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en les invitant à écarter les obstacles qui s'opposaient à ce que le bien du peuple pût s'opérer; on a senti, dis-je, que malgré tout cela, les motifs de rapporter le décret étant les mêmes que ceux qui auraient dû déterminer à ne pas le rendre, il était inutile de s'arrêter à des pointilleries qui pouvaient amener de longs débats, sans arriver à un autre résultat.

Qu'on ne s'occupe donc plus de cette proposition. Je la condamne moi-même, quoiqu'à mon avis il n'y ait point eu de décret, et je me réduis à demander la priorité pour la demande en rapport.

Jean Bon Saint-André. Pour quiconque ne connaîtrait pas le cœur humain, il pourrait paraître étonnant que l'on méconnaisse avec tant d'audace dans un temps des principes avancés dans un autre. Mais les intérêts ne sont plus les mêmes; mais ceux qui se disaient les plus ardens amis de la liberté, en sont devenus les plus cruels ennemis. (Les tribunes applaudissent.) Dans l'assemblée législative, à l'époque à jamais mémorable qui a rendu à la France la liberté, qui a fait de ce vaste empire une République, laquelle écrasera sans doute tous les aristocrates conjurées contre elle; dans l'assemblée législative, quand il fut question de prononcer la suspension du tyran, Ramond et ses semblables avancèrent contre cette suspension les mêmes raisons qui viennent d'être présentées à cette tribune. (Mêmes applaudissemens.) Alors ils disaient qu'ils n'avaient pas été libres de se rendre à l'assemblée; ils disaient qu'ils n'avaient pu voter pour cette grande mesure, et ils voulaient infirmer les décrets de l'assemblée, parce qu'ils n'y avaient pas pris part. (Quelques voix : Cela n'est pas vrai. — Lacroix. Il n'y avait pas un membre du côté droit, le 10 août, quand le décret fut rendu.) On a avancé que le ministre de l'intérieur avait dit qu'il n'avait pu pénétrer dans l'assemblée. Le ministre n'a point articulé ce fait. Mais le ministre de l'intérieur et le maire de Paris ont couvert d'opprobre cette commission des Douze. (Plusieurs membres : Ils ont menti.) Ils ont dit de grandes vérités; et comme ces vérités ont été connues de l'assemblée, la presque universalité a rendu le décret. (On murmure.

Quel est donc cette étrange manière de raisonner, que de prétendre que les décrets de la majorité peuvent être infirmés, parce que quelques membres n'auront pas voté! On a cité des hommes; est-ce que c'est là une autorité pour la Convention? Et ceux du même côté qui étaient présens, ont donné pendant deux heures, par leurs trépignemens indécens et des pieds et des mains, le scandaleux exemple de troubler la délibération de l'assemblée, et de l'empêcher de prononcer le décret. On ne peut donc arguer de l'absence des membres. Nous sommes tous à notre poste, et ceux qui ne s'y trouvent pas, c'est à leur conscience à les juger.

Je prétends que la commission des Douze est une autorité monstrueuse, contraire à tous les principes. La Convention nationale se doit à elle-même de maintenir le décret qu'elle a rendu hier, en conformité de ces mêmes principes, car le premier des principes est la sûreté individuelle des citoyens, et il ne doit pas être permis d'y porter atteinte, parce qu'il plaît à quelques membres de se forger des fantômes; la Convention ne doit pas méconnaître la loyauté du peuple qu'elle a l'honneur de représenter. Si dans un moment d'erreur, on a pu créer la commission, le moment où on la renverse, est un triomphe de la liberté sur des maximes opposées. (On applaudit dans la partie gauche et dans les tribunes.) La liberté publique repose sur la confiance; ce n'est que par des injustices multipliées, ce n'est qu'en voulant dominer, s'arroger une autorité qui ne nous appartient pas, qu'on détruit cette confiance, la première base du pacte social dans un état libre. (J. Boileau. La Commission a été créée sur un rapport fait par Barrère, au nom du comité du salut public.) Ceux qui vous ont envoyés ici pour faire des lois, veulent tous l'affermissement de la liberté et de l'égalité. Est-ce à vous à leur souffler le poison de la guerre civile, quand la France entière émue, agitée, cherche le repos; est-ce à vous, législateurs, à augmenter cet état de trouble, au lieu de réunir tous les citoyens vers un centre commun?

Tous les motifs qui ont déterminé le décret d'hier, existent

encore dans toute leur force. Les objections qu'on a faites ne tendent qu'à prouver que la minorité absente ne peut infirmer les décrets de la majorité. Avec de pareils principes, jamais vous n'auriez rien de fixe, rien d'arrêté; jamais vous ne pourriez donner des lois au peuple français. Je conclus donc à ce que la rédaction soit mise aux voix; car le décret a été rendu à la majorité, et après une longue délibération.

La Convention ferme la discussion.

On demande à procéder par appel nominal sur la question de savoir si le décret, qui casse la commission, sera rapporté.

L'appel nominal est décrété à l'unanimité.

Sur la proposition de Lanjuinais, la Convention décrète que cet appel nominal sera imprimé et envoyé aux départemens. On procède à l'appel nominal.

L'appel nominal est terminé

Le président. J'annonce à la Convention que le résultat du scrutin pour la Commission près l'armée du Nord donne pour commissaires les citoyens Lego, Bernard Saint-Afrique, Varlet et Duchâtel.

Il s'élève dans la partie gauche de violens murmures, mêlés de quelques applaudissemens.

Collot-d'Herbois. Je demande que l'on fasse imprimer le procès-verbal de la séance où Duchâtel est venu en bonnet de nuit pour sauver Capet. C'est un scélérat.

Charlier. Il faut dire de bonne foi qu'on veut la contre-révoJution.

Danton. Je demande la parole.

Il monte à la tribune. Duchâtel y monte avec lui.

Dewars. Les commissaires doivent avoir la confiance pour opérer le bien. Je demande qu'il soit fait une nouvelle nomination. (On applaudit.)

Danton. Les dangers de la chose publique sont à leur comble. Gossuin. Toutes les voix se réunissent pour que le Comité de salut public nomme lui-même quatre personnes.

Danton quitte la tribune.

Barbaroux. Il ne faut pas substituer la volonté du comité de salut public à la volonté nationale. Il y a assez long-temps que l'on a dit que ce comité perdrait la République. Il faut que le blâme retombe sur ceux qui sont coupables, et non pas sur nous. Dès que les commissaires, prétendus hommes d'État, sont arrivés à la Vendée, nos armées ont été victorieuses.

Duchâtel. Je déclare qu'ayant prononcé mon opinion contre la mort de Louis Capet, et l'ayant envoyée au président qui ne put la lire, je me rendis, quoique malade, à l'assemblée pour voter. Au surplus, puisque je n'ai pas la confiance de ces messieurs, je n'accepte point la commission.

Collot-d'Herbois. Nous ne sommes pas des messieurs, nous sommes des gens qui voulons le bien.

Robespierre. Je réclame votre attention et votre indulgence, parce que je suis dans l'impossibilité physique de dire tout ce que m'inspire ma sensibilité pour les dangers de la patrie indignement trahie. Pour sonder toute la profondeur de l'abîme, il suffit de parcourir cette enceinte, de se rappeler ce qui s'est fait hier, alors on concevra qu'il est à craindre que le triomphe de la vertu ne soit passager, et le triomphe du vice éternel. J'ai promis de ne dire que deux mots. Voici mon opinion. Vous êtes menacés d'une conspiration que des hommes stupides ont pu seuls ne pas apercevoir. Vous avez vu depuis quelques jours une ligue forcenée s'armer contre le patriotisme. Se présentait-on à l'assemblée avec les livrées de l'aristocratie, on était accueilli, embrassé. Les malheureux patriotes paraissaient-ils à leur tour, on les écrasait. On ne respectait pas même les bienséances dont les tyrans s'environnaient. On n'a pas rougi de nommer une commission inquisitoriale; on l'a composée des hommes évidemment connus pour les ennemis des patriotes. La conspiration a été déjouée hier; mais la perfidie a renoué ses trames cette nuit.

Voulez-vous en saisir les fils? rapprochez la conjuration de Dumourier; rappelez-vous qu'il mettait pour première base de ses propositions la perte des vrais républicains, la perte des patriotes, la perte de Paris. Eh bien! tout ce que vous avez vu de

puis quelques jours, n'est que la suite de cet infernal système. Puisqu'il ne m'est pas possible de m'étendre davantage, permettez-moi de vous montrer la véritable cause de nos dangers. Tout ce qui se passe n'a d'autre objet que de rétablir le despotisme. (Il lit.) « On nous parle d'une troisième faction, d'une faction de régicides, qui veut créer un dictateur et établir une république. Si ce parti du régicide existe, s'il existe des hommes qui tendent à établir actuellement la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les partisans des deux chambres et sur les rebelles de Coblentz. > (Plusieurs voix : La date.) Ne m'interrompez pas.

Biroteau. Tu défendais la Constitution.

Robespierre. Voulez-vous comprendre le véritable sens de cette doctrine? Il suffit de rapprocher l'époque où le discours dont je viens de lire un passage a été tenu. C'était le 25 juillet, à la tribune de l'assemblée législative, à l'époque où les fédérés étaient rassemblés à Paris pour punir un tyran parjure et conspirateur, et demandaient à grands cris la République.

Barbaroux. A cette époque, ne faisais-tu pas le défenseur de la Constitution. (Les tribunes murmurent.)

Robespierre. Vous voyez qu'on profite de la faiblesse de mon organe pour m'empêcher de faire entendre des vérités. (On murmure.) Vous voyez par ce passage d'un ouvrage d'un homme dont ceux qui veulent nous subjuguer proclament l'ardent civisme, le républicanisme imperturbable, et qui cependant disait à la tribune que ceux qui pouvaient attaquer le roi étaient des ennemis de la patrie; vous voyez qu'on cherchait à déshonorer la sainte entreprise des fédérés en les accusant de vouloir faire un dictateur. Vous voyez que l'orateur disait que ceux qui concevaient ces idées républicaines devaient être frappés du glaive de la loi, comme les contre-révolutionnaires de Coblentz et les partisans des deux chambres. D'après cette doctrine, ouvertement professée par Brissot, à cette époque critique de notre révolution, ne vous étonnez pas que depuis on ait poursuivi les républicains. Ne vous étonnez pas si, dans le moment où je vous parle,

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