[IVE SIÈCLE. CHAPITRE I. - PERSÉCUTION DE DIOCLETIEN. même que la cupidité ne fait paraitre aujour- église, et qu'il conserva les chrétiens exempts d'au- ARTICLE PREMIER. DES MARTYRS DE LA PALESTINE. dans ce Recueil que les actes des martyrs de saint Romain 10, martyrisé à Antioche, parce dissent quelque honneur. que, dit-il, il était de la Palestine, et diacre 6. Les provinces d'Occident, comine l'Ita- de Césarée. Il y inséra aussi ceux de saint Proindre det lie, la Sicile, les Gaules, l'Espagne, la Mauri- Ulpien et de saint Édèse", l'un martyrisé à tanie et l'Afrique, ne ressentirent le feu de la Tyr, l'autre à Alexandrie; et il en donne pour Martyre de Les Actes des martyrs de la Palestine recueil. lis par Euse. be de Césa. rée. 9 Elle fut de Occi 6 Autres martyrs de Palesiine, 4 à faire profession de la religion chrétienne, maitres, qu'il n'y a qu'un seigneur et un roi. fut, comme nous avons dit, publié à Nico- Flavien, prenant cette réponse pour une inmédie le 24 février de l'an 303 ; mais il ne le jure faite aux empereurs, lui fit aussitôt tranfut que vers Pâques ?, à la fin de mars et cher la tête. C'était le septième de juillet ?. au commencement d'avril dans la Palestine. 3. Après lui R, dans la même ville de CésaFlavien était alors gouverneur de cette pro- rée, plusieurs évêques du pays souffrirent avec eu 803. vince. On y publia bientôt après d'autres édits joie de cruels supplices. Quelques-uns, néanqui portaient que les évêques seraient mis moins, cédèrent à la première attaque. Ceux en prison et contraints par toutes sortes de qui demeurèrent fermes furent tourmentés moyens de sacrifier aux dieux. Le premier en différentes manières. On fustigea cruellemartyr de la Palestine, dans cette persécution, ment les uns; on déchira les autres avec des fut Procope. Il était de Jérusalem”, mais de- ongles de fer. Les autres furent accablés de meurait à Scythople, sur le Jourdain , où il chaînes avec une telle violence, qu'ils en euservait l'Église en qualité de lecteur et d'in- rent les mains démises; mais ils endurèrent terprète en langue syriaque. Les lectures pu- tous ces tourments avec une patience invinbliques de l'Écriture se faisaient en grec, cible. A l'un on tenait les mains, en l'approet il l'expliquait au peuple en syriaque, qui chant de l'autel des idoles, et on lui jetait était la langue vulgaire. Il y faisait aussi les dans la main droite quelque chose du sacrifonctions d'exorciste, en imposant les mains fice profane, afin qu'il parût y participer ; et , sur ceux qui étaient possédés du démon. Dès on le laissait aller en liberté, comme s'il eût sa jeunesse il avait eu un grand soin de con- sacrifié. Un autre traîné au pied de l'autel, server la chasteté et de pratiquer les autres n'ayant pas touché à l'encens, se retirait sans vertus. Sa nourriture n'était que de pain et rien dire, tandis que les païens assuraient d'eau, qu'il ne prenait que de deux ou trois qu'il avait sacrifié. Un autre emporté demijours l'un, et quelquefois au bout de sept mort, était jeté comme s'il eût déjà rendu jours; en sorte que son corps, abattu par l'âme: on le relâchait ensuite, et on le compl'austérité, semblait être mort et ne se soute- tait entre ceux qui avaient sacrifié. Un autre nir que par la vigueur de son esprit, à qui la criait et protestait qu'il n'obéirait pas; mais parole divine donnait une force merveilleuse. on le frappait au visage, plusieurs mains lui Il la méditait jour et nuit, ne s'appliquant fermaient la bouche, et on le repoussait avec guère aux lettres humaines, dont il était force, quoiqu'il n'eût pas sacrifié. Les païens peu instruit. Envoyé 5 de Scythople à Césarée, comptaient pour beaucoup de paraître réussir avec quelques autres, il fut arrêté à la porte dans leur dessein. de la ville et mené aussitôt au gouverneur, 4. Il y en eut deux seulement, entre tous Mariyo: de nommé Flavien, qui, sans l'avoir fait mettre ceux-là o, qui reçurent la couronne du mar- dos Zachée: en prison, lui commanda de sacrifier aux tyre, Alphée et Zachée. Celui-ci était diacre dieux. Procope répondit qu'il n'en connaissait de l'Église de Gaddi ou Gadare, au-delà du qu'un, créateur de l'univers, à qui il faut sa- Jourdain. Après avoir enduré les chaînes les crifier en la manière qu'il le désire. Flavien, plus dures, les fouets, les ongles de fer, ils n'ayant rien à répliquer sur cela, lui ordonna furent tenus pendant vingt-quatre heures de sacrifier aux quatre princes qui régnaient dans les entraves, écartés jusqu'au quatrième alors, savoir Dioclétien, Maximien, Constance trou. Enfin, comme ils confessèrent qu'il n'y et Galère. Le Saint, pour se moquer de cette avait qu'un seul Dieu", et que Jésus-Christ est demande, lui répondit par un vers d'Homère, l'unique roi, ils eurent la tête tranchée le dixqui porte qu'il n'est pas bon d'avoir tant de septième du mois de novembre. S. Alphée et · Euseb., in Prilogo de Martyr. Palæstine. * La même ville que Bethsan, aujourd'hui Bisan, ville de Palestine, en Samarie. (L'éditeur.) 3 Acta sincera Martyr., pag. 353. Valesius, in Notis in lib. VIII Euseb., pag. 172 ; Fleury, lib. VIII, p. 423, num. 31. Assémani ne doute pas que Eusébe lui-même n'ait Ces Actes sont plus complets que ceux qui étaient 8 Act, sincera Martyr., pag. 353. 6 Homerus, Iliad. II. 7 Les Actes publiés par Assémani contiennent, en langue syriaque, le martyre des saints Alphée, Zachée et Romaiu, de saint Timothée et de saint Procope. 8 Euseb., lib. de Martyr, Palæst., cap. 1. 10 Unum Deum, unumque regem ac Dominum Jesum Christum confess. Ibid. Martyre de S Romaid et , 5. Le même jour', saint Romain souffrit le coulait de tous côtés. Ce spectacle tira les de s. Baru- martyre à Antioche. Il était de Palestine, larmes de tous les assistants, même des bour diacre et exorciste de l'Église de Césarée; car, reaux. La mère, en qui l'amour de Jésusdans les premiers siècles de l'Église, comme Christ étouffait tous les sentiments d'une piles clercs étaient en petit nombre, ils exer- tié trop molle, voyait seule son enfant avec un çaient souvent deux et quelquefois trois fonc- visage serein, et l'encourageait. Elle le reprit tions différentes. Il se trouva à Antioche dans même, comme d'une faiblesse, de ce que, le temps qu'en vertu de l'édit on détruisait les brûlé d'une soif ardente que lui causait la églises, et voyant plusieurs personnes, hom- rigueur des tourments, il demandait à boire, mes, femmes et enfants, courir en foule an et lui dit qu'il ne devait plus souhaiter que temple des idoles pour y sacrifier, son zèle l'eau vivante de la vie éternelle. On détacha pour le culte du vrai Dieu lui rendit ce spec- l'enfant, et on le conduisit en prison. Le juge tacle insupportable. Il s'avança et leur fit des fit appliquer de nouveau saint Romain à la reproches à baute voix. ll attaqua même le question; et, après l'avoir renfermé en prison, juge, qui triomphait de tant de personnes qu'il il le condamna à être brûlé vif, et l'enfant à avait vaincues. Cette hardiesse fut cause qu'on avoir la tête tranchée. La mère porta son ense saisit aussitôt de lui, et le juge, nommé As- fant entre ses bras jusque sur l'échafaud, et clépiade, s'imaginant qu'il l'abattrait avec le donna au bourreau sans répandre de laraussi peu de résistance que tant d'autres, lo fit mes. Seulement elle le baisa pour la dernière amener devant lui et lui reprocha de détour- fois, et se recommanda à ses prières. Le bourner les chrétiens d'obéir à l'empereur : Romain reau prit d'une main cette tête innocente, et ne le désavoua pas. Le juge le fit tourmenter la coupa d'un seul coup. La mère étendit son en toutes les manières que sa rage put inven- manteau pour recevoir le sang et la tête, ter. Le Saint ne laissait pas, au milieu des tour- qu'elle emporta dans son sein. On amena ments, de confesser que Jésus-Christ est le vrai saint Romain au même lieu, où l'on avait roi. Comme on continuait à le tourmenter et préparé un grand bûcher : il portait ® sur ses qu'on le menaçait de le faire brûler vif, au lieu épaules et sur son front le signe royal de la de s'en épouvanter, 11 proposa à Asclepiade croix. On l'attacha à un poteau, les mains d'interroger un enfant innocent, pour voir ce liées derrière le dos, et on l'entoura de bois. qu'il dirait de Jésus-Christ. Le juge accepta le Plusieurs Juifs qui étaient accourus à ce specparti, et on prit un enfant d'environ sept ans, tacle, disaient: «Où est donc le Dieu des chrénommé Barulas:. Romain lui demanda lequel tiens ? Chez nous, les trois enfants furent sauil valait mieux, d'adorer Jésus-Christ, et par vés de la fournaise ; mais ceux-ci brûlent. » lui le Père, ou la multitude des dieux. L'en- Aussitôt le ciel se couvrit, et une pluie mêlée fant répondit sans hésiter : «Ce que les hom- de grêle tomba avec tant de force et d'abonmes appellent Dieu, quel qu'il soit, doit être dance, qu'on ne put pas même allumer le feu. . un. Ce Dieu a un Fils unique avec qui il n'est Cela causa un grand bruit parmi le peuple ; qu'un, et c'est Jésus-Christ. Mais qu'il y ait et comme l'empereur Maximien Galère était qu’un plusieurs dieux, les enfants mêmes n'en croient alors à Antioche, on lui rapporta ce qui venait rien.» Le juge, étonné d'une réponse si précise, d'arriver. Pendant qu'on attendait sa réponse, demanda à l'enfant qui lui avait appris ce qu'il le martyr s'écria : «Où est donc ce feu? » L'emvenait de dire. Il répondit : « C'est ma mère 5. pereur fit délivrer le confesseur; mais le juge En suçant le lait de ses mamelles, j'ai sucé la obtint de l'empereur que le Saint serait conconnaissance de Jésus-Christ et j'ai appris à damné à avoir la langue coupée. Un médecroire en lui.» Le juge fit approcher la mère, cin nommé Ariston, qui, par faiblesse plutôt et ensuite fit mettre l'enfant sur un chevalet, que de propos délibéré, avait renié la foi, où on le fouetta si cruellement, que le sang se trouva présent, avec les instruments néces 6 2 1 Euseb., cap. 2.- ? Euseb., lib. de Resurrectione , et sit, Christus est verus Deus. Genera Deorum multa Prudentius, Hymno 10; Act. Martyr., pag. 358 et 360. nec pueri putant. Prudent., Hymno 10 de Coronis; Act. 3 Baillet nie le martyre de cet enfant, parce qu'Eu- Martyr., pag. 361. sébe de Césarée n'en parle pas, comme si cet écrivain 5 Mater et Matri Deus. Ma ex parente spiritu docta avait entrepris de tout dire (voyez Honoré de Sainte- imbibit, quo me inter ipsa pasceret cunabula. Ego ut Marie, Réflexions sur l'usuge ei l'abus de la critique, gemellis uberum de fontibus lac parvus hausi, Christom. I, p. 259.) (L'éditeur.) tum et hausi credere. Ibid. • Est quidquid illud quod ferunt homines Deum, unum 6 Portans et in humeris crucem et in fronte signum esse oportet, et quod uni est unicum. Cum Christus hoc regale. Euseb., lib. de Resurrectione, p. 358. 1 saires pour cette opération ; car les méde- qui signalèrent en cette rencontre leur foi et , à eux, un nommé Denys, qui leur fournissait décesseurs, comme s'il eùt affecté de signaler Martyre de 6. L'année suivante, la persécution s'étant son impiété et sa haine contre Dieu. L'alarme SS Timothée échauffée ?, Urbain, gouverneur de la Pales- et le trouble se mirent parmi les fidèles, et ils cheered, buit tine, reçut les lettres de l'empereur, par les- fuyaient de tous côtés pour se mettre à l'abri quelles il était ordonné à tous les sujets de de cet orage. Il y en eut néanmoins quelques- Martyre dc S. Apphien, en 305. autres, en 304. aucun effet. Apphien fut de ce nombre, et Eu- vérité avec une plus grande liberté qu'aupasebe n’a point trouvé de paroles assez éner vant, et d'exhorter les persécuteurs à renoncer giques pour exprimer l'ardeur de la charité et à l'erreur et aux superstitions. » Aussitôt ceux la confiance avec laquelle ce généreux martyr qui étaient autour du gouverneur se saisirent confessa le nom de Jésus-Christ, quoiqu'il d'Apphien, lui donnèrent mille coups par tout n'eût pas encore atteint l'âge de vingt ans. Il le corps, puis le jetèrent dans une prison, où il était né à Pagas ', ville de Lycie, d'une famille demeura un jour et une nuit, les pieds étendus considérable et fort riche, et avait étudié les dans les ceps. Le lendemain on l'amena delettres humaines à Béryte, où était alors une vant le juge, qui, le voulant contraindre à école célèbre de droit civil. Pendant le long sacrifier, lui fit souffrir les plus grands tourséjour qu'il fit en cette ville , il s'y préserva ments. On lui déchira les côtés, non-seulement des tentations de son âge et des mauvaises une et deux fois, mais plusieurs, en sorte que compagnies, vivant avec la gravité, la mo- l'on y voyait les os et les entrailles. On le battit destie et la piété que demandait le christia- sur le visage et sur le cou avec tant de cruauté, nisme, dont il faisait profession. Quand il fut qu'il devint méconnaissable, même à ses amis, de retour de Béryte à Pagas, où son père te- tant la tête lui était enflée. Sa fermeté ne panait le premier rang, il ne put demeurer avec raissant point ébranlée par ce supplice, le juge ses parents, parce qu'il n'y possédait pas la lui fit envelopper les pieds avec des linges liberté de vivre suivant la religion chrétienne, trempés dans de l'huile, auxquels on mit le et il s'enfuit secrètement de la maison pater- feu. La flamme, ayant consumé ses chairs, nelle, sans se mettre en peine d'emporter de pénétra ses os, fit fondre comme de la cire quoi subsister, tant il avait de confiance en toutes les graisses et toutes les autres humila Providence, qui le conduisit à Césarée, en dités de son corps; et on les voyait tomber par Palestine, où il vécut avec Eusébe l'historien. gouttes. Mais il ne fut point abattu par ce 1 s'y appliqua à l'étude des divines Écritures, tourment, et on le remit en prison. Le troiautant que le peu de temps qu'il demeura dans sième jour on le présenta encore au juge. Il cette maison le lui put permettre, et s'y pré- témoigna la même constance dans sa foi, et, para au martyre par divers exercices de pé- quoiqu'à demi-mort, il fut jeté dans la mer. nitence et de piété. Lors donc que le césar Dans le moment même il s'éleva une si grande Maximien, qui gouvernait sous Galère la pro- tempête, non-seulement sur la mer, mais dans vince d'Orient, eut publié contre les chrétiens l'air, que la terre et toute la ville en furent de nouveaux ordres, avec commandement aux ébranlées : la mer rejeta le corps du saint gouverneurs de faire sacrifier tout le monde, martyr sur le rivage, devant les portes de et que le cri du héraut par toute la ville de Césarée, comme n'étant pas digne de le garCésarée appelait tout le monde au temple des der. Tous ceux qui étaient alors dans la ville idoles, Apphien, sans communiquer son dos- furent témoins de cette merveille, entre autres sein à personne, non pas même à Eusébe ni Eusébe, de qui nous l'apprenons 3. Saint aux autres avec qui il demeurait, se glissa au Apphien consomma son martyre le 2 d'avril de milieu des gardes jusqu'auprès d'Urbain, alors l'an 305, un jour de vendredi “. gouverneur de la Palestine, et qui allait sacri- 8. Presque dans le même temps, un autre fier. Le voyant prêt à faire les libations devant jeune homme nommés Ulpien, après avoir été 305. les idoles , il le prit hardiment par le bras, fouetté cruellement et avoir souffert d'autres l'empêcha de sacrifier, et, d'un ton grave, il tourments horribles, fut enfermé dans un sac lui dit qu'il n'était pas raisonnable de quitter de cuir avec un chien et un aspic, et jeté dans le seul vrai Dieu pour sacrifier à des idoles et la mer; ce qui était l'ancien supplice des parà des démons. « Dieu le poussa sans doute, dit ricides; car alors on ne s'en servait plus, comme Eusébe ', à une action si extraordinaire, pour trop cruel, même pour ceux qui étaient cou. faire connaître, par cet exemple, que les véri- pables des plus grands crimes. tables chrétiens, bien loin d'être détournés de 9. Peu de temps après, Edèse 6, né du s. Edese en la piété par les menaces et par les supplices, même père qu'Apphien, et autant son frère 305. en tirent une nouvelle confiance de publier la selon l'esprit que selon la chair, le suivit dans Marlyre de S Ulpien, en Martyre . 9 · Euseb., lib. de Martyr. Palæst., cap: 4. Euseb., lib. de Martyr. Palæst., cap. 4. 3 Voilà bien des iniracles, et pourtant c'est une histoire authentique. (L'éditeur.) Voyez aussi Assémani, Actes des Martyrs de Palestine. (L'éditeur.) $ Euseb., lib. de Martyr. Palæstine, cap. 5. 6. Ibid. |