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Quand des chants, des sanglots, la confuse harmonie
N'éveille déjà plus notre esprit endormi,
Aux lèvres du mourant collé dans l'agonie,
Comme un dernier ami;

Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Réponds! Que lui dis-tu?

Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines
Du soir jusqu'au matin!

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir:
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir !

Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu!

Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'heritage sacré !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure; consacré d'espérance et d'amour,

Et, gage

De celui qui s'éloigne à celui qui demeure

Passe ainsi tour à tour,

Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dorment à l'ombre
De l'éternelle croix!

LXI

La Grotte des Aigles

(Jocelyn, 1836)

Le sommeil m'a surpris sous le nocturne dôme;
L'alouette a chanté mon réveil; mon royaume
Sous un jour de printemps en fleurs m'est apparu,
Et du matin au soir mes pas l'ont parcouru.
Qu'il est vert! et pour qui, sur ces hauts précipices,
Dieu créa-t-il un jour ce vallon de délices,
Et d'un triple rempart élevé de ses mains
En ferma-t-il l'accès et la vue aux humains?

Là le gouffre tonnant où le glacier se verse,
Et qu'à travers la mort le pont de roc traverse;
Ici les pics glacés, qui ne fondent jamais,
L'entourent à demi de leurs neigeux sommets;
Et plus bas, à l'endroit où son lit qui serpente
Semble au penchant des monts vouloir unir sa pente,
Le rocher tout à coup l'arrête et le retient,
Et d'un escarpement dans les airs le soutient;
Sur ses parois, polis par l'égout des ravines,
Nulle herbe, nulle fleur ne pend par ses racines;
Et la voix des bergers, qu'on voit à peine en bas,
Se perd dans la distance et ne m'y parvient pas.
A l'abri de ces flots, de ces rocs, de ces neiges,
Ne craignant des mortels ni surprise ni pièges,
Je trouve comme l'aigle, en mon aire élevé,
Tout ce que le désir d'un poète eût rêvé:
Arbres fils de leur gland courbés sous les tempêtes,
Mais dont la foudre seule ose ébranler les têtes;
Lianes, de leurs pieds à leur front serpentant,
Qui bercent fleurs et nids sur leur filet flottant;

Rayon doré du jour qui sous leur nuit se joue,
Tremblant sur l'herbe, au gré du vent qui les secoue;
Hauts gazons où sur l'or nagent les papillons,

Où les vents creusent seuls leur trace en verts sillons;
Herbe que chaque brise en molles vagues roule,
Répandant mille odeurs sous mon pied qui les foule;
Eau qui dort dans la feuille où l'ombre la brunit,
Ou remplit jusqu'aux bords ses coupes de granit;
Écume des ruisseaux sur leurs pentes fleuries,
Se perdant comme un lait dans le vert des prairies;
Lac limpide et dormant comme un morceau tombé
De cet azur nocturne à ce ciel dérobé,

Dont le creux transparent jusqu'au fond se dévoile,
Où, quand le jour s'éteint, la sombre nuit s'étoile,
Où l'on ne voit flotter que les fleurs des lotus
Que leur poids de rosée a sur l'onde abattus,
Et le duvet d'argent que le cygne sauvage,
En se baignant dans l'onde, a laissé sur la plage;
Golfes étroits, cachés dans les plis des vallons;
Aspects sans borne ouverts sur les grands horizons;
Abîmes où l'oreille écoute l'avalanche;

Cimes dans l'éther bleu noyant leur flèche blanche;
Grandes ombres des monts qui brunissent leurs flancs;
Rayon répercuté des pics étincelants;

Air élastique et tiède, où le sein qui s'abreuve
Croit boire, en respirant, une âme toujours neuve;
Bruit qu'on entend si loin descendre ou s'élever;
Silence où l'âme dort et s'écoute rêver;

Partout, avec la paix, mouvement qui l'anime:
Des troupeaux de chamois qui volent sur l'abîme,
Chevreuils rongeant l'écorce, écureuils dans les bois,
Chants de milliers d'oiseaux qui confondent leurs voix,
Vols d'insectes dorés et bourdonnements d'ailes,
De leurs prismes flottants semant les étincelles,
Fleurs partout sous mes pas et parfums dans les airs:
Voilà ce que le ciel a fait pour ces déserts.

LXII

Les Laboureurs

(Jocelyn, 1836)

Déjà, tout près de moi, j'entendais par moments
Monter des pas, des voix et des mugissements:
C'était le paysan de la haute chaumine

Qui venait labourer son morceau de colline,
Avec son soc plaintif traîné par ses bœufs blancs,
Et son mulet portant sa femme et ses enfants;
Et je pus, en lisant ma Bible ou la nature,
Voir tout le jour la scène et l'écrire à mesure.
Sous mon crayon distrait le feuillet devint noir.
O nature, on t'adore encor dans ton miroir!

*

Laissant souffler ses bœufs, le jeune homme s'appuie
Debout au tronc d'un chêne, et de sa main essuie
La sueur du sentier sur son front mâle et doux;
La femme et les enfants tout petits, à genoux
Devant les bœufs privés baissant leur corne à terre,
Leur cassent des rejets de frêne et de fougère,
Et jettent devant eux en verdoyants monceaux
Les feuilles que leurs mains émondent des rameaux.
Ils ruminent en paix, pendant que l'ombre obscure
Sous le soleil montant se replie à mesure,
Et, laissant de la glèbe attiédir la froideur,
Vient mourir, et border les pieds du laboureur.
Il rattache le joug, sous la forte courroie,
Aux cornes qu'en pesant sa main robuste ploie.
Les enfants vont cueillir des rameaux découpés,
Des gouttes de rosée encore tout trempés,

Au joug avec la feuille en verts festons les nouent,
Que sur leurs fronts voilés les fiers taureaux secouent,
Pour que leur flanc qui bat et leur poitrail poudreux
Portent sous le soleil un peu d'ombre avec eux.

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