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du théâtre; leur destinée brille et passe comme l'éclair; s'il porte la foudre, elle s'évapore aussi dès qu'elle a frappé.

Quelle gêne peut-il y avoir à parler des défauts et des talents de Mirabeau, des forfaits de Robespierre, des violences de Marat, des projets de la Gironde, des entreprises de la commune de Paris, des menées de Calonne, des intrigues des cabinets diplomatiques, du systême de conduite de Maury, du caractère de la politique de Pitt? Toutes ces choses sont écrites et éparses; en les recueillant dans les feuilles de chaque parti, on a besoin d'attention pour atténuer les traits du pinceau des écrivains de parti contraire. L'histoire sera moins sévère à leur égard qu'ils ne l'ont été l'un pour l'autre.

Il est une époque de révolution plus spécialement convenable pour en écrire utilement l'histoire ; c'est le moment qui précède ou qui suit immédiatement les dernières crises. Toutes les passions qui

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ont servi à faire la révolution sont moins actives, ou par l'équilibre des forces con traires, ou par lassitude, ou faute d'aliment; c'est le moment où les passions sont moins disposées à repousser le langage de la raison et de la vérité : l'expérience leur en a donné le besoin et leur en a appris l'usage; chacun a senti intérieurement, et s'est dit tout bas presque toutes les vérités pénibles qu'il a à entendre; le cœur est fatigué de haïr, l'audace est fatiguée d'entreprendre; les bras sont lassés, et l'esprit est précisément dans cette stagnation de préjugés que les philosophes recommandent pour la recherche de la vérité : chaque parti a si souvent été obligé de renoncer à ses raisonnements de la veille, qu'il s'ensuit nécessairement une disposition à chercher une raison de tous les temps, et qui puisse convenir à tous les jours: sous ce dernier rapport, écrire l'histoire d'une révolution est une entreprise dont les

avantages sont publics, et les inconvénients seulement personnels.

Il n'y a donc

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pas à hésiter.

Cette histoire est le tableau de la révolution de France, en plaçant d'avance le spectateur dans la postérité. Nous sommes déja la postérité pour les premiers événements de la révolution ; et les personnages de 89 et de 93 sont déja historiques pour nous, puisqu'aucun intérêt contemporain ne nous rattache à eux : il en sera de même des événements postérieurs; l'effet des temps révolutionnaires est de hâter la maturité des événements en les cumulant dans un moindre espace.

L'histoire est divisée ici par époques, parce que cette division est celle qui s'opère naturellement dans la mémoire. On dit le 14 juillet, le 6 octobre, le 9 thermidor, etc.; et cette méthode convenue classe les temps et les faits, mieux que toute autre division, par livres ou par chapitres.

le ma

- La partie militaire est d'autant plus intéressante à traiter, qu'elle doit mettre sous les yeux une tactique nouvelle, celle qui, déployant plusieurs armées sur des lignes immenses, les a fait concourir à un but commun par des mouvements combinés entre elles, en réduisant ainsi chaque action d'armée à n'être plus qu'une affaire de poste, par rapport au front général. Ce systême, déja aperçu par de grands généraux, notamment par réchal de Saxe, comme le plus avantageux au génie militaire du Français, a été étendu et perfectionné dans la guerre de la révolution : il a suppléé d'abord au nombre, à la discipline, à l'instruction; et ensuite, lorsqu'il a réuni tous ces moyens, il a assuré ces grands et surprenants succès qui ont étonné l'Europe: la postérité les admirera; et, quels que soient les événements, ils ont conquis à la France une considération militaire qui influera longtemps sur ses destinées. Ce

grand systême de tactique a un avantage exclusif pour la France, parce qu'elle seule peut mettre, à la fois, en action plusieurs grandes armées, et que des ar mées de coalition n'auront jamais l'accord nécessaire pour soutenir longtemps un plan d'opérations combinées et communes; ce systême exige un développement historique et simultané des opérations des différentes armées pour en présenter l'ensemble et en lier les rapports. Un exemple rendra cette vérité sensible.

Dans la quatrième campagne, celle de l'an 5, la ligne d'opération s'étendait depuis Mayence jusqu'à Nice; la droite, commandée par Bonaparte, devait envahir l'Italie; le centre, aux ordres de Moreau, se tenir en mesure en s'avançant en Souabe et en Bavière; et la gauche, commandée par Jourdan, servánt de pivot, devait tenir son extrémité appuyée au Rhin, et se maintenir, par sa droite, à hauteur de la gauche de l'armée

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