AUTEURS SACRÉS
ET ECCLÉSIASTIQUES.
CHAPITRE PREMIER.
Des Actes des Martyrs dans la persécution de Dioclétien (303 à 312).
Origine de 1. Dioclétien était en Orient vers l'an 302. la persécu- tion de Dio- Comme sa timidité naturelle 1 lui donnait de la elétien, en 202. curiosité pour les choses futures, il immolait à cet effet quantité de victimes, et cherchait dans leurs entrailles la connaissance de ce qui devait arriver. Dans le temps qu'il s'occupait à ces sortes de sacrifices, il advint qu'il y avait auprès de lui quelques officiers chrétiens; car il leur était permis, selon la remarque de Tertullien, d'assister aux cérémonies pro- fanes, lorsqu'il ne s'agissait que d'y accompa- gner leurs maîtres. Ces chrétiens marquèrent leur front du signe immortel de la croix; ce qui mit en fuite les démons et troubla la cé- rémonie. Les sacrificateurs, n'ayant point trouvé dans les entrailles des victimes les si- gnes qu'ils y cherchaient, en immolèrent de nouvelles, croyant qu'il y avait eu quelques défauts dans les premiers sacrifices; mais les dieux ne se rendirent pas propices à leurs of- frandes. Tagis, un des augures, soit qu'il eût vu quelqu'un des assistants faire le signe de la croix, soit qu'il s'en doutât, s'écria que le ciel était sourd à leurs prières, parce que la pré- sence de quelques profanes souillait la pureté des sacrifices. Dioclétien, que cet événement aurait dû convaincre de la faiblesse de ses dieux, entra en fureur; il ordonna non-seule- ment que tous les assistants, mais encore que
1 Lactant., de Mort. Persecutor., num. 10 et seq.
tous ceux qui se trouveraient dans son palais, sacrifieraient, et il condamna au fouet tous ceux qui refuseraient de le faire. Il écrivit même aux généraux de ses armées d'obliger les soldats à se souiller par ces abominations, avec ordre de casser ceux qui en feraient re- fus. Sa colère n'alla pas plus loin alors : il ré- sista même longtemps aux sollicitations du césar Galère, qui se rendit cette année auprès de lui pour allumer le courroux de ce vieillard contre les chrétiens. On dit que cette haine violente que Galère leur portait lui avait été inspirée par sa mère, qui, irritée contre ceux de ses domestiques qui étaient chrétiens, de ce qu'ils ne voulaient pas manger à sa table, en faisait des plaintes continuelles à son fils et l'animait à les perdre. Dioclétien ne voulait pas écouter Galère, qui le pressait de faire des édits généraux contre les chrétiens, disant qu'il suffisait que les officiers de sa maison et les soldats conservassent l'ancienne religion. Mais ses raisons ne faisant rien sur cet esprit furieux, il consentit à remettre la chose au conseil; car il avait coutume de faire le bien seul pour s'en attirer le mérite, et le mal avec conseil, afin de se décharger de la haine. On appela à cette délibération quelques officiers de robe ou d'épée, qui, soit par leur propre inclination, soit par complaisance, appuyèrent
2 Tertull., lib. de Idolol., cap. 16 el 7.
le sentiment de Galère et furent d'avis qu'il
fallait exterminer les chrétiens. Dioclétien re-
fusa encore de se rendre, et voulut que l'on
consultât les dieux. Il envoya donc un arus-
pice à Milet demander le sentiment d'Apollon,
qui avait là un oracle célèbre parmi les païens,
en un lieu appelé Branquides. L'oracle répon-
dit en ennemi du culte du vrai Dieu. Ainsi Dio-
clétien, ne pouvant résister à ses amis, à Cé-
sar et à Apollon, consentit à une persécution
générale, à condition toutefois qu'elle se ferait
sans effusion de sang: Galère, au contraire,
voulait que l'on brûlât tout vifs ceux qui refu-
seraient de sacrifier aux idoles,
2. Le jour que l'on choisit pour ouvrir la
les chrétiens persécution fut la fête des Terminales ', le
dernier jour de l'année romaine, qui était le
23 de février, comme si ce jour eût dû être le
terme et la fin de la religion chrétienne. C'é-
tait l'an 303 de Jésus-Christ, le vingtième du
règne de Dioclétien, son huitième consulat,
et le septième de Maximien Hercule. Ce jour
étant venu, dès le grand matin, un préfet,
avec des officiers de guerre et du fisc, suivis
de soldats des gardes, vint à l'église de Nico-
médie, qui était placée sur une éminence,
d'où on la voyait du palais de l'empereur. On
enfonça les portes, et on y chercha l'idole du
dieu; car les païens croyaient que les chré-
tiens avaient aussi des idoles dans leurs tem-
ples. Les Écritures que l'on y trouva furent
brûlées, et le reste fut abandonné au pillage.
Dioclétien et Galère considéraient ce désordre
de leurs fenêtres, et disputaient entre eux s'ils
feraient mettre le feu à cet édifice. Dioclétien
fut d'avis qu'on se contenterait de l'abattre,
de
peur que l'embrasement ne se communi-
quât à plusieurs grandes maisons qui étaient voisines de cette église, et son avis fut suivi. Le lendemain, 24 février, on afficha un édit par lequel il était ordonné que toutes les églises seraient rasées et les Écritures brûlées; que tous les chrétiens seraient privés de tout hon- neur et de toute dignité; qu'aucun rang ne pourrait les exempter de la torture; que tou- tes sortes de personnes auraient action contre eux, et qu'ils n'en auraient contre qui que ce fùt; qu'ils ne seraient reçus à demander jus- tice ni pour vol, ni pour violence, ni pour adul- tère; que les affranchis perdraient leur li- berté. Tel fut le premier édit de Dioclétien,
qui, quoique très-rigoureux, ne contenta pas
néanmoins Galère, qui voulait la perte en-
tière des chrétiens. Pour y faire résoudre
Dioclétien, il fit lui-même mettre le feu au pa-
lais par ses gens, et en accusa les chrétiens,
comme des ennemis publics. On prétendait
qu'ils avaient fait complot avec les eunuques,
qui étaient aussi chrétiens, de faire périr dans
cet embrasement les deux empereurs. Il sem-
ble qu'on les rendit encore coupables de quel-
ques révoltes qui s'émurent dans la Mélitène,
en la petite Arménie, peu de temps après ce
premier édit.
3. Quoi qu'il en soit, il en vint un second *
la même année 303, portant que tous ceux édits contre
qui gouvernaient les Églises, seraient mis aux
fers et contraints par toutes sortes de moyens
à sacrifier aux dieux. Ainsi les prisons se trou-
vèrent remplies d'évêques, de prêtres, de dia-
cres, de lecteurs et d'exorcistes. On en pu-
blia aussitôt un troisième, qui ordonnait que
les prisonniers qui sacrifieraient, seraient
mis en liberté, et que ceux qui refuseraient
de le faire, seraient tourmentés par tous les
supplices imaginables, jusqu'à ce qu'ils con-
sentissent à obéir.
4. Vers la fin de la même année 303, la persécution fut plus violente; car les édits les chrétiens précédents ordonnaient la peine de mort. 4 seulement contre les ecclésiastiques, et celui que Dioclétien donna en dernier lieu, por- tait ordre généralement à tout le monde de sacrifier aux idoles sous peine de mort. C'est à cet édit qu'il faut rapporter ce que dit Cons- tantin, « que Dioclétien tira contre l'inno- cence le glaive qui ne doit être employé que contre le crime, et qu'il écrivit avec la pointe de ce glaive, s'il est permis de parler ainsi, des édits sanglants, et commanda aux juges d'employer toute la force et la subtilité de leur esprit à trouver de nouveaux supplices. >>
5. Toutes les provinces de l'empire romain, depuis l'orient jusqu'à l'occident', se trouvè- rent donc alors exposées à la fureur de Dio- clétien et des deux Maximiens, qui, comme trois bêtes cruelles, les déchiraient de toutes parts, et par eux-mêmes et par leurs officiers. Presque tout l'univers fut teint du sang sacré des martyrs, parce qu'on courait en foule à ces glorieux combats, et qu'on recherchait une mort si précieuse avec plus d'avidité
Mabillon, tom. Analector., pag. 136. Euseb., lib. II de Vit. Constantini, cap. 51.
7 Lact., lib. de Mort. Persecutor., num. 16. 8 Sulpitius-Severus, lib. II, cap. 46.
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