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3o Que pour être reconnu par les neutres le blocus fût, non fictif, mais réel.

Le traité de Versailles, de 1783, qui mit fin à la guerre d'Amérique, ne changea rien au régime des mers. La France resta fidèle à sa politique généreuse; mais l'Angleterre persista dans sa politique égoïste, et elle parvint même à détacher de la ligue la plupart des coalisés.

Les complications graves que la Révolution française produisit sur le continent, la haine qu'elle alluma contre la France. détournèrent les puissances de l'idée de s'unir à elle en faveur de la liberté des mers; on en vit même plusieurs de celles qui s'étaient ralliées naguère à la neutralité armée, sacrifier leurs anciens principes à leurs ressentiments contre la France, et, en haine d'elle, laisser visiter, insulter, confisquer leurs navires par l'Angleterre, qui, pour assurer sa domination sur les mers, exploitait habilement les dissensions continentales.

Quelques-unes, toutefois, la Suède, le Danemark, les États-Unis, continuèrent à proclamer le principe « le pavillon couvre la marchandise. » En cela, elles ne défendaient pas la cause de la France; elles défendaient seulement la dignité et l'indépendance de leur pavillon elles résistaient, pour leur propre compte, aux exigences de l'Angleterre, parce que, chez les peuples comme chez les individus, il existe une disposition naturelle qui porte à se soustraire à l'injustice et à l'oppression.

Sous le gouvernement consulaire, il se fit sur le continent un changement subit d'opinion favorable à la France. Les victoires du premier consul avaient donné à celle-ci un prestige immense, et la paix du continent rétablit entre les cabinets un concert tout à son avantage. Le goût dont l'empereur Paul Ier s'éprit pour la politique et pour la personne du premier consul permit de reprendre l'ancienne politique de la France sur le droit des neutres, et de se promettre quelque succès d'une ligue de confédérés s'étendant de Cronstadt à Cadix. Paul Ier fut l'âme de la nouvelle ligue, et le traité fut signé le 10 décembre 1800. Les forces que la ligue des neutres pouvait opposer à l'Angleterre

étaient considérables : les mers n'avaient jamais vu de prépara tifs aussi formidables. L'Angleterre n'en persista pas moins ave opiniâtreté dans ses prétentions. Il s'ensuivit une guerre g nérale sur toutes les mers. On ne sait quelles destinées étaie réservées à la ligue des neutres, lorsque la fin tragique d Paul Ier vint tout à coup la dissoudre.

L'Angleterre, qui était alors à l'apogée de sa puissance navale la déploya tout entière dans la grande guerre qu'elle soutir contre la France pendant presque toute la durée de l'Empire et jusqu'en 1854 elle persista, avec l'àpre volonté qui la ca ractérise, dans son ancienne politique. Les choses restèrem donc en cet état jusqu'à cette époque de 1854.

Quatrième phase. Seconde moitié du dix-neuvième siècle.

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Au début de la guerre contre la Russie, le gouvernement d l'empereur Napoléon demanda à celui de la reine Victoria, de s départir, au moins temporairement, de ses principes au suj des neutres, et il l'obtint. La déclaration concertée à cet égard en 1854, entre la France et l'Angleterre, consacrait une conces sion importante qui, comme celle relative aux lettres de ma que, attestait un notable progrès dans les idées; il y éta dit: «Sa Majesté, afin de garantir le commerce des neutre de toute entrave inutile, consent pour le présent à renoncer une partie des droits qui lui appartiennent comme puissanc belligérante. En conséquence, elle déclare non-seulement qu ses vaisseaux ne saisiront pas la propriété de l'ennemi chargé à bord d'un bâtiment neutre (à moins que cette propriété n soit contrebande de guerre), mais encore qu'elle ne compt pas revendiquer le droit de confisquer la propriété des neutre trouvée à bord des bâtiments ennemis. »

A l'égard de la renonciation au droit de saisir la propriét neutre à bord des navires ennemis, cette déclaration, com forme aux vieux principes de l'Angleterre, était nouvelle pou la France, qui en prit généreusement l'initiative.

Quant au privilége du pavillon neutre, de couvrir de sa neu tralité la marchandise ennemie, cette déclaration ne faisait qu

se conformer aux doctrines d'État, aux traités anciens et nouveaux de la France. De la part de l'Angleterre, au contraire, c'était le sacrifice de ses prétentions de tous les temps. En y renonçant, cette puissance obéit sagement à la loi du progrès, comme déjà elle l'avait fait en renonçant à la protection industrielle, agricole et maritime, qui cependant lui avait été si profitable dans le passé.

Ainsi, par cette déclaration, la France et l'Angleterre firent, chacune de leur côté, une concession aux idées nouvelles : la France, en se départant du droit de saisir la marchandise neutre à bord des navires ennemis; l'Angleterre, en se départant de celui de saisir la marchandise ennemie à bord des navires -neutres.

On le comprend, la France et l'Angleterre ne pouvaient plus désormais remettre en vigueur un droit suranné, qu'elles venaient elles-mêmes, en le laissant dormir pendant la guerre contre la Russie, de condamner en quelque sorte en face de l'univers.

Aussi, en 1856, lors de la conclusion de la paix, le gouvernement de l'empereur proposa-t-il aux plénipotentiaires réunis au congrès de Paris de consacrer définitivement en faveur du commerce des États neutres, en temps de guerre, des principes qui, grâce à leur libéralité, fussent accueillis comme un bienfait par le monde entier. En conséquence, les plénipotentiaires, pour atteindre ce but, arrêtèrent une déclaration solennelle, où ils ne se bornaient pas à abolir la course (art. 1er), mais où, en outre, ils proclamaient (art. 2) que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre, et (art. 3) que la marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. Je le demande, cette déclaration n'offret-elle pas une preuve éclatante de l'esprit progressif qui préside aujourd'hui aux relations internationales; et n'est-ce pas un fait d'une haute importance, pour le présent et pour l'avenir de l'humanité, que l'acquiescement unanime donné à ces principes par toutes les nations maritimes?

Dans un rapport adressé à l'empereur le 12 juin 1858, le mi

nistre des affaires étrangères a annoncé, en effet, que toutes les puissances européennes et américaines avaient adhéré à la déclaration du 16 avril 1856, sauf trois exceptions: l'Espagne et le Mexique n'ont pas accédé au premier point relatif à l'abolition de la course, mais ils ont adhéré aux trois autres; les États-Unis de l'Amérique du Nord, en approuvant les trois derniers points, ont subordonné leur adhésion au premier à l'addition des mots suivants : « Et la propriété privée des sujets de l'une des puissances maritimes belligérantes ne pourra être saisie par les vaisseaux de l'autre, à moins qu'elle ne consiste en contrebande de guerre. » C'est ainsi que la république des États-Unis s'est mise à la tête des grandes nations civilisées pour demander une réforme à laquelle la diplomatie européenne semble encore résister. Le grand empire de l'Amérique du Sud, le Brésil, tout en adoptant sans restriction la déclaration du 16 avril 1856, a formellement et fortement appuyé l'amendement proposé par les États-Unis. L'Amérique a donc cette fois devancé l'Europe, et inauguré, en quelque sorte, le système définitif auquel il faut arriver.

Effectivement, quelque grand que soit le progrès réalisé par la déclaration de 1856, il reste encore un dernier pas à faire, et ce n'est pas le moins important. L'inviolabilité absolue en temps de guerre de la propriété flottante n'est pas actuellement reconnue; et malgré la déclaration du congrès de Paris, si une guerre venait à éclater, la marine marchande des Etats belligérants, la propriété privée de leurs sujets, en tant qu'elle ne serait pas à bord de bâtiments neutres, demeurerait à la merci des navires de guerre ennemis, et même des corsaires de nations qui n'auraient pas accédé à la déclaration mentionnée ci-dessus.

Mais ce principe de la complète inviolabilité, aussi bien sur mer que sur terre, de la propriété privée, intéresse trop vivement les relations internationales pour n'être pas plus ou moins prochainement adopté : et on doit désirer que ce soit sans retard, car il est urgent de remédier à un état de choses qui expose des millions de propriétés inoffensives à la destruction; qui, dès que la guerre éclate, met des milliers de bras hors d'ac

tivité, et dont l'appréhension seule suffit pour entraver les entreprises et paralyser les opérations commerciales.

Sur ce point, les vrais principes ont été formulés, avec autant d'énergie que d'autorité, dans un document célèbre, dans le préambule du fameux décret de Berlin, du 21 novembre 1806, sur le blocus continental. Ce que Napoléon y reprochait avant tout aux ennemis contre lesquels il entreprenait la lutte gigantesque dont ce décret fut le premier acte, c'était de réputer ennemi tout individu appartenant à l'État ennemi, de poursuivre non-seulement les équipages des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et les négociants qui voyagent pour leurs propres affaires; d'étendre aux bâtiments et aux marchandises de commerce et aux propriétés des particuliers le droit de conquête, qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'État ennemi.

En conséquence, le décret de Berlin déclarait que la France userait de représailles jusqu'à ce que l'ennemi eût reconnu « que le droit de la guerre est le même sur terre que sur mer, et qu'il ne peut s'étendre ni aux propriétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers à la profession des armes. >>

Le triomphe de ce principe éminemment conservateur ne saurait être, ce nous semble, bien éloigné, ou du moins incertain; il paraît d'autant moins douteux que les États-Unis le défendent avec énergie, que la France et la Russie s'y sont, dès 1856, montrées favorables, que la Prusse et l'Autriche n'ont pas de raison de s'y opposer, et que l'Angleterre ne voudra pas se mettre encore une fois en lutte ouverte avec l'opinion du monde civilisé, qui demande hautement cette modification au droit maritime en temps de guerre, afin de le mettre en harmonie avec les exigences de notre époque.

Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des choses, les vaisseaux de guerre et les croiseurs de l'État conservent le droit de s'emparer de la propriété privée des sujets ennemis, lorsqu'elle ne se trouve pas à bord de navires neutres.

Nous ne pouvons donc nous dispenser d'exposer ici les prin

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