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c'est une occasion précieuse et unique à saisir, disent-ils, d'exprimer leur respect, leur dévouement, leur gratitude à un roi bienfaisant, à une nation généreuse, qui ont donné dans tous les temps à leur république des marques d'intérêt et de bienveillance. Ce n'est donc point ici cette contribution que nous avons décrétée; et rien ne ressemble moins au quart des revenus que ces 900,000 liv. qu'on nous offre, puisque Genève possède en France au moins 12 ou 15 millions de rente.

Qui sont les donateurs? Autre considération qui n'est pas de simple curiosité. Ceux qui ont signé cette lettre sont précisément des aristocrates genevois, c'est-à-dire de ceux-là même qui n'ont cessé de vouloir suspendre sur la tête de leurs concitoyens le glaive des garanties étrangères. Oui, messieurs, tous sont des aristocrates, excepté deux qui appartiennent au parti populaire, et qu'on a pu tromper, comme l'a dit un des préopinants; mais d'ailleurs ils sont tous, sans exception, membres du gouvernement, de ce corps inamovible qui n'est plus élu par le peuple, et qui, en 1782, s'empara de tous les droits de l'assemblée souveraine, comme des enfants dénaturés qui feraient interdire leur père afin d'usurper tous ses biens.

La lettre des donateurs nous apprend que ceux qui l'ont signée sont les membres d'un comité chargé par les souscripteurs de vous faire parvenir ce don.

Je ne saurais voir dans la composition de ce comité l'effet du hasard; mais j'y vois les intentions du gouvernement qui, sans agir par lui-même, veut qu'on le confonde avec ses membres; et je les vois encore mieux dans la solennité de ce don, dans l'intervention de l'agent de la république, et dans celle du ministre des finances.

Et dans quelle circonstance leur don vous est-il offert? I coincide aussi précisément pour le temps avec la garantie qu'ils ont obtenue, que s'il en était le prix et le retour; les soupçons se fortifient quand on voit dans la lettre des donateurs que, loin d'être le superflu de l'abondance, ce don est un sacrifice arraché à la disette et au besoin. Singulière générosité! 'Quoi! les citoyens de Genève voient autour d'eux un peuple qui leur tient par les relations les plus fortes, par les liens du sang, par les affections sociales et celles de la patrie; ils sont témoins de son indigence, ils nous en font eux-mêmes un tableau lugubre; et lorsque leur bienfaisance peut et doit s'exercer sur des frères, ils préfèrent de la répandre au-dehors, de l'envoyer au loin avec les trompettes de la renommée ! ils nous offrent un présent magnifique dans le cadre de la misère; ils ne penseut pas que notre délicatesse nous inviterait plutôt à leur offrir des secours, et qu'au moins nous leur dirions: Excitez les arts languissants, soutenez vos manufactures, appelez dans votre sein l'abondance, avant de nous offrir des présents que l'humanité ne nous permettrait d'accepter que pour les reverser avec usure sur les habitants de votre patrie.

(Ici les applaudissements s'élèvent de tous les côtés de la salle.)

Toutes ces réflexions naissent de la lettre même des donateurs mais quels événements j'aurais à vous décrire, si je voulais approfondir ces bienfaits, ces marques d'intérêt et de bienveillance qui animent la reconnaissance des aristocrates genevois. Il faudrait vous montrer, en 1766, les citoyens de Genève luttant contre l'orgueil et le despotisme de M. de Choiseul, qui pour les réduire et les punir de leur noble amour pour la liberté, sévissait contre eux par les menaces, par l'interdiction du commerce, par un cordon de troupes qui les enfermait dans leurs murs. Il faudrait vous montrer en 1782 Genève assiégée, envahie, les

défenseurs du peuple exilés, le peuple lui-même désarmé, traité comme une conquête, soumis au double joug du despotisme civil et du despotisme militaire, et cinq cents Genevois s'éloignant avec horreur de leur patrie opprimée. C'est ainsi que nous avons servi les aristocrates de Genève; tels sont les bienfaits dont ils nous apportent le prix. Mais le moment n'est pas venu d'agiter cette question des garanties nationales, d'examiner si nous laisserons aux ministres le pouvoir de mêler la France dans les tracasseries intérieures des autres pays, de préparer pour l'avenir des semences de difficultés, de guerres, de dépenses onéreuses pour nous, absurdes en elles-mêmes, et odieuses à nos voisins.

Cette question vous sera portée par les Genevois eux-mêmes, qui, dans le moment où leur gouvernement sollicitait la garantie, ont commencé à se réunir, mais lentement, pour vous demander de les laisser aussi libres chez eux que vous voulez l'être chez vous. Vous verrez alors, messieurs, ce qu'ont été ces garanties, ces prétendus bienfaits, et pour Genève et pour la France.

Pour Genève une source continuelle d'agitations et de troubles depuis 1738.

Pour la France, une série de bévues, de fautes, d'actes qui déshonoreraient la nation, si nous pouvions être comptables de ce que nos ministres ou leurs plats commis faisaient en son nom quand elle n'était rien.

Cet odieux tissu d'intrigues et d'injustices tôt ou tard vous sera soumis, et vous déciderez si de telles garanties sont conformes à la morale et aux droits des nations.

C'est à vous à évaluer maintenant et la grandeur et la nature du don qui vous est offert, et la pureté des vues qui ont déterminé à vous l'offrir.

Je propose l'arrêté suivant :

Qu'il sera répondu par M. le président au premier ministre des finances:

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Que l'Assemblée nationale, vivement touchée de l'état de détresse où se trouvent les arts, le commerce et les manufactures dans la ville de Genève, ainsi que de l'énorme cherté du prix du blé, dont il est fait mention dans la lettre que le ministre lui a communiquée, estime que les 900,000 livres qui lui sont offertes dans cette lettre seront appliquées d'une manière plus convenable, si on les emploie au Soulagement des Genevois eux-mêmes, et qu'en conséquence elle a arrêté de n'en pas accepter la proposition. (De nouveaux applaudissements se font entendre.)

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M. l'abbé Maury dit que les Genevois, comme créanciers de l'Etat, peuvent sous ce rapport être assimilés aux propriétaires français, quoique non résidant en France. Cette comparaison déplacée a excité quelques murmures, et la fin du discours de l'orateur, qui s'est très adroitement retourné, lui a mérité les plus grands applaudissements. Il établit que la France ne devait point accepter une offre qui pouvait humilier sa dignité : dans ses malheurs, dit-il, il est permis de se souvenir de sa gloire. Les malheurs de la France recevront un nouveau lustre par son courage à les supporter et sa constance inépuisable à les réparer.

La question mise aux voix, l'Assemblée décide qu'elle n'acceptera pas l'offre faite par les Genevois, et que M. le président fera part du présent décret au premier ministre des finances.

Le comité des rapports fait le rapport de l'affaire de la ville de Bellême; l'Assemblée ajourne la question, et cependant ordonne que M. le président se pourvoira devers le roi, pour demander l'apport des charges des deux procédures prévôtale et présidiale, et pour le supplier d'accorder une surséance aux suites de la procédure pré

vôtale.

La séance est levée.

GAZETTE NATIONALE OU LE MONITEUR UNIVERSEL.

N° 130.

POLITIQUE.

Mercredi 30 DÉCEMBRE 1789.

ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE.

De Boston, le 16 octobre 1789. Le bruit court que le général Washington, notre président adoré, se propose de visiter cette métropole. Puisse ce bruit ne pas nous tromper Nos vieillards fermeront les yeux en paix lorsqu'ils auront vu l'homme qui a fait luire la liberté sur leurs derniers jours. Ceux de nos concitoyens qui étaient plus jeunes lorsque nous combattimes pour elle, brûlent de témoigner leur reconnaissance et d'offrir au père les hommages que reçut d'eux le fils adoptif (M. le marquis de Lafayette), et nos enfants apprendront à balbutier le nom du héros qui, après le ciel, a brisé les fers qui leur étaient destinés. Pas un être dans ce lieu qui ne mèle sa voix aux chants de gratitude qui l'attendent, et un cri de joie universelle marquera l'instant de son arrivée.

TURQUIE.

La forteresse de Bender, aujourd'hui au pouvoir des Russes, est une place importante dans la Bessarabie; elle avait autrefois le nom de Tigina; elle obéissait aux souverains de la Moldavie. En 1770, lorsqu'elle fut assiégée par les Russes, sous les ordres du comte Panin, le séraskier qui commandait alors dans cette place y fit des prodiges de valeur, et ne se rendit qu'à la dernière extrémité. Les preuves de son courage font frémir la nature, puisque avant le siége de la place il se trouvait à Bender trente mille hommes en état de porter les armes, et qu'à la reddition de la place on ne comptait plus, et dans la ville et dans le château, que onze mille sept cent quarante-neuf âmes, tant habitants que soldats. Peut-être que le souvenir d'une défense si désastreuse aura relâché le courage de la nouvelle génération, exposée à s'immoler encore inutilement à la nouvelle fureur de l'ennemi.

En effet, qu'avaient produit ces fleuves de sang versés en 1770? La paix faite en 1774, et par laquelle Bender dépeuplée a été rendue à son premier maître..... Et les peuples n'ouvriraient jamais les yeux!

SUÈDE.

On écrit de Hambourg, le 6 décembre, que l'on commence à murmurer beaucoup en Suède contre la guerre avec la Russie. Elle n'a jusqu'à présent procuré aucun avantage à ce royaume, mais elle l'a bien ruiné en hommes et en argent; le numéraire y devient d'une rareté extrême, et l'on compte environ cinquante mille hommes qui ont péri par les armes et par les maladies qui ont fait beaucoup de ravages, surtout à Carlscrona.

ALLEMAGNE.

Les députés des princes et Etats du cercle de Souabe, assemblés à Moenbourg, ont arrêté le 24 novembre, à la pluralité des suffrages, que le commerce des grains restera libre, en ajoutant cependant les restrictions suivantes, savoir:

4° Les achats pour la ville de Genève et les cantons de Berne et de Bâle cesseront dès à présent;

2° Les grains achetés pour les susdites destinations et non encore exportés resteront dans la Souabe jusqu'au mois de mars prochain, où l'on verra quelles mesures il sera convenable de prendre à cet égard;

3° Quant aux autres cantons suisses, la république de Saint-Gall, les Grisons, etc., on pourra acheter pour eux des grains aux marchés publics, mais pas au-delà de dix malters par semaine dans chaque marché,

On renouvelle ici depuis quelques jours, écrit-on de Francfort, le 15 décembre, le bruit que l'empereur est en négociation pour des troupes avec le duc de Wurtemberg, et que de pareilles propositions ont été faites à d'autres princes d'Allemagne; peut-être ne tardera-t-on pas à dé

1 Série. - Tome 11.

montrer que cette nouvelle n'est pas un objet de pure curiosité pour les nouveaux Français.

On a signifié aux habitants de Malmedy un arrêt de la chambre impériale de Wetzlar, du 30 novembre, qui leur enjoint de présenter, dans le délai de huit jours, leur mémoire de griefs contre l'administration du prince. Ainsi donc on leur demande leur requête du même ton dont on prononcerait leur arrêt.

PAYS-BAS.

On mande de Mons que quatre cents soldats, dix officiers et un major du régiment de Bender y sont arrivés le 15 décembre, conduits par une forte escorte de patriotes du Hainaut. Cette troupe avait été désarmée par les habitants du Hal, auxquels les villages voisins s'étaient réunis emmenant une pièce de canon saisie à ce régiment.

Le général Arnoldi, arrêté comme prisonnier, accusé d'avoir trahi la cause patriotique dans l'affaire de Dinan, est arrivé le 24 décembre à Bruxelles.

Voici des détails plus amples de l'évacuation de Namur par les troupes impériales extraits d'une lettre de cette ville du 19 décembre.

« La nuit du 12 au 13, M. le comte de Trauttmansdorff est arrivé en cette ville, et successivement divers membres de l'ancien gouvernement, entre autres MM. de Crumpipen, Leclaire et de Vielleuse. Le ministre, après y avoir séjourné le 13, en est parti à quatre heures du matin; les membres du gouvernement l'ont suivi le 16, à la suite d'une bonne partie de notre garnison, qui se retirait vers Luxembourg. Pendant la nuit du 16 au 17, le major Tancrède, du régiment de Wurtemberg, est rentré dans la ville, venant de Temploux, où il était avec une division de son régiment, apportant la nouvelle que les patriotes le serraient de près. Enfin le 17, à quatre heures du matin, toute notre garnison est partie précipitamment, poussée sans doute par la frayeur qui s'était emparée de la troupe. La désertion a été très grande; deux cent cinquante grenadiers s'étaient cachés dans la ville, et ont reparu pour prendre parti avec les patriotes, ainsi que beaucoup de soldats de différents corps. Les militaires royalistes ayant évacué la ville, le peuple est allé piller les magasins de farine, d'armes, d'habillements que les troupes avaient été forcées d'abandonner. Le même jour, à quatre heures après midi, les patriotes ont fait leur entrée, ayant dirigé leur marche sur deux colonnes; la première venant de Louvain, composée de neuf à dix mille hommes, commandée par le général Van-der-Meerss; la seconde venant de Bruxelles, d'environ deux mille hommes, sous les ordres du général Van-der-Berg. Cette armée avait treize canons de différents calibres; toute la troupe a été logée chez les bourgeois. Hier a été une journée de crise; on craignait le pillage, qui s'est néanmoins borné à la maison du vicomte de Sandrouin, de Villers-sur-Lesse, ci-devant intendant de notre province; à celle de M. Huard, substitut du procureurgénéral, qui a été commissaire d'intendance. Ce n'a été que la populace et quelques paysans ameutés qui ont commis ce désordre. Nous espérons qu'il n'ira pas plus loin, car les patriotes surveillent actuellement la personne et les propriétés de tout citoyen sans aucune exception. Le comité a fait dresser une potence sur la place, et a fait annoncer que le premier qui troublerait l'ordre public serait exécuté sur-le-champ. C'est M. de Rosière qui commande dans la ville. Hier une colonne de l'armée patriote s'est mise en marche, et une seconde aujourd'hui, toutes les deux pour aller faire la conquête de Luxembourg. »

De Bruxelles, le 23 décembre. Dans la seconde séance des Etats-Unis des Pays-Bas, on a décerné le titre de premier ministre à M. Van-der-Noot. L'assemblée qu'il a convoquée en cette qualité était composée des doyens des neuf nations. Le premier ministre a parlé avec la vraie dignité qu'il convient d'avoir devant des hommes libres. Il a été simple; mais par la netteté de ses idées, par le rassemblement des époques et des faits, par l'exposé de l'état actuel des choses, enfin par une conception très étendue et

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des moyens et des ressources, le premier ministre s'est montré le premier bomme de l'assemblée. Il a été écouté avec l'attention qu'exigent les circonstances, et que nul soupçon, nulle inquiétude ne pouvaient distraire. Il a fait le rapport des opérations du comité de Breda. Il y a joint ses réflexions, et a fait ensuite lecture de quelques dépêches interceptées de l'empereur, de M. de Trauttmansdorff et du général d'Alton. L'indignation s'est contenue; l'attention n'en a point été troublée. De même, lorsqu'on a lu une lettre de M. Van-der-Merss, dans laquelle ce général annonce qu'il en est venu au point de couper toute communication aux impériaux qui se retiraient vers la forteresse de Luxembourg, et donne l'espérance d'y rejoindre bientôt l'ennemi avec avantage, le silence n'a pas été interrompu; un sentiment universel de satisfaction n'a paru que sur les visages.

De Liége, le 22 décembre. Nous apprenons que le prince-évêque désavoue la lettre qu'il a écrite de Trèves le 23 novembre à son agent M. Zwierlen. Une pareille ressource dans les temps difficiles ne peut être honorable dans aucun temps. Que ce soit un privilége de la souveraineté, on le sait dans toute l'Europe; mais que cette prerogative puisse devenir un droit de la couronne, tous les peuples du inonde, dès qu'ils le pourront, s'y opposeront.

Le régiment de Schepfer est arrivé à Maestricht hier 21; il sera suivi d'une compagnie d'artillerie et de dix-sept pièces de canon, auxquels doit se joindre un régiment suisse..... Un bataillon du régiment de Romberg a été envoyé en protection auprès des habitans de la ville de Huy. Il y a été devancé par des protestations sur la nécessité de garantir le peuple des manœuvres perfides et des piéges tendus à la bonne foi, enfin sur le désir innocent de maintenir la tranquillité publique. — Tant que les peuples ont de la peine à s'éclairer, ils sont faciles à contenir.

On écrit de Maestricht, à la même date, que les ministres des princes directeurs du cercle de Westphalie sont partis le 9 de ce mois pour se rendre à Aix-la-Chapelle.

Les dernières nouvelles de Liége (du 22 décembre) redoublent d'intérêt et augmentent nos inquiétudes. Ce n'est plus contre les seuls palatins que l'habitant se soulève. Il s'est passé dans la ville même un mouvement d'indignation contre les Prussiens. L'affaire s'est engagée; le sang a coulé. Le moment est venu de savoir si le protecteur des Liégeois sera leur assassin. Le machiavélisme des princes est comme tous les crimes; il réussit d'abord, mais il se trahit par ses propres succès; malheureusement, trop souvent il diffère de tout autre crime par l'impunité. Nous ignorons encore quelle a été la cause de la courageuse insurrection des Liégeois en présence des meilleures troupes royales de l'Europe. Nous attendons avec une extrême impatience des détails sur le motif et sur les succès d'une querelle si affligeante.

ITALIE.

De Rome, le 4 décembre. Le gouverneur de Rome et le cardinal de Bernis ont annoncé publiquement à tous les habitants de cette ville qu'ils ne voulaient garantir aucune des dettes des émigrants français réfugiés ici.

Le roi de Naples a pris des précautions moins dignes d'une saine morale, mais plus chères à l'intérêt personnel. Il a fait publier un édit qui défend toutes les associations quelconques, formées sans l'approbation royale, comme nuisibles à la tranquillité de l'Etat. Et quant à celle connue sous le nom de Société des Francs-Maçons, S. M. se réfère à l'édit publié le 10 juillet 1731 et renouvelé le 10 septembre 1775.

Une puérilité qu'il faut ajouter ici, puisqu'elle existe, c'est que dans presque toutes les villes d'Italie le commerce des modes françaises se trouve fort contrarié; tout ce qui porte le nom de national, poufs, chapeaux, rubans même, la proscription est absolue. La visite des douanes est de la plus grande sévérité. Heureusement que les marchands italiens ont l'art de profiter de la prohibition même pour vider leurs magasins de toutes les vieilleries de l'année dernière. Le nom de national dit à l'oreille rajeunit à l'œil le chiffon le plus antique.

De Genève, le 20 décembre. Il est probable qu'on aura fait passer à l'Assemblée nationale de France la nouvelle suivante.

Le chargé d'affaires de France près de la république, le résident du roi de Sardaigne et un envoyé du canton de Berne viennent de sceller dans l'église de Saint-Pierre, en présence des citoyens assemblés, le traité de garantie des trois puissances.

M. de Maligny, chargé d'affaires de la république en l'absence du résident de France, a remplacé M. le baron de Castelnau.

Cette étrange précipitation jette un grand jour sur la belle question de savoir si la France acceptera ou si elle refusera le don genevois..... Ils en avaient donc pressenti les motifs, ceux des représentants de la nation française qui se sont d'abord exprimés à ce sujet avec tant d'éloquence et de dignité.

ANGLETERRE.

De Londres. Nous nous proposons de former une colonie aux iles Pelew; le sort des malheureux qui y seront transportés sera infiniment plus doux que celui des malheureux condamnés à défricher les terres ingrates de Botany-Bay; cela pourra servir à graduer les peines et à les proportionner aux délits.

Le lord Cowper, grand amateur de musique, es tmort dernièrement en Italie, âgé de plus de cinquante ans. Celord résidait depuis vingt-cinq ans à Florence. Le plus grand bonheur était, selon lui, d'avoir une vaste loge à l'Opéra, d'y être voluptueusement assis ou couché sur des sophas á la turque, d'avoir dans les entr'actes un concert en sourdine à côté de sa loge, et de donner à souper à beaucoup de monde dans une arrière-loge où il se faisait servir avec la plus grande magnificence. On a parlé d'Epicure et de Sardanapale; mais il faut avoir vu le lord Cowper et avoir connu ses jouissances, pour avoir une idée des plaisirs sensuels.

FRANCE.

De Paris. L'on m'assure, monsieur, que vous voudrez bien faire insérer dans votre gazette les extraits des lettres que j'ai reçues de Pondichery. Déjà les habitants de cette ville, qui se trouvent ici, ont eu recours à l'Assemblée nationale, et nous ne doutons pas qu'elle ne prenne en considération et l'impolitique démarche des ministres, et les malheurs dont sont menacés des citoyens, des Français, par l'évacuation de cette place, eux qui, dans la dernière guerre, après avoir offert le sacrifice de leurs jours à l'Etat, ont vu leurs maisons, leurs fortunes détruites de fond en comble; eux qui, dans celle-ci, en ont encore été les victimes par les horreurs, les vexations en tout genre, soit quand les Anglais ont été les maîtres de Pondichery, soit quand ils l'ont abandonné.

¡Le baron DE PENMARCH DE MAINVILLE. Extrait d'une lettre de Pondichery, le 15 juin 1789.

La ville est dans l'abattement de l'évacuation prochaine qu'elle doit subir incessamment. M. de Conway, par haine pour elle, l'a sollicitée à la cour, et l'a obtenue. Ce projet est aussi nuisible à la nation qu'à la gloire du roi; il n'est pas concevable qu'on ait vu aussi mal un événement qui va à jamais consolider l'empire anglais en Asie. Ils n'y croient pas à Madras, et s'imaginent que c'est une ruse imaginée pour les persuader que nous avons renoncé à toute alliance avec Tipoo-Sultan; je ne sais si notre général a eu pour but d'en dissuader nos rivaux, car il a reçu les ambassadeurs de ce nabab d'une façon si étrange, si dure et si incompréhensible, que nous en sommes encore autant étonnés que l'ont été trois pauvres musulmans même. Ils ont demandé à attendre ici les ordres de leur maître. M. de Conway les a refusés, et leur a répondu qu'il y commandait, et qu'ils eussent à obéir. Ils sont donc partis le 28 du

mois passé, et on les a fait conduire par un officier jusqu'aux confins des terres de Mamet-Ali-Khan et à l'entrée du Mayssour. On n'a pas eu depuis de leurs nouvelles. Nous ne sommes pas ici sans inquiétudes sur un traitement aussi bizarre envers des ambassadeurs de la seule puissance de l'Inde qui puisse être notre alliée. Tipoo-Sultan est violent, et peut se porter à quelque extrémité pour Mahé.

La cour a absolument renoncé au projet de la Cochinchine, et défendu à M. de Conway de l'entreprendre; cependant jamais les circonstances n'ont été si favorables pour le succès complet du rétablissement du roi détrôné, déjà en possession de cinq provinces méridionales de ses Etats, et nous manquons par cette inconstance de former un établissement solide et précieux dans un royaume qui, avant quatre à cinq ans, offrait à la nation un commerce exclusif de plus de 20 millions, et particulièrement les moyens d'exercer celui de Chine sans aller à Canton y éprouver des avanies. M. l'évêque d'Adran s'est embarqué avec son pupille sur la frégate la Méduse, qui a appareillé ce matin pour aller les déposer à la Cochinchine, dans la partie où le prince est établi. C'est un événement bien fatal, et M. de Conway s'applaudit beaucoup d'avoir réussi à empêcher cette belle besogne, comme aussi de réduire cette ville à n'être plus qu'un comptoir. Ainsi, l'animosité contre l'évêque d'Adran et les concitoyens de cette cité est le motif qui a guidé sa méchanceté dans cette occasion. Il en trouvera tôt ou tard la récompense; mais le mal qui en résultera pour la nation sera irréparable.

Extrait d'une lettre de Pondichery, du 20 juillet 1789.

Je t'assure que M. de Conway n'emporte pas les regrets de cette colonie; il y est détesté; il n'y a pas d'horreur qu'il ne dise de tout le monde.

. On a en vérité honte de porter ici le nom français. Combien de temps notre nation sera-t-elle mal conduite, et quand le ministre finira-t-il d'employer des officiers si peu faits pour commander, et dont les sottises retombent sur les pauvres malheureux habitants de Pondichery! .

De Montpellier. - Nous avons été témoins de l'affliction qu'a causée dans cette ville le décret de l'Assemblée nationale au sujet de la cessation des fonctions des intendants. Tous nos concitoyens ont craint de perdre le fruit de l'adoption que nous avons faite du magistrat qui remplit si dignement ces fonctions, et dont les vertus, l'aménité, les lumières, l'intégrité, et plus que tout, sa vive sollicitude pour les pauvres, lui ont mérité la couronne civique et des lettres de citoyen de Montpellier. Mais dans celte affliction une idée heureuse se présente. Qui mieux que M. de Ballainvilliers pourrait remplir la place de procureur-général-syndic du département? Déjà le vœu de tous les habitants de Montpellier lui destinait, à l'époque du renouvellement de la municipalité, la place de maire. M. de Ballainvilliers devait être lé digne successeur de M. de Massillan; lui seul pouvait faire diversion à la douleur que la retraite de M. de Massillan devait causer; mais une place plus éminente et plus analogue aux fonctions de M. de Ballainvilliers se présente; la renommée de ses verlus n'est point concentrée dans la ville de Montpellier; il n'en est aucune qui ne se félicitat de l'avoir pour chef: il est donc indubitable qu'il réunira l'unité des suffrages; l'intérêt du département, encore plus que la reconnaissance, en fait un devoir précieux aux électeurs.

Extrait d'une lettre d'Alsace, du 23 décembre.

Les princes allemands possessionnés en Alsace, ayant adressé au roi les réclamations qu'ils font en faveur de leurs priviléges, et le roi ayant renvoyé leur mémoire à l'Assemblée nationale, leur rôle, disent-ils, est fini en France. Ils viennent en conséquence de faire circuler leurs mémoires. Le Haut et le Bas-Rhin se sont réunis, et demandent à la diète et à l'empereur l'exécution des traités de Westphalie et de Riswick en ce qui concerne ces princes. Ils se sont aussi adressés à l'archevêque de Mayence, comme chef de la confédération germanique pour la partie catholique de l'Empire; et celui-ci, non-seulement doit les appuyer, mais encore se joindre à eux pour réclamer le secours du roi de Prusse. Vous n'ignorez point qu'il y a douze mille Prussiens à Liége. Le cercle de Souabe est convoqué, et va se réunir aux deux cercles du Haut et du Bas-Rhin.

En attendant, la partie aristocratique de l'Alsace ne s'endort point. Le clergé et la noblesse de Strasbourg ont clandestinement pris des arrêtés, et envoyé des mémoires à la diète de l'Empire. Tout le monde le sait à Strasbourg; l'intendant, le commandant ne peuvent ignorer ce que les nobles et les ecclésiastiques disent assez haut; on m'assure même que le commissaire du roi en a prévenu l'administration, et je ne doute point que M. de La Tour-du-Pin n'ait, comme ministre de la province, rendu compte au roi de cette malveillante démarche (1).

Que veut l'Empire, que veulent les princes allemands et les aristocrates alsaciens? s'agit-il de raisons ou de coups?

S'il s'agit de raisons, dans quel principe du droit naturel ou des gens les traités de Riswick ou de Westphalie puisent-ils la force de s'opposer à la régénération de la commune d'Alsace? Qu'est-ce qu'un contrat où l'on a violé l'intérêt d'un tiers? et peut-il être opposé à ce tiers, lorsqu'il réclame des droits imprescriptibles? Si le roi de France prétend violer les conditions qu'il a stipulées avec l'Empire, si c'est lui qui attente au prétendu droit des nobles et du clergé d'Alsace, que l'Empire se soulève, et demande l'exécution des traités. Mais si la commune appelle de nullité contre des traités où la violation de ses droits a été consacrée sans sa participation, quiconque s'élève en faveur de pareils traités est fauteur d'une violence, et non garant d'un droit.

S'agit-il de coups? Que l'on sache que la liberté ne craint point le choc des esclaves; que l'on sache qu'un pays qu'elle a consacré est l'arche du Seigneur: malheur à qui le touche, s'il n'est consacré lui-même! L'Empire veut-il voir ses légions de barbares se dissoudre, et ses soldats devenir citoyens? veut-il voir ses princes perdre tout-à-coup les cent mille bras dont ils avaient armé le despotisme? veutil voir la liberté, qu'il redoute, parcourir comme l'étincelle électrique ses membres épars?..... qu'il touche à nos frontières.

Certes, quand un Etat comme la France s'avise de la liberté, il ne faut pas croire que ce soit pour le monde un simple spectacle; alors les trônes s'ébranlent, et au milieu de la commotion générale il y a par trop de vanité aux fauteurs du despotisme à vonloir en arrêter les effets par des sophismes qu'éclaire le grand jour des lumières publiques, et par des armes que la liberté fait tomber des mains de leurs soldats.

(1) On a des raisons de croire que le complot du marquis de Favras n'est pas sans liaison avec la marche des princes de l'Empire. Λ. Μ.

ADMINISTRATION.

MUNICIPALITÉ DE PARIS.

COMITÉ DES RECHERCHES.

au dehors, dès le 10 juillet; c'était sous ses ordres qu'on en réglait le logement et le campement. 11 était le généralissime de l'armée lors des assassinats commis par le prince de Lambesc, lors de l'incendie des barrières et des pillages qui les ont accompagnés. Il n'a point fait arrêter le prince de Lambesc, qui est resté à la tête de son régiment. Il n'a pris aucune mesure pour réprimer les brigands. Il n'en a pris aucune pour empêcher le feu de la Bastille, dirigé contre les bourgeois de Paris. Il n'avait rien fait pour rétablir le calme dans la capitale le 14 juillet, lorsque le duc du Châtelet se concertait avec les électeurs pour cet objet; mais il a achevé de la faire investir. Il a dirigé des batteries contre cette ville, à

Champs-Elysées, à la barrière du Trône, à toutes les avenues de la capitale. Il a laissé des régiments autour de l'Assemblée nationale. Il n'était donc armé que contre la patrie.

Suite du rapport fait au comité des recherches des représentants de la commune, par M. Garran de Coulon, sur la conspiration des mois de mai, juin et juillet derniers, imprimé par ordre du comité. M. le comte de Puységur, à la vérité, ne s'est point trouvé dans cette administration coupable, qui a eu lieu dans le court intervalle du renvoi de M. Necker à son rappel. Peut-être, en voyant les derniers attentats qu'ils allaient exécuter, un sentiment de patrio-Saint-Denis, au pont de Sèvres, à Courbevoie, aux tisme a-t-il pénétré dans son cœur. Mais ce retour du ministre a été bien tardif. Il avait déjà donné tous les ordres pour le rassemblement des troupes autour de la capitale; il ne pouvait pas ignorer les projets sinistres dont on voulait les rendre exécutrices, la fanine qu'elles amenaient avec elles, et qui devait être la suite de la terreur et du trouble qu'elles inspiraient, bien plus encore que de leur grande consommation. Il ne pouvait pas ignorer les suites du désespoir de tout un peuple réduit à la dernière extrémité. Il n'a pu ignorer l'atteinte que ces troupes ont portée à la liberté de l'Assemblée nationale, et les préparatifs hostiles du gouverneur de la Bastille contre la ville de Paris. Comme secrétaire-d'Etat au département de la guerre, il est censé les avoir ordonnés, par cela seul qu'il ne les a pas réprimés. Il est donc responsable de tous les maux qui en ont été la suite. C'est avec non moins de regret qu'on se voit forcé de placer ici le nom de M. le maréchal de Broglie, que la patrie avait vu combattre avec tant de gloire contre les ennemis de l'Etat. Pourquoi faut-il que ses lauriers aient été flétris par son admission dans une administration coupable? Il ne nous appartient pas de décider jusqu'à quel point des services passés peuvent compenser les attentats qu'il a depuis commis contre la liberté nationale. Il s'est mis à la tête de l'armée dans le temps où la conspiration contre la patrie s'exécutait, et nous devons le dénoncer parmi les ennemis du bien public.

Une lettre de M. le comte de Puységur à M. l'intendant de Paris, datée du 10 juillet, en annonçant une erreur dans la marche du régiment de Vintimille, ajoute:

. M. le maréchal de Broglie y a envoyé un officier de l'état-major pour y remédier.

M. le maréchal de Broglie devant désormais donner des ordres aux régiments à mesure qu'ils arrivent, il en préviendra M. Berthier pour qu'il puisse faire ses dispositions en conséquence, et pourvoir à leur subsistance. »

Une autre lettre, écrite au même le lendemain, par M. le marquis d'Autichamp, porte:

J'ai rendu compte à M. le maréchal de Broglie de la lettre que M. Berthier m'a fait l'honneur de m'écrire. Il a fort approuvé toutes les précautions qu'il a prises pour que le régiment de Vintimille fût le moins mal possible. M. Berthier a parfaitement rempli les intentions de M. le maréchal de Broglie, en faisant augmenter l'étape du régiment de Vintimille..

Une dernière lettre adressée à l'un des électeurs, par M. le duc du Châtelet, le 14 juillet, annonce qu'il va faire relever le détachement du régiment des gardes, qui avait marché la veille au secours de l'hôtel-de-ville, en attendant les ordres de M. le maréchal de Broglie, chargé spécialement par le roi du commandement des troupes dans Paris.

Ainsi M. le maréchal de Broglie était spécialement chargé du commandement des troupes dans Paris et

Le baron de Besenval a été initié dans les détails de cette horrible conspiration dès le commencement. Depuis le mois de mai jusqu'à la prise de la Bastille, il a donné les ordres à toutes les troupes des environs de Paris. C'est lui qui a commandé vingt-cinq mille balles dès le 6 mai, qui les a fait distribuer aux troupes qui étaient aux environs de la capitale, et qui leur en a fait donner près de deux cent mille dans le mois de juillet. C'est lui qui, lorsque le canon de la Bastille était sur le point d'incendier le quartier de l'Arsenal et de la rue Saint-Antoine, envoyait un ordre au gouverneur de tenir bon jusqu'à la dernière extrémité; c'est aussi lui sans doute qui a envoyé le prince de Lambesc souiller le palais des Tuileries du sang des citoyens; qui l'a de plus envoyé effrayer le peuple du faubourg Saint-Antoine à la barrière du Trône; c'est lui entin qui, à ce qu'on nous assure, interceptait la communication entre Paris et Versailles, et qui, en alléguant le défaut d'ordre du roi, retint à Sèvres des heures entières les députés envoyés à l'Assemblée nationale par les électeurs réunis à la municipalité, comme s'il fallait un ordre du roi pour aller réclamer sa justice et celle des représentants du peuple, en faveur d'un million d'hommes près de périr!

C'est l'intendant Berthier qui a été l'associé du baron de Besenval dans tous les détails du siége de Paris. C'est lui qui a été l'intendant de l'armée, qui a fourni les balles, la poudre et les cartouches dès le commencement de mai, qui a donné l'ordre d'en fournir cent soixante-quinze mille le 2 juillet; c'est lui qui a distribué aux troupes le mauvais blé qui faisait la dernière ressource du peuple.

On peut juger de l'extrême embarras et de l'entier dénûment où l'on était alors par les lettres qu'on a trouvées dans les papiers de l'intendance, et qui constatent tout à la fois l'insuffisance des subsistances et leur très mauvaise qualité.

Le 9 juillet, le bureau intermédiaire de Montereau écrivait à la commission intermédiaire de l'assemblée provinciale de l'Ile de France : « Le marché était absolument dépourvu de grains, les boulangers de ville n'auraient pu cuire, si les officiers de police n'avaient élevé le prix du pain de huit livres à 40 sous (c'est-à-dire à 5 sous la livre), au lieu de 1 livre 9 sous qu'il était. Ils y ont été déterminés par le prix excessif de la farine dont la vente s'est faite, en leur présence, à 120 liv. le sac de trois cent vingtcinq, ne pouvant employer les grains envoyés par M. l'intendant, qui ne consistent qu'en seigle et orge de la plus mauvaise qualité et pourris, étant dans le cas de causer des maladies dangereuses. Cependant la plupart des petits consommateurs sont réduits à la dure nécessité de faire usage de ces grains gâtés..

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