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1790.

19 juin.

d'une portion peu nombreuse d'hommes savants III.• Ep: et éclairés, chez qui l'opinion est toujours le résultat de la pensée et de l'expérience; l'autre grande partie de la nation reçoit plus immédiatement ses idées par leurs sens et par leurs organes extérieurs, et c'est pour elle que le législateur doit travailler. La même séance était destinée à de grands événements, et l'émotion des esprits les y avait préparés; Lameth se leva et dit que le jour de la fédération ne devait pas voir des symboles de servitude consacrés par des monuments publics, et proposa d'ôter les figures enchaînées qui représentaient quatre nations vaincues, au pied de la statue de Louis XIV. Alors une voix s'élevant parmi les acclamations, dit qu'il ne suffisait pas d'abattre les monuments en bronze de l'orgueil, qu'il fallait détruire ces monuments vivants et subsistants sous ces titres fastueux de duc, de comte, de marquis. Charles Lameth et Lafayette, se levant ensemble, demandèrent la parole; elle resta au premier qui, donnant un développement à la proposition faite, conclut à la suppression de tous les titres; Lafayette l'appuya, comme une conséquence nécessaire de la constitution déja décrétée; un membre du côté opposé s'écria: «Que mettrez-vous à la place de ce titre, un <<< tel fait noble et comte pour avoir sauvé l'état << un tel jour? On dira simplement, répliqua

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Lafayette, un tel a sauvé l'état un tel jour. Il y avait déja de la grandeur et de l'éloquence lacédémonienne dans cette répartie Maury défendit les titres, et le jeune Mathieu Montmorency réfuta son opinion; enfin le décret comprit la suppression des titres, armoiries, livrées, droits honorifiques; et, comme les décrets de la nuit du 4 août commençaient par ces mots, le régime féodal est aboli, le préambule du décret porta la suppression de la noblesse héréditaire. Ainsi tomba en une nuit et devant une seule séance, cet antique échafaud, derrière lequel s'étaient élevés tant de monuments de grandeur vraie ou fausse, mais que l'opinion des siécles semblait avoir consacrés. Il y eut peu d'opposition, parce qu'il y eut beaucoup d'intérêts flattés ou satisfaits: le clergé vit avec espoir la noblesse associée à ses pertes, la chose publique y gagna, surtout de rattacher à la révolution les dix-neuf vingtièmes de la nation par un lien plus fort que tous ceux de l'intérêt et de la politique. On essaya de conserver aux princes de la famille régnante le titre de seigneurs; mais Lafayette s'y opposa avec le même esprit de vraie liberté qui lui avait dicté sa première opinion. On eut encore à régler avec la formule du serment que devait prononcer le roi, plusieurs détails du cérémonial: il fut décidé que dans toutes les cérémo

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nies publiques, le président siégerait à la droite in.Ep: du roi; que le commandement de la fédération serait déféré au roi, avec invitation de nommer les officiers qui la dirigeraient sous ses ordres. On lui remit aussi le soin de placer convenablement sa famille.

La formule du serment que le roi devait prononcer fut réglée en ces termes :

Moi, citoyen, roi des Français, je jure à « la nation d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'état, « à maintenir la constitution, et à faire exécu<<< ter les lois. »

Les députations de fédérés arrivaient de toutes les parties de la France; ils remplissaient, tous les jours, les tribunes de la salle nationale. On mit, pour eux, à la discussion, les lois militaires et l'organisation constitutionnelle de l'armée. La veille du jour destiné à la fédération, une députation nombreuse des fédérés se rendit chez le roi. Lafayette porta la parole, et cette phrase remarquable termina son discours : « Les gardes nationales jurent à « votre majesté une obéissance qui ne connaî<«tra de bornes que la loi. » La réponse du roi était très-mesurée et affectueuse : « Redites à vos concitoyens que j'aurais voulu leur parler à tous, comme je vous parle ici; redites-leur que leur roi est leur père, leur frère, leur ami.... qu'il

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III. Ep. ne peut être heureux que de leur bonheur, grand, que de leur gloire, riche, que de leur. propriété, souffrant, que de leurs maux. » Il finissait par annoncer son vœu de visiter toutes les parties de la France avec sa famille.

14 juill.

Le lendemain, dès l'aube du jour, le canon, annonça la solennité; pendant la nuit, la garde nationale parisienne avait été prendre ses postes ; et, comme chargée de la police publique, elle formait une haie double dans l'enceinte du Champ-de-Mars. Vers les dix heures, l'assemblée partit du lieu de ses séances, et marcha sur une file double, sur quatre de front, ayant à sa tête, le président et les secrétaires, précédés des huissiers. La municipalité l'attendait au sortir du jardin des Tuileries, et la précéda; les fédérés, réunis chacun sous la bannière de son département, escortèrent l'assemblée. Elle s'avança, dans cet ordre, le long du quai qui borde la Seine. Des salves d'artillerie annoncèrent son entrée au Champ-de-Mars, qui fut nommé depuis le Champ de la Fédération. Les deux files se partagèrent en dépassant l'autel; et, parvenus à la galerie, les membres de l'assemblée montèrent les degrés qui conduisaient aux places qui leur étaient préparées; plus de trois heures furent employées à faire arriver et placer les différents corps formant la fédération de chaque département. Pendant ce temps,

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une pluie orageuse tombait, par intervalles, II. Ep. en grosses averses'; et le caractère national se mêlant à la pompe auguste de la cérémonie a une troupe eut l'idée de poser ces armes, et de danser en rond. Cette saillie fut aussitôt imitée; et vingt mille hommes se formant en cercles, tantôt divisés, tantôt réunis, dansaient les armes à la main, et opposaient la gaieté aux orages; les anciens aruspices en eussent tiré un augure de l'avenir. Lorsque les quatre-vingttrois fédérations furent rangées, chacune en bataillon carré sous sa bannière départementale, vers les trois heures, le roi arriva par l'intérieur de l'Ecole militaire, et prit sa place; elle était préparée au milieu de la galerie, où siégeait l'assemblée : sur une plate forme, au milieu, était placé le fauteuil du trône, couvert de velours violet, semé de fleurs de lis d'or, avec un coussin pareil ; pour le président de l'assemblée nationale, à la même hauteur, sur la même ligne, et à trois pieds de distance, un autre fauteuil couvert de velours bleu azur, semé aussi de fleurs de lis d'or avec un carreau semblable.

A la gauche de sa majesté, à pareille dis- Procèstance, sur la même hauteur et sur la même verbal. ligne, étaient des tabourets qui joignaient les banquettes dressées pour les députés. Ces tabourets furent occupés par les secrétaires et

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