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bres qu'il nous faudra donner en entier, et que nous ne pourrions intercaler dans notre récit, sans en rompre la suite.

La plupart des députés proscrits au 31 mai se dérobèrent par la fuite au décret d'arrestation. Parmi ceux qui y déférèrent un instant, presque tous échappèrent bientôt à leurs gendarmes; Valaze, Gensonné et Vergniaud, demeurèrent prisonniers. Les fugitifs se distribuèrent dans les départemens selon qu'ils espéraient de leur influence personnelle pour y exciter la révolte. Buzot, Gorsas, Pétion, Louvet, Barbaroux, Guadet, etc., se répandirent dans l'Eure et dans le Cavaldos; Meilhan et Duchâtel, qui n'étaient point décrétés, désertèrent la Convention pour aller soulever la Bretagne; Biroteau et Chasset se rendirent à Lyon; Rabaud Saint-Étienne, à Nîmes; Brissot, à Moulins.

Tous les départemens de l'ouest, où ne s'étendait pas l'insurrection vendéenne, presque tous ceux du centre, du midi et de l'est, se prononcèrent contre le 31 mai. Les conséquences de cette journée n'y furent approuvées que dans un petit nombre de villes; on citait : Blois, Bourges, Tulles, Poitiers, et l'extrême frontière du sud, de Perpignan à Bayonne. Caen, Nevers et Besançon marquent les points où s'arrête le mouvement méridional à l'ouest, au centre et à l'est.

Bordeaux, Rennes, Évreux, Caen, Limoges, Toulouse, Marseille, Nîmes, Grenoble, Lons-le-Saunier et Lyon, se signalèrent par la chaleur et l'activité de leur zèle girondin. Les administrateurs de Bordeaux écrivaient à la Convention, sous la date du 6 juin, à minuit :

⚫ Citoyens représentans, les détails de votre séance du 3 de ce mois (1) viennent d'être connus de la ville de Bordeaux.

› Des cris de fureur et de vengeance retentissent dans toutes les places publiques, et jusque dans notre enceinte; un mouve

(1) Dans cette séance, la Convention avait repoussé par l'ordre du jour deux propositions de Fonfrède; par l'une, il voulait qu'une lettre de Vergniaud, annonçant qu'il se constituait en arrestation, fût insérée au bulletin ; par l'autre, il demandait que les membres décrétés pussent venir entendre et discuter le rapport que l'on ferait contre eux. (Note des auteurs.)

ment général d'indignation et de désespoir précipite tous les citoyens dans leurs sections; les députations se pressent autour de nous; toutes viennent nous proposer les mesures les plus extrêmes; il nous est impossible de calculer, en ce moment, les suites de cette effervescence; nous vous devons la vérité, citoyens représentans, et nous redoutons le moment où nous serons forcés de vous la dire tout entière. »

Cette démarche fut suivie d'actes décisifs. Les autorités constituées, réunies en commission populaire de salut public, ordonnèrent la levée immédiate d'une force armée, et des députés, munis de pleins pouvoirs, furent envoyés à tous les départemens pour y proposer un pacte fédéral.

A Rennes, les assemblées primaires votèrent une adresse qui parvint le 9 juin à la Convention, et où on lisait ces mots : < Rapportez l'odieux décret qui met en état d'arrestation nos plus incorruptibles défenseurs, rendez-les à la République : vous en répondez sur vos têtes.› A cette adresse était joint un arrêté des administrateurs, ayant pour objet la levée d'une troupe sous la dénomination de bataillon des Républicains du département d'Ille-et-Vilaine, destinée à marcher sur Paris. Cette troupe devait être soldée à raison de quarante sous par jour. Les administrateurs prescrivaient à cet effet aux receveurs de district de délivrer, sur les fonds provenans de la rentrée des contributions, un premier paiement de 100,000 liv. Les autres départemens de la province entrèrent aussitôt dans ces vues. Des commissaires du Morbihan, du Finistère, de la Mayenne, de la Loire-Inférieure, et des côtes du Nord, accoururent à Rennes pour y sceller l'alliance bretonne.

A Évreux, les administrateurs prirent un arrêté, dont les principales dispositions dénoncées le 13 juin à la Convention nationale, par les citoyens de Vernon, étaient conçues en ces

termes :

• 1° L'assemblée déclare qu'elle est convaincue que la Convention nationale n'est pas libre.

› 2o Il sera organisé, concurremment avec les citoyens des

autres départemens, une force armée pour marcher, en tout ou en partie, contre les factieux de Paris qui ont enchaîné la liberté de la Convention, et réduit au silence les bons citoyens.

5o Cette force armée sera de 4,000 hommes pour le département de l'Eure.

4o Il sera établi une correspondance avec tous les départemens, pour les inviter à se joindre au département de l'Eure.

5. Il sera envoyé une adresse à toutes les Communes de ce département, pour demander leur adhésion aux mesures contenues dans le présent arrêté.

› 6° Il sera envoyé des commissaires dans les départemens du Calvados, d'Eure-et-Loir et de l'Orne, pour concerter ensemble les mesures d'exécution.

7° Il est ordonné aux municipalités d'arrêter ceux qui précheraient la doctrine de l'anarchie, le meurtre et le pillage.

A Caen, des quatre commissaires de la Convention, chargés d'y activer la formation de l'armée des côtes de Cherbourg, deux eurent à peine le temps de se réfugier dans le département de la Manche; les deux autres, Romme et Prieur (de la Côted'Or) furent arrêtés par ordre des corps administratifs et des sociétés populaires. Une lettre de Félix Wimpfen, commandant de place à Cherbourg, et qui fut bientôt nommé général des troupes fédéralistes, transcrit cette nouvelle. La dépêche de Wimpfen arriva le 13 juin à la Convention, au moment où des députés du district des Andelys racontaient ainsi les actes des commissaires envoyés de Caen pour opérer la ligue normande :

‹ Législateurs, il ne vous sera peut-être pas inutile de connaître avec quel mépris la représentation nationale a été traitée par neuf commissaires envoyés du Calvados dans le département de l'Eure.

« L'un d'eux a dit, avec un mouvement d'indignation, que la faction scélérate qui venait de décréter d'arrestation les Brissot et les Barbaroux, était la même qui renversa le monarque de dessus son trône, pour s'asseoir à sa place. - H s'écria qu'il n'y

avait pas de temps à perdre pour arrêter le sang de ces vertueux citoyens qui coulait peut-être déjà.

› Un membre observait qu'on aurait bien de la peine å lever une force armée de quatre mille hommes.- Un administrateur répondit : « Nous aurons tous les aristocrates pour nous. ›

Limoges expédie des couriers à tous les chefs-lieux du centre, convoquant à Bourges, dans le plus bref délai, leurs députés suppléants à la Convention.

A Toulouse, les autorités constituées placardèrent le discours de Lanjuinais contre la Commune de Paris, mirent en liberté tous les Feuillans que les commissaires Mailhe et Chabot avaient fait incarcérer, et remplirent les prisons de patriotes; enfin, elles levèrent une force armée de mille hommes, et publièrent dans le Languedoc un rendez-vous général à Perpignan de toutes les troupes départementales de cette contrée.

La nouvelle du 51 mai trouva Marseille en pleine révolte. Nous lisons dans le journal d'Avignon, sous la rubrique de Marseille, 5 juin :

Le 3 de ce mois, à 7 heures du soir, le club a été fermé, les clefs ont été remises au comité général des sections avec le poignard de Brutus. On y a trouvé quatre canons de quatre livres de balles, deux tromblons, beaucoup de piques et quinze fasils. Les effets, bancs, chaises, tables et tribunes ont formé la charge de trois charrettes; un cortège nombreux, précédé de la musique militaire, a porté au comité général des sections quinze drapeaux pris sur les ennemis que les corsaires avaient déposés dans ce temple de la liberté. Un grand nombre de membres du club déposent leurs diplômes aux sections, et plusieurs de ces diplômes sont portés dans la ville au bout des piques; enfin, il y eut hier illumination générale à l'occasion de cet événement bien extraordinaire, attribué en général à l'effet qu'a produit la nouvelle de la catastrophe de Lyon, du 29 mai. Le tribunal populaire, tant de fois suspendu et tant de fois remis en activité, paraît être sur le point d'être rétabli de nou

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veau; car les sections procèdent au renouvellement de ses membres. >

Ce tribunal fut, en effet, rétabli. Deux courriers extraordinaires, arrivés de Paris dans la nuit du 6 au 7 juin, donnèrent lieu à une assemblée des sections, et à une conférence des trois corps administratifs avec le comité général des sections. La séance dura jusqu'à huit heures et demie du matin ; personne n'eut la liberté d'en sortir. Le journal de Lyon, no LXXXIX, d'où nous tirons ces détails, donne la notice suivante de la délibération arrêtée par les autorités constituées de Marseille.

Il sera établi un comité de comestibles pour régler, à un taux modéré, les objets d'absolue nécessité ;

› Déterminé de presser la vente des biens nationaux, pour diminuer d'autant la masse des assignats;

› Force départementale de cinq cents hommes, au moins, par chaque département ;

› Quatre bataillons de gardes nationales en réquisition permanente de semaine en semaine ;

Établissement d'une commission nationale de cent soixantedix membres, qui s'établira à Bourges, dont la mission sera de protéger la Convention nationale, la dégager des factieux qui l'oppriment, et lui donner les moyens de travailler à la constitution, etc.; Établissement d'un jury de jugement, composé de quatrevingt-cinq membres, pour juger tous les crimes contre la sûreté nationale;

› Autre jury d'autant de membres, pour impugner la comptabilité financière, etc.

› Convocation de toutes les assemblées primaires dans la République, pour qu'il soit procédé, dans chaque département, à la nomination de deux membres pour la commission des cent soixante-dix,

Et de quatre autres pour les deux jurys.

› Bourges désigné pour ces trois établissemens. »

Dix députés du gouvernement provisoire de Marseille furent nommés pour parcourir les départemens, et se procurer l'ad

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