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L'Âne vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue:
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
A ces mots, on cria haro sur le Baudet.

Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait; on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

VOLTAIRE

(b. Paris, 1694; d. Paris, 1778)

FRANÇOIS-MARIE AROUET, dit de Voltaire, the chief literary figure and the greatest prose-writer of the French eighteenth century, wrote also in verse, chiefly dramatic and satiric, and generally attained, if not to lyric flights, at least to clear and elegant expression.

EXTRACTS

XLIV. The folly of taking oneself too seriously.
XLV. An example of polished verse.

XLIV

L'Amour-propre

(Satires, 1760)

Qu'as-tu, petit bourgeois d'une petite ville?
Quel accident étrange, en allumant ta bile,
A sur ton large front répandu la rougeur?
D'où vient que tes gros yeux pétillent de fureur?

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Réponds donc. — L'univers doit venger mes injures;
L'univers me contemple, et les races futures
Contre mes ennemis déposeront pour moi.

— L'univers, mon ami, ne pense point à toi,
L'avenir encor moins: conduis bien ton ménage,
Divertis-toi, bois, dors, sois tranquille, sois sage.
De quel nuage épais ton crâne est offusqué!

- Ah! j'ai fait un discours, et l'on s'en est moqué Des plaisans de Paris j'ai senti la malice;

Je vais me plaindre au roi, qui me rendra justice
Sans doute il punira ces ris audacieux.

Va, le roi n'a point lu ton discours ennuyeux;
Il a trop peu de temps, et trop de soins à prendre,
Son peuple à soulager, ses amis à défendre,
La guerre à soutenir; en un mot les bourgeois
Doivent très rarement importuner les rois.
La cour te croira fou: reste chez toi, bonhomme.

Non, je n'y puis tenir: de brocards on m'assomme.
Les quand, les qui, les quoi, pleuvent de tous côtés,
Sifflent à mon oreille, en cent lieux répétés.
L'intérêt du public se joint à ma vengeance:
Je prétends des plaisans réprimer la licence.
Pour trouver bons mes vers, il faut faire une loi;
Et de ce même pas je vais parler au roi.

Ainsi, nouveau venu sur les rives de Seine,
Tout rempli de lui-même, un pauvre énergumène
De son plaisant délire amusait les passans.
Souvent notre amour-propre éteint notre bon sens;
Souvent nous ressemblons aux grenouilles d'Homère,
Implorant à grands cris le fier dieu de la guerre,
Et les dieux des enfers, et Bellone, et Pallas,
Et les foudres des cieux, pour se venger des rats...

XLV

A Madame du Deffant

Eh quoi! vous êtes étonnée

Qu'au bout de quatre-vingts hivers,
Ma Muse faible et surannée

Puisse encor fredonner des vers?

Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs;
Elle console la nature,

Mais elle sèche en peu de temps.

Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours;
Mais sa voix n'a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.

Ainsi je touche encor ma lyre
Qui n'obéit plus à mes doigts;
Ainsi j'essaye encor ma voix
Au moment même qu'elle expire.

PARNY

(b. Ile Bourbon, 1753; d. Paris, 1814)

EVARISTE-Désiré Desforges, vicomte de Parny, a creole who left his native tropics for Paris as a young man, was an officer and man of letters, living a gay life with the wits of the time. His verse, which gained him admission to the Academy and a great reputation in his day, but is now little admired, is chiefly love-poetry, generally Anacreontic, sometimes tender, as in the extract quoted.

XLVI

Sur la Mort d'une jeune Fille

Son âge échappait à l'enfance;
Riante comme l'innocence,

Elle avait les traits de l'Amour.

Quelques mois, quelques jours encore,

Dans ce cœur pur et sans détour
Le sentiment allait éclore.

Mais le ciel avait au trépas
Condamné ses jeunes appas.
Au ciel elle a rendu sa vie,
Et doucement s'est endormie
Sans murmurer contre ses lois.
Ainsi le sourire s'efface,

Ainsi meurt, sans laisser de trace,

Le chant d'un oiseau dans les bois.

ANDRÉ CHÉNIER

(b. Constantinople, 1762; d. Paris, 1794)

THE father of André-Marie de Chénier was the French Consul-General at Constantinople, and his mother was a Greek by birth. André was brought to France while still an infant and he received a sound education in Paris at the Collège de Navarre, supplemented by conversation with the cultured people he met in his mother's salon. After a brief and uncongenial stay in the army as a second lieutenant, he was from 1787 till 1790 attached to the French Legation in London. In sympathy with the ideals of the Revolution, he returned to Paris, but, his views being too moderate for Robespierre, he was in 1794 condemned to death on a trumped-up charge, and after two months in prison he was guillotined, only a few hours before Robespierre fell and the Terror ended. Except a few stray pieces, his poems were not published till 1819.

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Chénier's untimely end makes it difficult to judge his work. His inspiration was almost wholly classical—the result of his education, possibly also of his heredity—and in most of his poems Greek influence is very apparent. Sainte-Beuve described him as notre plus grand classique en vers depuis Racine." But Chénier is sometimes hailed as "le premier des romantiques," because into French poetry which since Ronsard had tended to the artificial and the formal he brought freshness and true poetic

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