Page images
PDF
EPUB

question de vie et de mort pour une nation brave et forte: il s'agissait d'une guerre d'extermination entre le principe de la civilisation moderne représenté par la France, et celui de la civilisation antérieure représenté par les pouvoirs absolus du continent européen. Le monde de la chute, de la fatalité originelle, de l'aristocratie et de l'esclavage, enlaçait de ses mille bras le monde de la rédemption, de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. La conscience profonde qu'ils se dévouaient pour le triomphe de la morale universelle et pour la sainte cause de l'humanité, rendit nos pères capables de cette volonté de fer par laquelle tous les obstacles furent courbés ou broyés.

Obligés de suivre la révolution partout où elle était en question, nous avons dû, pendant le procès de Louis XVI, et pendant la lutte définitive des Jacobins contre les Girondins, nous enfermer dans les assemblées délibérantes et en composer le journal. A cette heure la question est entre le pouvoir conventionnel et la coalition étrangère; la révolution, avons-nous dit, est directement en présence de la contre-révolution, et tout ce qui n'est pas pour la première est nécessairement contre elle. Il n'y a plus, en effet, que deux partis en Europe : l'un ayant le comité de salut public pour général et la France pour armée; l'autre ayant pour chefs les monarques confédérés, et pour armée l'alliance de tous les contre-révolutionnaires.

De là les dénominations éminemment séparatrices de parti de la France et de parti de l'étranger, dénominations nées de la force des choses, principes absolus de la logique populaire d'alors, et dont la plupart des historiens ont fait la base de leurs explications, tout en les interprétant de la manière la plus bizarre et la plus fausse. Pour les écrivains qui appartiennent à la Gironde, le parti de l'étranger ce sont les Jacobins.

Or il n'y a ni passion, ni sophisme en état d'obscurcir la position nette et évidente qui détermina le discernement national à l'heure même des événemens. Depuis et y compris ceux qui ne furent pas les amis et les soutiens du pouvoir, jusqu'à ceux qui lui firent de l'opposition, ou lui déclarèrent ouvertement la

guerre, tous furent jugés ennemis de la France. Cela fut prouvé par des inductions incontestables à l'égard des indifférens, des modérés, des suspects, des immoraux, auxiliaires naturels d'une coalition armée pour la doctrine du droit et de l'égoïsme contre celle du devoir et du dévouement, pour le mal contre le bien. Cela fut prouvé par des faits à l'égard des fédéralistes girondins; car à l'instant et dans tous les lieux où ces hommes eurent recours à la force pour détruire les jacobins, ils cherchèrent à lier leurs opérations militaires avec celles de l'étranger, et s'appuyè rent sur lui.

Immédiatement après le 31 mai, trois élémens tendirent à se constituer dans la sphère d'activité de la révolution : deux attaquèrent le pouvoir en sens contraire, un troisième s'en fit le soutien. Des deux premiers, l'un, composé des restes du côté droit et de ceux que la peur et le doute unissaient au-dedans et audehors de la Convention, voulait entraver de ses pusillanimités l'action gouvernementale; l'autre était cette classe d'anarchistes impitoyables, d'hommes pour lesquels la violence était un calcul où se fondait leur sécurité personnelle, et toute la certitude de leurs sentimens égoïstes; ils poussaient indéfiniment à l'exagération: c'étaient les Cordeliers. Le troisième parti résista aux modérés et aux anarchistes, maintint le pouvoir, lui prêta sa force, lui montra et lui prépara la voie : ce furent les jacobins dirigés par Robespierre.

Les élémens qui sont entraînés avec plus ou moins de vitesse dans la sphère de la contre-révolution ont cela de commun que la ligue monarchique est le centre absolu de leur activité. Les factions armées, quels que soient d'ailleurs leur nom politique et leur bannière, prennent appui sur la coalition étrangère, et travaillent à la même conclusion, la ruine du gouvernement français existant.

La guerre est donc le fait général qui doit à présent nous servir à coordonner toutes les parties de notre histoire. Placés entre deux armées et nous transportant d'un champ de bataille à l'autre, passant de la guerre civile à la guerre étrangère selon que

la gravité des résultats nous conduira, nous nous tiendrons ainsi sur le premier plan du tableau, et nous en dominerons constamment l'ensemble. D'un côté nous aurons la ligne républicaine soutenue à l'intérieur par le tribunal révolutionnaire, par les débats des clubs, par les arrêtés de la commune de Paris, par les décrets de la Convention, par la toute-puissance du comité de salut public; de l'autre la ligne des contre-révolutionnaires, et toutes les conditions fatales qui systématisent en une seule et même force les fédéralistes, les Vendéens et l'étranger.

Avant de commencer le récit des événemens, nous ferons connaître la situation dans laquelle les Girondins laissèrent la France à ceux qui leur en arrachèrent la direction. L'immense frontière du nord n'était défendue que par des camps retranchés, séparés par de grands intervalles, et dont les troupes, privées de généraux habiles, manquant d'un centre d'action qui en fît un seul corps, se désorganisaient et se décourageaient de plus en plus; le dénoûment de la guerre extérieure semblait attaché au sort de deux places assiégées : Valenciennes et Mayence; l'une pouvait ouvrir l'entrée de la France aux ennemis, l'autre fermait aux Français l'entrée de l'Allemagne. Les efforts pour dégager cette ville avaient été funestes. Nous avons vu le général Custine tenter, le 16 mai, une attaque sur le Rhin et rentrer battu dans ses lignes; nous avons vu, après la mort de Dampierre (23, 24 et 26 mai), les Français obligés d'évacuer successivement le camp de Famars et celui d'Anzin, et les Autrichiens s'emparer du faubourg de Marlis à Valenciennes. Depuis Bâle jusqu'à Ostende, les alliés comptaient près de trois cent mille combattans; s'ils eussent poursuivi leurs avantages avec quelque vigueur, en douze où quinze marches ils arrivaient sous Paris et y surprenaient la Convention avant qu'elle pût se mettre en défense. A l'est, les Austro-Sardes franchissaient les Alpes; au midi, Perpignan et Bayonne étaient sérieusement menacées par les Espagnols. Le 26 mai, le général de Flers, battu par Ricardos, s'était réfugié sous le canon de Perpignan; le 6 juin, le général espagnol Caro

T. XXVIII.

10

avait attaqué Château-Pignon et forcé les Français à se retirer dans Saint-Jean-Pied-de-Port.

Pendant que la guerre extérieure entamait ainsi toutes nos frontières, la guerre civile triomphait sur tous les points, et bientôt, grâce aux fédéralistes, elle fit de tels progrès qu'à peine si quinze à vingt départemens restèrent fidèles à la Convention. Lorsque les députés proscrits portèrent la sédition dans les provinces, les royalistes de la Vendée étaient en cours de succès. En un mois ils avaient pris d'assaut, après des batailles meurtrières, Thouars, Fontenay, et Saumur (5 et 25 mai, 10 juin), et maintenant ils étaient maîtres de la Loire. A Lyon, les insurgés fédéralistes, vainqueurs des Jacobins, dans les journées des 29, 50 et 31 mai, parlementaient de puissance à puissance avec les commissaires conventionnels, et machinaient sous main l'invasion piémontaise.

Voilà l'état dans lequel le pouvoir girondin laissait les affaires. De plus il léguait à la Convention le souvenir de huit mois consommés en des luttes personnelles ; l'exemple de l'égoïsme de parti enseigné par eux à ne reculer devant aucun scandale, aucun désordre, aucun malheur public; des apologistes animés de ses passions et de ses haines, ne montrant de sollicitudes que pour leurs amis absens, et troublant de cette querelle des séances où l'on n'aurait dû entendre que la voix de la patrie; enfin une majorité que les déchiremens parlementaires avaient comme frappée d'hébêtement et de terreur, et dont les membres allaient bientôt justifier, par une passivité à toute épreuve, l'ignoble surnom de crapauds du Marais. Avec cela rien de prévu, rien de préparé pour détourner ou braver la tempête qui menaçait d'anéantir la France. Loin de là, et c'était le dernier avis que les Girondins avaient soutenu, il ne fallait ni réquisitions nouvelles, ni emprunt forcé sur les riches, ni maximum sur les denrées nécessaires à la vie, mesures suprêmes réclamées par tous les bons citoyens, mesures sans lesquelles le peuple se voyait à la merci du fléau de la guerre et du fléau de la famine.

Le comité de salut public fit face à tous les dangers, prorogé le 12 juin tel qu'il était composé avant le 31 mai, renouvelé le 10 juillet, et prorogé de mois en mois bien au-delà des limites de la période que nous nous sommes fixée. Les hommes de la seconde formation furent: Jeanbon-Saint-André, Barrère, Gasparin, Couthon, Thuriot, Saint-Just, Prieur (de la Marne), Hérault-Séchelles, et Robert-Lindet. Le 27 juillet, Robespierre y entra en remplacement de Gasparin à qui sa santé n'avait pas permis d'accepter. Carnot et Prieur (de la Côte-d'Or) y furent adjoints le 14 août, et Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Granet, le 6 septembre.

A présent nous déroulerons, sans nous interrompre, cette portion du drame révolutionnaire qui commence par l'arrestation des Girondins et finit à leur supplice. Nous avons devant nous cinq mois d'une crise sociale où l'esprit s'effraie d'abord du nombre et de la grandeur des revers, pour admirer ensuite les prodiges d'audace et de volonté qui les changèrent en triomphes. La révolution ne peut être désormais comparée qu'à un immense appareil électrique mis en mouvement par les bras de tout un peuple; le doigt d'un imprudent, aussi bien que le fer d'un ennemi, en détacheront également des coups de tonnerre. Le maximum, l'emprisonnement des suspects, la levée en masse, la terreur à l'ordre du jour, le gouvernement déclaré révolutionnaire jusqu'à la paix, l'armée portée en deux mois (juin et juillet) de 471,290 à 645,195 hommes; un général en chef, une reine, vingt et un membres de la représentation nationale, portant leur tête sur l'échafaud: tels sont les principaux actes du pouvoir conventionnel. La guerre étrangère, la guerre civile, la double opposition des modérés et des enragés, les suspects et la disette vont nous servir à grouper tous les faits d'où résultera l'histoire gouvernementale de ce pouvoir. Quant à la partie organique de ses travaux, la Constitution, la création du grand livre, les plans d'instruction publique, le nouveau calendrier, etc., nous les réunirons dans un chapitre séparé. Nous en ferons autant à l'égard des procès célè

« PreviousContinue »