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point avec vous l'amour du monde. Ils se plaignaient qu'on voulait diviser la République, ils se partagent ses lambeaux ; ils disent qu'on a outragé des membres de la représentation, ils l'outragent tout entière; ils étaient froids contre les brigands de la Vendée, ils appelaient la France contre vous, et trouvent aujourd'hui des armes pour combattre les lois et déchirer l'empire. Nous avons retracé leur conduite depuis le premier jour : plusieurs ont rendu compte des événemens selon qu'ils étaient émus par leurs passions; ils ont raconté les faits sans suite et sans liaison; les faits sont toujours odieux lorsqu'on les isole. Ceux qui étaient les plus aveugles, les moins instruits des vues des chefs, et conséquemment fanatiques, ont le plus écrit et le plus parlé dans les derniers jours de la conjuration : comme ils avaient vu de plus près les conjurés, ils devaient être leurs plus ardens défenseurs, parce qu'ils étaient les plus séduits par leur hypocrisie. Qu'on lise les récits divers, ceux de Lanjuinais et Rabaut, et ceux des autres répandus dans la France; ils ont fait du crime un martyre: tout est écrit avec inquiétude, avec faiblesse, esprit de parti.

› Vous avez vu le plan long-temps suivi d'armer le citoyen par l'inquiétude, et de confondre le gouvernement par la terreur et les déclamations; mais vous respecterez encore la liberté des opinions, votre comité la réclame; on pourrait dire que les discours d'un représentant sont des actions; que cette liberté n'est que pour les citoyens, qu'elle est leur garantie; mais que, dans les actes du gouvernement, elle peut être une politique insidieuse et suivie, qui compromette le salut public. Était-elle sacrée l'opinion qui condamna Socrate et lui fit boire la ciguë? L'opinion qui fait périr un peuple l'est-elle d'avantage?

› Quoi qu'il en soit, la liberté ne sera point terrible envers ceux qu'elle a désarmés, et qui se sont soumis aux lois; proscrivez ceux qui nous ont fuis pour prendre les armes ; leur fuite atteste le peu de rigueur de leur détention. Proscrivez-les, non pour ce qu'ils ont dit, mais pour ce qu'ils ont fait; jugez les autres, et pardonnez au plus grand nombre. L'erreur ne doit pas

être confondue avec le crime, et vous n'aimez point à être sévères ; il est temps que le peuple espère enfin d'heureux jours, et que la liberté soit autre chose que la fureur de parti; vous n'êtes point venus pour troubler la terre, mais pour la consoler des longs malheurs de l'esclavage; rétablissez la paix intérieure. L'autorité brisée au centre fait partout peser ses debris; rétablissez en tous lieux la justice et l'énergie du gouvernement; ralliez les Français autour de leur Constitution; puisse-t-elle ne partager pas la haine conçue contre ses auteurs?

› On a poussé l'oubli de la morale jusqu'à proscrire cet ouvrage, fût-il propre à assurer le bonheur du peuple français, parce que quelques-uns n'y ont pas concouru. Ils régnaient donc ceux qui sont si puissans! et qu'attendiez-vous d'eux après tant de crimes? des crimes encore! Quelle est donc cette superstition qui nous érige en sectes et en prophètes, et prétend faire au peuple un joug mystique de sa liberté? Vous ne pouviez faire de lois avec eux, et vous n'auriez point le droit d'en faire sans eux! Il serait donc des cas où la morale et la vérité pourraient être nulles!

> J'ai peint la conjuration; fasse la destinée que nous ayons vu les derniers orages de la liberté! les hommes libres sont nés pour la justice; on profite peu à troubler la terre; la justice consiste à réprimer ceux qui la troublent.

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› Vous avez eu le droit de faire arrêter ceux de vos membres qui trahissaient la République. Si le souverain était assemblé, ne pourrait-il pas sévir contre quelques-uns de ses membres ? O vous qui le représentez, qui pourrait sauver la patrie, si ce n'était vous-mêmes? Les détenus avaient donné les premiers l'exemple de la sévérité envers les représentans du peuple; qu'ils subissent la loi qu'ils ont faite pour les autres ; ils sont des tyrans s'ils se prétendent au-dessus d'elle; qu'ils choisissent entre le nom de conjurés et celui de tyrans.

Il résulte des pièces remises au comité de salut public : > Qu'une conjuration a été ourdie pour empêcher en France l'établissement du gouvernement républicain; que l'anarchie a

été le prétexte des conjurés pour comprimer le peuple, pour diviser les départemens, et les armer les uns contre les autres ; > Qu'on a tenté de mettre sur le trône le fils de Capet;

Que les efforts des conjurés contre l'établissement de la République ont redoublé depuis que la Constitution a été présentée à l'acceptation du peuple français;

Qu'on avait formé dans les conciliabules de Valazé, où se rendaient les détenus, le projet de faire assassiner une partie de la Convention;

› Qu'on a tenté de diviser d'opinions le nord et le midi de la France, pour allumer la guerre civile;

› Qu'à l'époque du 31 mai, plusieurs administrations excitées à la révolte par les détenus, avaient arrêté les deniers publics et proclamé leur indépendance;

› Qu'à cette époque, la conjuration contre le système de gouvernement républicain avait éclaté dans les corps administratifs de Corse, de Bouches-du-Rhône, de l'Eure, du Calvados, qui sont aujourd'hui en rébellion. Votre comité a pensé que votre justice devait être inflexible envers les auteurs de la conjuration; il m'a chargé de vous proposer le décret suivant :

› Art. Ier. La Convention nationale déclare traîtres à la patrie Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salles, Louvet, Bergoeing, Biroteau, Pétion, qui se sont soustraits au décret rendu contre eux, le 2 de juin dernier, et se sont mis en état de rébellion dans les départemens de l'Eure, du Calvados et de Rhôneet-Loire, dans le dessein d'empêcher l'établissement de la République, et de rétablir la royauté.

> II. Il y a lieu à accusation contre Gensonné, Guadet, Vergniaud, Molleveau, Gardien, prévenus de complicité avec ceux qui ont pris la fuite et se sont mis en état de rébellion.

> III. La Convention nationale rappelle dans son sein Bertrand, membre de la commission des Douze, qui s'opposa courageusement à ses violences; elle rappelle dans son sein les autres détenus, plutôt trompés que coupables.

> IV. La Convention nationale ordonne l'impression des

pièces remises au comité de salut public, et décrète l'envoi aux départemens. >

>

Le discours de Saint-Just étonna par sa modération le côté droit lui-même; il fut écouté dans un profond silence. Sur la demande de Fonfrède, on décréta que la discussion serait ouverte trois jours après l'impression du rapport. Chabot monta ensuite à la tribune pour dénoncer, au nom du comité de sûreté générale, un écrit intitulé: Aux citoyens français, sur la Constitution, par Condorcet. Chabot avait extrait de cette brochure une série de propositions. D'abord c'était l'éloge des Girondins proscrits, hommes connus en Europe par leurs talens et par leurs ouvrages, hommes chers à la France par les services qu'ils avaient rendus à la liberté. » Puis venait le reproche de la précipitation avec laquelle l'acte constitutionnel avait été rédigé par cinq membres du comité de salut public, accepté par ce comité en une seule séance, accepté par l'assemblée après une faible discussion, dans le moment où la liberté des représentans du peuple était ouvertement outragée. Ensuite c'étaient les insinuations les plus graves; en attribuant au corps législatif la faculté d'ordonner immédiatement les dépenses extraordinaires, on avait voulu, selon Condorcet, organiser un système de déprédations; de ce que la Constitution n'assignait pas d'indemnités aux députés, il en concluait qu'on s'était proposé de n'appeler que les riches dans l'assemblée législative; il présentait la Montagne comme ayant favorisé Paris d'un privilége outrageant pour les autres villes de la République, en fixant dans la capitale le lieu des séances des législatures; enfin, et c'était là l'inculpation la plus odieuse, Condorcet déclarait, en terminant son factum, que la forme nouvelle donnée au conseil exécutif renfermait des germes de royauté, et « qu'on avait eu l'intention secrète de favoriser l'audace de quelques scélérats qui visaient à monter sur le trône. » — Le rapport de Chabot fut suivi d'un décret ordonnant l'arrestation de Condorcet, et celle de Devérité, membre du côté droit, accusé d'envoyer dans les départemens la brochure incriminée. Le décret portait en outre que les

scellés seraient apposés sur les papiers des deux prévenus, et que Condorcet paraîtrait à la barre pour avouer ou désavouer l'écrit qui lui était imputé.

La Convention reçut, le 9, un grand nombre de communications relatives aux départemens et aux armées. Plusieurs administrateurs rétractaient leurs démarches girondines; d'autres y persistaient. Ceux de Montpellier, réunis en comité central de salut public, présidé par Durand, maire de cette ville, continuaient d'émettre des arrêtés fédéralistes. Jean-Bon-SaintAndré, au nom du comité de salut public, fit un rapport à cet égard. Il cita un passage du bulletin des autorités de l'Hérault, dans lequel le peuple était invité à exiger que les députés actuels se rendissent aux chefs-lieux de départemens, pour y rester en état d'arrestation jusqu'à leur jugement, par un grand jury national. Des applaudissemens partis du côté droit interrompirent soudain l'orateur. La Convention, s'écria Chabot, pourraitelle sévir contre ceux qui ont signé de semblables arrêtés, si elle ne commençait par punir ceux qui ont l'impudeur d'y applaudir? C'est dans le temple de la loi qu'il faut que son sceptre frappe tous les coupables. Je demande que le citoyen qui est là (indiquant du geste un membre du côté droit), je demande que ce citoyen qui vient d'applaudir, et dont je m'honore de ne pas connaître le nom, soit envoyé à l'Abbaye. Le député ainsi désigné était Couhey, du département des Vosges. Un décret vivement disputé prononça contre lui trois jours d'Abbaye. Pour le décider à s'y soumettre et à quitter la salle, ce ne fut pas assez de la sommation du président, il fallut le menacer d'un décret d'accusation. Quelques-unes des lettres venues de l'armée donnèrent lieu à des mesures de rigueur. Le général Sandos fut traduit au tribunal révolutionnaire. A Luçon, il avait ordonné la retraite devant un corps de Vendéens, lequel fut battu, un instant après, avec sa propre division, confiée par les commissaires conventionnels au général Boissière. A la fin de la séance, Garat fit part à l'assemblée du premier acte émané des puissances étrangères, où le nouveau principe français fat reconnu; c'était un échange de

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