la gravité des résultats nous conduira, nous nous tiendrons ainsi sur le premier plan du tableau, et nous en dominerons constamment l'ensemble. D'un côté nous aurons la ligne républicaine soutenue à l'intérieur par le tribunal révolutionnaire, par les débats des clubs, par les arrêtés de la commune de Paris, par les décrets de la Convention, par la toute-puissance du comité de salut public; de l'autre la ligne des contre-révolutionnaires, et toutes les conditions fatales qui systématisent en une seule et même force les fédéralistes, les Vendéens et l'étranger. Avant de commencer le récit des événemens, nous ferons connaître la situation dans laquelle les Girondins laissèrent la France à ceux qui leur en arrachèrent la direction. L'immense frontière du nord n'était défendue que par des camps retranchés, séparés par de grands intervalles, et dont les troupes, privées de généraux habiles, manquant d'un centre d'action qui en fît un seul corps, se désorganisaient et se décourageaient de plus en plus ; le dénoûment de la guerre extérieure semblait attaché au sort de deux places assiégées : Valenciennes et Mayence; l'une pouvait ouvrir l'entrée de la France aux ennemis, l'autre fermait aux Français l'entrée de l'Allemagne. Les efforts pour dégager cette ville avaient été funestes. Nous avons vu le général Custine tenter, le 16 mai, une attaque sur le Rhin et rentrer battu dans ses lignes; nous avons vu, après la mort de Dampierre (23, 24 et 26 mai), les Français obligés d'évacuer successivement le camp de Famars et celui d'Anzin, et les Autrichiens s'emparer du faubourg de Marlis à Valenciennes. Depuis Bâle jusqu'à Ostende, les alliés comptaient près de trois cent mille combattans; s'ils eussent poursuivi leurs avantages avec quelque vigueur, en douze ou quinze marches ils arrivaient sous Paris et y surprenaient la Convention avant qu'elle pût se mettre en défense. A l'est, les Austro-Sardes franchissaient les Alpes; au midi, Perpignan et Bayonne étaient sérieusement menacées par les Espagnols. Le 26 mai, le général de Flers, battu par Ricardos, s'était réfugié sous le canon de Perpignan; le 6 juin, le général espagnol Caro 10 T. XXVIII. avait attaqué Château-Pignon et forcé les Français à se retirer dans Saint-Jean-Pied-de-Port. Pendant extérieure entamait ainsi toutes nos la guerre que frontières, la guerre civile triomphait sur tous les points, et bientôt, grâce aux fédéralistes, elle fit de tels progrès qu'à peine si quinze à vingt départemens restèrent fidèles à la Convention. Lorsque les députés proscrits portèrent la sédition dans les provinces, les royalistes de la Vendée étaient en cours de succès. En un mois ils avaient pris d'assaut, après des batailles meurtrières, Thouars, Fontenay, et Saumur (5 et 25 mai, 10 juin), et maintenant ils étaient maîtres de la Loire. A Lyon, les insurgés fédéralistes, vainqueurs des Jacobins, dans les journées des 29, 50 et 31 mai, parlementaient de puissance à puissance avec les commissaires conventionnels, et machinaient sous main l'invasion piémontaise. Voilà l'état dans lequel le pouvoir girondin laissait les affaires. De plus il léguait à la Convention le souvenir de huit mois consommés en des luttes personnelles ; l'exemple de l'égoïsme de parti enseigné par eux à ne reculer devant aucun scandale, aucun désordre, aucun malheur public; des apologistes animés de ses passions et de ses haines, ne montrant de sollicitudes que pour leurs amis absens, et troublant de cette querelle des séances où l'on n'aurait dû entendre que la voix de la patrie; enfin une majorité que les déchiremens parlementaires avaient comme frappée d'hébêtement et de terreur, et dont les membres allaient bientôt justifier, par une passivité à toute épreuve, l'ignoble surnom de crapauds du Marais. Avec cela rien de prévu, rien de préparé pour détourner ou braver la tempête qui menaçait d'anéantir la France. Loin de là, et c'était le dernier avis que les Girondins avaient soutenu, il ne fallait ni réquisitions nouvelles, ni emprunt forcé sur les riches, ni maximum sur les denrées nécessaires à la vie, mesures suprêmes réclamées par tous les bons citoyens, mesures sans lesquelles le peuple se voyait à la merci du fléau de la guerre et du fléau de la famine. Le comité de salut public fit face à tous les dangers, prorogé le 12 juin tel qu'il était composé avant le 31 mai, renouvelé le 10 juillet, et prorogé de mois en mois bien au-delà des limites. de la période que nous nous sommes fixée. Les hommes de la seconde formation furent: Jeanbon-Saint-André, Barrère, Gasparin, Couthon, Thuriot, Saint-Just, Prieur (de la Marne), Hérault-Séchelles, et Robert-Lindet. Le 27 juillet, Robespierre y entra en remplacement de Gasparin à qui sa santé n'avait pas permis d'accepter. Carnot et Prieur (de la Côte-d'Or) y furent adjoints le 14 août, et Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Granet, le 6 septembre. A présent nous déroulerons, sans nous interrompre, cette portion du drame révolutionnaire qui commence par l'arrestation des Girondins et finit à leur supplice. Nous avons devant nous cinq mois d'une crise sociale où l'esprit s'effraie d'abord du nombre et de la grandeur des revers, pour admirer ensuite les prodiges d'audace et de volonté qui les changèrent en triomphes. La révolution ne peut être désormais comparée qu'à un immense appareil électrique mis en mouvement par les bras de tout un peuple; le doigt d'un imprudent, aussi bien que le fer d'un ennemi, en détacheront également des coups de tonnerre. Le maximum, l'emprisonnement des suspects, la levée en masse, la terreur à l'ordre du jour, le gouvernement déclaré révolutionnaire jusqu'à la paix, l'armée portée en deux mois (juin et juillet) de 471,290 à 645,195 hommes; un général en chef, une reine, vingt et un membres de la représentation nationale, portant leur tête sur l'échafaud : tels sont les principaux actes du pouvoir conventionnel. La guerre étrangère, la guerre civile, la double opposition des modérés et des enragés, les suspects et la disette vont nous servir à grouper tous les faits d'où résultera l'histoire gouvernementale de ce pouvoir. Quant à la partie organique de ses travaux, la Constitution, la création du grand livre, les plans d'instruction publique, le nouveau calendrier, etc., nous les réunirons dans un chapitre séparé. Nous en ferons autant à l'égard des procès célè bres qu'il nous faudra donner en entier, et que nous ne pourrions intercaler dans notre récit, sans en rompre la suite. La plupart des députés proscrits au 31 mai se dérobèrent par la fuite au décret d'arrestation. Parmi ceux qui y déférèrent un instant, presque tous échappèrent bientôt à leurs gendarmes; Valaze, Gensonné et Vergniaud, demeurèrent prisonniers. Les fugitifs se distribuèrent dans les départemens selon qu'ils espéraient de leur influence personnelle pour y exciter la révolte. Buzot, Gorsas, Pétion, Louvet, Barbaroux, Guadet, etc., se répandirent dans l'Eure et dans le Cavaldos; Meilhan et Duchâtel, qui n'étaient point décrétés, désertèrent la Convention pour aller soulever la Bretagne; Biroteau et Chasset se rendirent à Lyon; Rabaud Saint-Étienne, à Nîmes; Brissot, à Moulins. Tous les départemens de l'ouest, où ne s'étendait pas l'insurrection vendéenne, presque tous ceux du centre, du midi et de l'est, se prononcèrent contre le 31 mai. Les conséquences de cette journée n'y furent approuvées que dans un petit nombre de villes; on citait: Blois, Bourges, Tulles, Poitiers, et l'extrême frontière du sud, de Perpignan à Bayonne. Caen, Nevers et Besançon marquent les points où s'arrête le mouvement méridional à l'ouest, au centre et à l'est. Bordeaux, Rennes, Évreux, Caen, Limoges, Toulouse, Marseille, Nîmes, Grenoble, Lons-le-Saunier et Lyon, se signalèrent par la chaleur et l'activité de leur zèle girondin. Les administrateurs de Bordeaux écrivaient à la Convention, sous la date du 6 juin, à minuit : • Citoyens représentans, les détails de votre séance du 3 de ce mois (1) viennent d'être connus de la ville de Bordeaux. > Des cris de fureur et de vengeance retentissent dans toutes les places publiques, et jusque dans notre enceinte ; un mouve (1) Dans cette séance, la Convention avait repoussé par l'ordre du jour deux propositions de Fonfrède; par l'une, il voulait qu'une lettre de Vergniaud, annonçant qu'il se constituait en arrestation, fût insérée au bulletin ; par l'autre, il demandait que les membres décrétés pussent venir entendre et discuter le rapport que l'on ferait contre eux. (Note des auteurs.) 18 ment général d'indignation et de désespoir précipite tous les citoyens dans leurs sections; les députations se pressent autour de nous; toutes viennent nous proposer les mesures les plus extrêmes; il nous est impossible de calculer, en ce moment, les suites de cette effervescence; nous vous devons la vérité, citoyens représentans, et nous redoutons le moment où nous serons forcés de vous la dire tout entière. › Cette démarche fut suivie d'actes décisifs. Les autorités constituées, réunies en commission populaire de salut public, ordonnèrent la levée immédiate d'une force armée, et des députés munis de pleins pouvoirs, furent envoyés à tous les départemens pour y proposer un pacte fédéral. A Rennes, les assemblées primaires votèrent une adresse qui parvint le 9 juin à la Convention, et où on lisait ces mots : < Rapportez l'odieux décret qui met en état d'arrestation nos plus incorruptibles défenseurs, rendez-les à la République : vous en répondez sur vos têtes.› A cette adresse était joint un arrêté des administrateurs, ayant pour objet la levée d'une troupe sous la dénomination de bataillon des Républicains du département d'Ille-et-Vilaine, destinée à marcher sur Paris. Cette troupe devait être soldée à raison de quarante sous par jour. Les administrateurs prescrivaient à cet effet aux receveurs de district de délivrer, sur les fonds provenans de la renL trée des contributions, un premier paiement de 100,000 liv. Les autres départemens de la province entrèrent aussitôt dans ces vues. Des commissaires du Morbihan, du Finistère, de la Mayenne, de la Loire-Inférieure, et des côtes du Nord, accoururent à Rennes pour y sceller l'alliance bretonne. A Évreux, les administrateurs prirent un arrêté, dont les principales dispositions dénoncées le 13 juin à la Convention nationale, par les citoyens de Vernon, étaient conçues en ces termes : • 1° L'assemblée déclare qu'elle est convaincue que la Convention nationale n'est pas libre. 2o Il sera organisé, concurremment avec les citoyens des |