien public; qu'il y a trop de gens qui ne veulent jamais perdre, pour que la seule théorie des dédommagements ne soit pas dans ce moment très meurtrière à la chose publique.

Observez que les causes qui pourraient tendre au rétablissement de l'équilibre restent sans effet; que l'état de discrédit où les lettres de change sur Paris sont tombées est tel, que dans aucune place de commerce on ne peut plus les négocier.

Observez qu'elles ne nous arrivent plus par forme de compensation, mais à la charge d'en faire passer la valeur dans le pays d'où elles sont envoyées; en sorte que, depuis le trop fameux système, il ne s'est jamais réuni contre nous un aussi grand nombre de causes, toutes tendant à nous enlever notre numéraire.

Il est sans doute des circonstances que les hommes ne maîtrisent plus lorsque le mouvement est une fois donné. Mais on a méprisé des règles d'autant plus indispensables, que l'administration des finances devenait plus épineuse; on a oublié que le respect pour la foi publique conduit toujours à des remèdes plus sûrs, à des tempéraments plus sages que l'infidélité.

On semble s'être dissimulé qu'au milieu des plus grandes causes de discrédit une religieuse observation des principes offre encore du moins les ressources de la confiance.

Rappelez-vous, messieurs, qu'à l'instant où vous eûtes flétri toute idée de banqueroute, j'ai désiré que la caisse d'escompte devînt l'objet d'un travail assidu. Il était tout au moins d'une sage politique de montrer que nous sentions la nécessité de son retour

M. LE COMTE DE MIRABEAU: Messieurs, si les orages qu'élève l'établissement de notre liberté sont inévitables, s'ils servent peut-être à donner aux lois constitutionnelles dont nous nous occupons un degré de sagesse que le calme et le défaut d'expé-à l'ordre, et cependant je fus éloigné à plusieurs rerience ne nous suggéreraient pas, les désordres qui se multiplient dans nos finances sont loin de nous offrir aucune compensation: il en est même dont l'aggravation peut enfin rendre tous nos travaux inutiles; et, de ce nombre, le désordre le plus fàcheux est, sans contredit, la disparition de notre numéraire.

Une nation habituée à l'usage du numéraire, une nation que de grands malheurs ont rendue défiante sur les moyens de le suppléer, ne peut pas en être privée longtemps sans que le trouble s'introduise dans toutes ses transactions, sans que les efforts des individus pour les soutenir ne deviennent de plus en plus ruineux, et ne préparent de très grandes calamités.

prises de la tribune; on me força, en quelque sorte, à garder au milieu de vous le silence sur des engagements qu'il ne pouvait convenir sous aucun rapport de mépriser.

Qu'en est-il arrivé? L'imprévoyance des arrêts de surséance accordés à la caisse d'escompte, en même temps qu'on lui laissait continuer l'émission de ses billets: cette imprévoyance augmente tous les jours le désordre de nos finances.

La caisse nous inonde d'un papier-monnaie de l'espèce la plus alarmante, puisque la fabrication de ce papier reste dans les mains d'une compagnie nullement comptable envers l'Etat, d'une association

que rien n'empêche de chercher, dans cet incroyable | abandon, les profits si souvent prédits à ses action

naires.

Arrêtons-nous, messieurs, un instant, sur ces funestes arrêts de surséance. On a oublié, en les accordant, que la défiance consulte toujours; que sans cesse elle rapproche les événements pour les comparer; que l'expérience nous montre partout la nécessité du numéraire réel pour soutenir le numéraire fictif; qu'il n'est aucune circonstance où l'on puisse, en les séparant, faire le bien de la chose publique. Dans quelles contrées ces vérités devaient-elles être mieux présentes à l'esprit? qui mieux que les Français a connu les désordres auxquels on s'expose dès que l'on détruit toute proportion entre les deux numéraires?

I ne faut donc pas s'étonner si les étrangers se sont alarmés dès qu'ils ont vu que nous nous exposions de nouveau aux suites de cette imprudence. Ils ne pouvaient pas méconnaître une conformité évidente entre la banque de Law et la caisse d'escompte la première avait lié son sort à celui de la dette publique; la seconde en a fait autant.

Il ne faut pas s'étonner si, dans cet état de choses, M. Necker n'a rassuré les étrangers un instant que pour les effrayer sans mesure. Sa réputation même S'est tournée contre le crédit public en voyant un administrateur aussi célèbre se servir de la ressource des arrêts de surséance, on a craint que toute ressource ne fût perdue.

A la veille de ces arrêts, les créanciers étrangers balançaient du moins l'effet de leurs craintes par l'effet de leurs espérances. Les uns étaient vendeurs, tandis que les autres étaient acheteurs. Depuis ces arrêts, tous sont devenus vendeurs; et comme les billets de la caisse d'escompte sont sans valeur pour les étrangers, il faut bien qu'ils se remboursent avec nos espèces; aussi est-ce par eux que la sortie de notre numéraire a commencé. Dira-t-on que nos agitations politiques eussent produit le même effet? Mais les orages d'une liberté naissante sont-ils donc si extraordinaires, que seuls ils aient dû détruire tout notre crédit? Serait-il possible que quelque confiance fût restée, si l'on ne s'était pas permis des opérations qui, dans la plus profonde paix, seraient également destructives de toute confiance?

Observez, messieurs, que le papier-monnaie ne sert point à la thésaurisation; c'est même un de ses avantages, s'il est possible qu'il en ait quelques-uns. Mais, par cela seul qu'il ne sert point à la thésaurisation, chacun se presse de s'en débarrasser dans les temps de discrédit. Il occasionne alors une plus grande recherche des métaux précieux, comme Funique échange propre à calmer les inquiétudes, et des traites sur l'étranger, comme un moyen ou d'arriver à ces métaux, ou de changer de débiteur.

opération; le plus souvent elle n'aurait pas lieu, sans le fâcheux intermédiaire entre les propriétés qu'on veut vendre et l'argent dans lequel on met sa sûreté. Voilà, messieurs, comment la caisse d'escompte, en ajoutant au discrédit des effets publics celui de ses propres billets, aggrave les causes qui chassent notre numéraire hors du royaume; et c'est dans cet état de choses que nous sommes obligés de convertir en écus la vaisselle, dont l'urgence du moment nous a fait implorer le secours.

Et qu'on ne dise pas que je répands ici de fausses terreurs, que les billets de la caisse d'escompte ne s'avilissent point, qu'ils sont toujours reçus pour la valeur qu'ils représentent.

Il est des pays où le pain se vend sous une certaine forme; le poids de cette forme varie; le prix seul reste toujours le même que diriez-vous de celui qui prétendrait que, sous ce régime, le prix du pain ne varie jamais? Qu'importe que le billet de la caisse soit toujours reçu pour la même somme, si le rapport entre la valeur des choses et celle du billet a changé? Ce rapport n'est plus le même. Dès qu'il s'agit d'un objet un peu considérable, on l'obtient à meilleur marché si, au lieu de payer en billets, on s'acquitte en argent. La différence est surtout sensible hors de la capitale : en province on ne peut négocier qu'avec beaucoup de peines les lettres de change sur Paris: elles perdent considérablement par l'agio; et pourquoi, si ce n'est parcequ'on sait qu'elles seront payées en billets dont la conversion en espèces sera ou impossible ou coûteuse?

J'ignore jusqu'à quel jour les personnes intéressées au crédit des billets de la caisse d'escompte peuvent en maintenir l'usage. Une fois altérés dans leur essence, une fois incapables d'être échangés à l'instant contre l'argent effectif qu'ils représentent, il est impossible que leur discrédit ne s'accroisse sans cesse; et dès-lors, quel avantage nous dédommagerait de ce malheur? qui nous rassurait contre les pertes obscures et journalières qu'un tel accident occasionne?

Dans les places frontières du royaume on donne cent livres sur Paris contre quatre-vingt-quinze en écus. Cette circonstance porte nos espèces sur la frontière, d'où elles ont bientôt franchi la limite qui nous sépare de l'étranger.

La rareté des grains cause une autre extraction d'espèces à laquelle on ne songeait pas. Les colonies, ci-devant approvisionnées par les ports de Bordeaux, du Havre, ne peuvent plus l'être de la même manière. Le cominerce est contraint d'y suppléer par des écus. Quatre expéditions du Havre portent huit cent mille livres pour payer des farines à Philadelphie, destinées pour nos îles; d'autres expéditions semblables se préparent à Marseille, et ne tarderont pas à épuiser le peu d'espèces qui circulent dans cette ville. Les espèces une fois épuisées, le commerce fera prendre des piastres à Cadix.

Cependant, loin que les billets de la caisse d'escompte disparaissent, leur nombre s'accroît chaque jour. Chaque jour il devient plus impossible de les éviter dans toutes les transactions importantes; chaque jour parconséquent un plus grand nombre de citoyens redoute cette fragile propriété. Ainsi, la recherche et la rareté du numéraire augmentent avec les progrès de l'inquiétude inséparable du papier-monnaie. Et jusqu'où ne vont pas les fatalités qui nous poursuivent? Quiconque veut réaliser des effets se voit contraint à recevoir son paiement en billets de caisse. S'il pouvait facilement les convertir en argent, il mettrait cet argent en sûreté sans l'en-plusieurs dérangements (1). voyer hors du royaume. La rareté du numéraire oblige donc le spéculateur à prendre des lettres-dechange sur l'étranger, qu'on solde avec nos espèces, et à laisser le produit de ces lettres dans le lieu où elles sout payées. C'est une suite naturelle de son

Si ces piastres devaient venir en France, elles en seront détournées; si elles n'y doivent pas venir, il faudra que les écus de France sortent par un canal quelconque pour payer ces piastres aux Espagnols.

Marseille, fatiguée depuis longtemps par la rareté du numéraire, compte à peine dix maisons qui ne soient pas dans une très grande pénurie. Déjà plusieurs négociants sont convenus entre eux d'ajouter dix nouveaux jours de grâce à ceux qui sont en usage, et l'on y craint à tout instant de voir éclater

(1) Pour bien comprendre cette partie de l'admirable rapport de Mirabeau, il faut savoir que l'usage des négociants de la ville de Marseille était de ne payer leurs billets on les traites fournies sur eux que dix jours après l'échéance stipu lée. Ainsi, par exemple, on tirait de Livourne sur Marseille,

Bordeaux manque de numéraire au point que les plus riches commerçants craignent de se voir dans I'impossibilité physique de payer leurs engagements, quoique leur fortune les mette infiniment au-dessus de leurs affaires.

A Nantes, les commerçants ont établi des billets de crédit réciproque, et acquittent ainsi leurs engagements. Un tel moyen ne peut pas durer.

Le Havre ne s'est soutenu jusqu'ici que parcequ'il est dans l'usage de faire tous ses paiements à Paris, ce qui épargne à ce port les embarras de la balance.

Les villes intérieures et manufactières offriraient un tableau plus effrayant. Amiens n'est pas en état de remplir ses engagements pour les achats de grains faits par une société patriotique.

Lyon, qui donnait toujours des secours au commerce, a eu besoin d'être aidé par les banquiers de Paris. Genève, partageant le discrédit de nos fonds, ne peut faire ses circulations qu'avec Lyon et la capitale. Cette ville éprouve la même pénurie que nous. Elle s'avance vers la nécessité d'une suspension totale de paiements. Cette suspension une fois déclarée, les suites en sont incalculables.

Des situations aussi critiques pressent les pas d'une grande catastrophe, et l'état de la capitale est loin d'être rassurant.

A l'époque du premier compte-rendu par M. Necker dans l'Assemblée nationale, les 80,000,000 d'assignations suspendues, et 150,000,000 d'autres assignations ou rescriptions à longue échéance circuTaient encore. L'opinion ne les soutient plus, elles sont sans cours. Celles qui avaient été renouvelées pour un an, et celles échues en septembre, ne sont pas toutes acquittées. Le refus du trésor royal de recevoir comme du comptant dans l'emprunt de 80 millions celles qui échoient en octobre et novembre, complété le discrédit de tous ces effets. Ceux qui s'en aidaient, ne le pouvant plus, seront enfin forcés de suspendre leurs paiements.

a

On ne peut pas sortir tout d'un coup 200 millions de la circulation dans des circonstances aussi critiques, sans causer une gêne inexprimable; et s'il doit en résulter des dérangements, ils sont d'autant plus affligeants que les propriétaires de ces effets seront contraints de suspendre leurs paiements au sein d'une richesse qu'il n'est pas même permis de croire dou

teuse.

Ceux-là peuvent seuls échapper à cette douloureuse nécessité, qui auront pu ramasser en espèces une somme égale à leurs engagements.

Paris une fois bouleversé par de nombreuses suspensions, la circulation avec les provinces sera complètement arrêtée. Les suspensions de paiements s'étendront partout le royaume. Chacun ne verra dans les débris qu'il pourra recueillir que les moyens de subsister en attendant un nouvel ordre de choses. Quand et comment se formera-t-il? Les papiers écha faudés sur une base ruinée seront inutilement offerts en échange; ils ne présenteront rien qui puisse tirer de leur inaction les agents de l'industrie productive.

Le numéraire, actuellement caché, et celui qui circule encore, ne seront mis en usage que comme les provisions dans les temps de famine; chacun, sc voyant obligé à la plus sévère parcimonie, craindra de se dessaisir d'une valeur qui, partout et en toute conjoncture, représente du pain, aussi longtemps que tout le pain n'est pas consommé. Et, dans une calamité aussi générale, si le lien social ne se rompt le 1er juin, payable à trois mois de date; l'effet, pour toute autre place, aurait été acquitté le 1er septembre; à Marseille il ne l'était que le 11 du même mois. Cet usage, connu et toléré par toutes les autres places, s'est maintenu jusqu'à la promulgation du Code de commerce qui nous régit depuis l'Empire. L. G.

pas; si, au défaut de la force physique, la force morale le maintient, ne sera-ce pas un miracle auquel personne ne doit oser se fier?

Est-on certain que dès à présent les anxiétés de Paris sur les subsistances ne soient pas autant l'effet de la rareté de l'espèce, et des alarmes qu'elle répand, que de ces complots si ténébreux, si difficiles à comprendre, si impossibles à démontrer, auxquels on s'obstine à les attribuer?

Les grands approvisionnements, à moins qu'ils n'aient été contractés au loin, et sur les ressources du crédit, ne peuvent plus se faire facilement dès que l'espèce est rare. Les fermiers ne sauraient comment employer les billets de la caisse d'escompte. Ces billets ne servent pas à payer des journées de travail; et s'il faut que l'habitant de la campagne accumule pour payer ses baux, accumulera-t-il des billets? Ce n'est que l'argent à la main qu'on peut aller ramasser le blé dans les campagnes, et dès lors les avances deviennent impossibles, si les espèces effectives sont toujours plus difficiles à ramasser.

Il faut près de 150,000 liv. par jour pour l'approvisionnement du pain. Cette somme va parcourir les campagnes; elle ne revient jamais que lentement, et aujourd'hui quelle ne doit pas être cette lenteur tandis que ceux qui cherchent l'argent pour le vendre fouillent partout, et donnent en échange des billets de la caisse d'escompte?

Rapprochons maintenant de la masse de notre numéraire l'effet de toutes ces causes qui le chassent, l'enfouissent ou le dissipent.

Il en faut peu sans doute à chaque individu pour payer ses besoins, lorsqu'il est assuré que la circulation le ramènera dans ses mains toutes les fois que sa provision sera épuisée; mais dès qu'il craint les obstacles, il fait une provision d'espèces aussi considérable que ses facultés le lui permettent.

Or, même en admettant notre numéraire à 2 milliards, si vous le partagez entre les chefs de famille, ou ceux qui ont à pourvoir à d'autres besoins que les leurs, cette masse ne présente que 400 liv. pour chacun d'eux. Sur ces 400 livres, il faut prélever le numéraire qui passe dans l'étranger, celui que la crainte et les spéculations tiennent en réserve. Tenez compte de ces défalcations appauvrissantes, et représentez-vous les espèces qui restent pour les transactions indispensables dès que, la circulation étant suspendue, elles ne peuvent plus se multiplier par la rapidité de leur mouvement.

Vous vous demandez sans doute, messieurs, à quoi ces observations doivent nous conduire ? A nous éloigner plus que jamais de la ressource des palliatifs, à redouter les espérances vagues, à ne nous fier au retour d'un temps plus heureux qu'en multipliant nos efforts et nos mesures pour le faire naître, et non à tenter encore, par des ressources usées, à rejeter nos embarras sur ceux qui viendront après nous. Nos tentatives seraient inutiles; le règne des illusions est passé; l'expérience nous a trop appris la perfidie de tout moyen où l'imagination se charge seule de créer les motifs de la confiance.

Si les revenus s'altèrent, que peut-on attendre d'une contribution sur le revenu? quelle contribution ne devient pas onéreuse pour le grand nombre, lorsqu'il faut, pour la payer, se dessaisir de quelques espèces auxquelles on attache sa sécurité? La rareté de l'argent a-t-elle jamais facilité le paiement des impôts?

La ressource de la vaisselle pouvait aller loin peut-être; mais si le numéraire continue à se cacher où à sortir du royaume, à quoi servira la vaisselle?

Qu'attendre d'une caisse d'escompte qui s'exagère ses forces et son utilité, qui nous in onde de billets qui s'avilissent, qui croit relever l'opinion qu'elle

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