Page images
PDF
EPUB

sang?.... L'orateur interrompu par une réprobation universelle, fut obligé de quitter la tribune, et le président le rappela à l'ordre. Le procès-verbal ferme de la sorte cet incident: • Hébert fait à ce sujet un discours plein d'énergie et de patriotisme. Il demande qu'on regarde comme mauvais citoyen tout homme qui proposera de répandre du sang. Son réquisitoire est unaniment adopté, non par l'épreuve d'une mise aux voix, mais par les applaudissemens universels de tous les citoyens présens. ›

Les Jacobins avaient maintenant l'initiative de toutes les propositions gouvernementales. On discutait et on votait dans ce club, avec un ordre et une discipline qui pouvaient servir d'exemple à la Convention, les motions que les députés devaient faire à la tribune nationale. Le 3 juin, Chasles parlait ainsi dans cette société :

Je crois qu'il est deux mesures indispensables : c'est de réor ganiser entièrement les comités de la Convention, et de passer les jours et les nuits pour bien convaincre les départemens que c'est la faction qui a entravé notre marche, et qui nous a empêchés d'assurer le bonheur public. C'est à nous de déblayer les mille et une pétitions enfouies dans nos comités. Nos adversaires sont consommés dans les ruses de l'intrigue; nous devons nous attendre qu'ils n'auront laissé aucune pièce de conviction. Roland surtout n'aura pas manqué de soustraire toutes les pièces à sa charge. Je demande que nous formions un comité particulier, chargé de recueillir toutes les preuves de la conjuration; autrement nos efforts deviendront inutiles par la disette des preuves matérielles. Je demande aussi que le comité de correspondance invite toutes les sociétés affiliées à faire parvenir à ce comité tous les renseignemens relatifs à la faction. >

Ces mesures furent adoptées. Chabot proposa ensuite et fut vivement applaudi: 1° d'éclairer l'opinion publique par une profession de foi; 2o de fixer le prix du pain pour toute la République ; 3o de presser l'établissement de la Constitution, dont la base devait être la propriété la plus sacrée, celle de l'exis

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]

tence, et dont le but serait de donner du pain à tous les malheureux. Après Chabot, Robespierre jeune dit : « que les patriotes veillent sans cesse aux canaux qui transmettent les écrits; qu'ils ne laissent point passer le poison. Il ne faut point souffrir qu'aucun fil de la trame conspiratrice puisse se renouer. La liberté de la presse ne doit pas être permise lorsqu'elle compromet la liberté publique (1). Ce sont les Gorsas, les Roland et autres écrivains qui ont corrompu l'opinion publique. Si j'étais juré, je ne m'arrêterais pas à juger un citoyen obscur; mais si un député du peuple avait calomnié Paris, je le déclarerais à l'instant contre-révolutionnaire. (Journal de la Montagne, n. V et VI.) Ces paroles étaient la sanction des actes du comité révolutionnaire de la Commune qui arrêtait en effet les journaux à la poste, décachetait les lettres suspectes, et y apposait une griffe qui portait ces mots : Révolution du 31 mai.

A la séance des Jacobins du 5 juin, Peyre rappela la motion qu'il avait faite, il y avait un mois, d'établir une armée révolutionnaire composée de patriotes munis de certificats de civisme, et recommandés par les sociétés populaires. Léonard Bourdon proposa de renouveler les directoires des départemens, dont le plus grand nombre paraissait devoir se ranger du côté des Girondins. Cet avis, combattu par Jeanbon-Saint-André, ne fut pas accueilli. Ce n'est pas un moyen de régénération, dit Saint-André, de casser les corps administratifs ; des hommes plus dangereux que les aristocrates décidés, domineraient dans les assemblées primaires. Il faut établir des comités de salut public qui fassent marcher les administrations en dépit d'ellesmêmes. Si ces comités sont bien organisés, s'ils sont composés de vrais patriotes pris dans le sein des sociétés populaires, ce stimulant sauvera la liberté. Le club passa à l'ordre du jour. (Journal de la Montagne, n. VIII. )

(1) M. Thiers, tom V, p. 6 de son histoire, rapporte ainsi cette phrase qu'il attribue à Robespierre aîné : «La liberté de la presse doit être entière sans doute, mais ne pas être employée à perdre la liberté. » Il y a erreur de texte et erreur de personne. (Note des auteurs.)

Le 7, Danton fut dénoncé. Sa conduite, pendant les journées de l'insurrection, n'avait pas été claire; les dispositions où nous le montrent les mémoires de Garat, s'étaient trahies par certains acles, notamment par les menaces qu'il avait faites à Henriot. Le Journal de la Montagne, n. X, mentionne, dans cette courte parenthèse, l'incident dont il s'agit : « Un membre élève quelques soupçons sur le civisme de Danton; Camille Desmoulins prend sa défense, et la société passe à l'ordre du jour. Le Républicain Français, n. CCVII, est plus explicite. Un membre: J'ai de violeas soupçons sur les sentimens actuels de Danton; ce député n'est plus aussi révolutionnaire qu'il l'était. Il ne vient plus aux Jacobins; il m'a quitté l'autre jour pour aborder un général. Ce journal conclut comme le précédent.

Le 9, Billaud-Varennes fit un long discours sur les mesures de salut public, indiquées par les circonstances. Ce discours, dont la société ordonna l'impression, l'envoi aux départemens, aux sociétés affiliées et aux armées, résume tout ce qui avait été proposé aux Jacobins depuis sept jours, et en renferme le complément. Billaud-Varennes trace successivement le tableau de la situation politique, celui des dangers, et celui des ressources. Il distingue deux sortes de mesures à prendre : « Les unes doivent tendre au rétablissement accéléré de l'ordre dans l'intérieur; les autres doivent concourir à mettre la République dans un état de défense si imposant qu'elle ne puisse être entamée par ses ennemis. Les moyens qu'il développe sont : la punition sévère et rapide de tous les généraux coupables, et qui, par l'élévation de leur grade, doublent la gravité de leurs attentats; le licenciement des officiers d'un grade supérieur qui auraient appartenu à la cidevant noblesse; la destitution de tous les agens, soit civils, soit militaires, nommés par Dumourier et par son complice Beurnonville; la responsabilité, sur sa tête, de tout commandant en chef, non pas pour les événemens d'une bataille, mais pour les défaites qui seraient le résultat d'une impéritie démontrée; retirer à l'arbitraire d'un seul homme toute nomination importante; rendre les ministres personnellement responsables des agens qu'ils

emploient, soit dans les cours étrangères, soit dans les armées, soit dans l'administration; la réclusion absolue de toutes les anciennes religieuses qui ne se seraient pas ou retirées dans leurs familles, ou mariées; l'éloignement de tous les étrangers, non naturalisés, tant que la patrie sera en péril, et le bannissement de tous les hommes sans aveu; le désarmement de tous ceux qui n'ayant pas été, ou n'étant pas actuellement fonctionnaires publics, n'ont jamais monté leur garde en personne depuis le commencement de la révolution; l'arrestation des ci-devant nobles suspects, et autres personnes présumées malveillantes; la détention dans les villes des femmes des émigrés ; l'impôt progressif et l'emprunt forcé d'un milliard sur les riches; s'occuper du soin de récompenser les défenseurs de la patrie; suspendre l'exercice du droit de citoyen pour tous les hommes anti-sociaux qui méprisent ou usurpent ce droit; décréter promptement cette garde soldée (armée révolutionnaire), qui doit procurer à tant de citoyens des moyens de subsistance; assurer la défense de Paris par l'établissement d'une artillerie et d'une cavalerie formidables. L'orateur commente chacun de ces moyens, et il termine ainsi :

[ocr errors]

N'oublions pas que ce fut investis, pour ainsi dire, par les hordes des brigands du Nord, et sous le feu de leurs canons, que nous sûmes déployer assez de vigueur pour abattre la tyrannie, et pour fonder le règne de l'égalité. Aujourd'hui, encore partagés entre l'indignation que nous inspirent les perfidies et l'audace des contre-révolutionnaires de l'intérieur, et le courage que provoque la nécessité de combattre et de vaincre les satellites des despotes conjurés, qui nous cernent et qui nous menacent, nous portons dans nos cœurs tous les sentimens propres à réaliser le chef-d'œuvre du gouvernement républicain. Rien n'est plus capable d'agrandir l'âme et l'esprit que les explosions politiques. Élevons-nous donc au niveau sublime de nos deux premières journées, en tenant irrévocablement à l'exécution du décret qui porte que la constitution sera discutée sans interruption, et présentée à la sanction du peuple sans délai. Par cette marche, 11

T. XXVIII,

vous rassurez la nation sur ses droits et sur les dangers; vous ranimez son courage, vous électrisez son énergie, vous la rendez invincible, en lui inspirant une pleine confiance : nous-mêmes nous ferons encore une fois trembler l'Europe, étonnée de voir que l'immensité du péril n'a conduit qu'à nous faire déployer un plus grand caractère; et vous donnerez un nouveau spectacle à l'univers. Car il est sans exemple, et la gloire vous était réservée de faire marcher de front l'établissement des droits de l'homme et du citoyen, et les efforts simultanés d'un peuple immense, et qui, sans être régénéré, repousse cependant, avec une constance soutenue et un courage héroïque, les dernières attaques du despotisme et les convulsions de l'aristocratie expirante. Mais, je vous le répète, prenez-y garde; vous n'avez pas un instant à perdre; chaque moment de retard, dans votre position, est une défaite. Craignez d'ailleurs, de laisser la nation se décourager, ou se lasser des maux que suscitent l'intrigue et la trahison. En un mot, songez que depuis quatre ans, on crie au peuple que la patrie est en danger, et qu'il est temps sans doute de lui annoncer bientôt que la patrie est enfin sauvée. » ( Discours de Billaud-Varennes, p. 52, 35 et 34.)

Après avoir tracé le plan de conduite de la Commune, et le programme des Jacobins, nous passons à la Convention. Nous allons la voir mettre en ceuvre ce programmeà peu près tel qu'il était voté par le club. En cela, elle subira l'influence du côté gauche qui sera obligé de lutter contre le côté droit, en même temps qu'il forcera la main au comité de salut public; car jusqu'au 10 juillet, époque de son renouvellement intégral, ce comité affectera le milieu entre la Gironde et la Montagne.

Le 5 juin, à l'ouverture de la séance, et sur la proposition de Cambacerès, le décret suivant fut rendu :

< ART. Ier. Tous les comités seront renouvelés et mis au complet, à l'exception du comité de salut public.

II. Le renouvellement commencera par celui de la guerre. III. Le comité de législation sera divisé en deux sections: l'une, composée de douze membres, s'occupera de la révision

« PreviousContinue »