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⚫ bécile corroyeur Barebone, pour rendre le parlement ridicule; vous vous croyez un personnage, et ne me pardonnez pas › d'avoir nommé à la tête des meilleurs citoyens de la Convention, Robert Lindet, Robespierre, Danton, et d'avoir omis ⚫ le nom du président Bréard dans les prières publiques de la › nation pour les hommes qui lui sont le plus précieux! Cou⚫ thon que voilà aurait plus droit que vous de trouver l'omission injuste, et je me la reproche à son égard; mais vous, › président Bréard, comparez, je vous prie, ce que nous avons > fait l'un et l'autre pour la cause de la liberté, et vous verrez » que votre fauteuil présidental ne peut être pour moi que comme le banc des marguilliers pour les paroissiens philosophes (s'il y a des philosophes dans la paroisse), qui ne peuvent » s'empêcher de rire des mouvemens que s'est donné monsieur le marguillier pour avoir une place à part dans l'assemblée, et › se montrer avec un gros bouquet dans l'œuvre. » — Cette allocution à Bréard continue deux pages encore sur le même ton. Des médiateurs, nous apprend Desmoulins, assoupirent cette querelle qui en resta là pour le moment.

Vient ensuite la narration des deux séances. A l'égard de la première, Desmoulins se contente de faire une longue apologie de Dillon, où il est dit que Drouet, le père Hilarion (François Chabot), Bazire, Fabre d'Églantine, Alquier, Merlin de Thionville, Merlin de Douay, Delmas et autres, sont du même avis que lui sur le général. Quel dommage, s'écrie-t-il en terminant son plaidoyer, que je n'aie pu faire cette réponse victorieuse à Bréard, et que de semblables raisons, quoique trèssimples et coulant de ma plume d'un seul jet, n'aient jamais pu être par moi improvisées et couler de mes lèvres! » Passant à la seconde séance, Desmoulins raconte le complot dénoncé par Cambon, et dit qu'il monta à la tribune pour demander qu'on jugeat Dillon, parce que ce n'était pas de son arrestation qu'il se plaignait, mais seulement de sa détention si longue au secret. ⚫ Malheureusement, ajoute-t-il, dans le bouillonnement de mes idées, mom premier mot fut l'idée qui me frappait davan

tage, le ridicule de l'accusation. Je commençai par m'écrier que c'était un conte à dormir debout. On sut bien profiter de cet exorde maladroit et de la défaveur du nom d'Arthur Dillon. De ce moment il fut impossible de me faire entendre. Inutilement j'étais accouru à la tribune, et, m'appuyant contre l'oreille gauche du président, je lui criais mon projet de décret. Sans doute Thuriot est sourd de cette oreille, ou bien il faudrait avouer qu'il avait pris admirablement la balle au bond pour venger le comité de ma sortie de la veille. J'avais beau m'égosiller et lui crier: Citoyen président! je ne viens pas défendre Dillon. Citoyen président! que je dise un seul mot, le décret d'accusation. Plus je lui criais que je lui demandais le décret d'accusation, plus fort il sonnait, et se servait en même temps de la supériorité de ses poumons pour étouffer la faiblesse de ma voix, et accompagnait le tout de gestes paternels qui disaient aux tribunes et à l'assemblée que je voulais absolument défendre Dillon, et que lui, soignant ma popularité, ne voulait absolument pas qu'un des enfans de la Montagne ternît sa vie en se chargeant d'une si mauvaise cause. Il fallait être en colère comme je l'étais, pour ne pas rire moi-même du comique de la situation, et de cet a parte dans lequel je criais au président pour demander que vous fussiez traduit au tribunal, et ce président rendait à l'assemblée que je prenais votre défense, et que lui prenait soin de mon honneur en sonnant de toutes ses forces. Dans la Convention, les uns, mes amis, jugeant, par la gaucherie de mon exorde et par les gestes de Thuriot, que j'allais me faire votre patron, et les autres, qui entraient dans la pensée du président, et bien aises de me brissoter mon peu de popularité (1), tous à l'envi secondaient la

(1) « Croirait-on que j'ai vu des personnes arrivant de l'armée s'arrêter en me rencontrant pour me témoigner leur surprise de me voir dans la rue. Quoi!. m'ont-elles dit! on nous avait assuré à vingt lieues d'ici que vous étiez arrété avec Dillon comme conspirateur! - Et qui avait pu vous dire cela? - Des cour riers soit-disant envoyés de la Convention. La rancune est excusable après de samblables malices de la part de quelques-uns de mes confrères. Mes chers collègues, un peu moins de rivalités ! Vous avez fait à tous les rois un procès auquel i ne pourront répondre, et qui a été suivi de l'exécution dans la personne de Louis XVI. Vous avez donné à tous les peuples, dans la Constitution, la plus

sonnette par un sabbat à la fois malév ole et officieux. Jugez si j'ai pu me faire entendre, lorsqu'il n'y avait que quelques voix qui perçassent comme celles de Legendre et de Billaud-Varennes qui criait : « Il ne faut pas laisser Desmoulins se déshonorer. > Aussi pourquoi avez-vous dit en présence de maints députés que lorsque Billaud était commissaire du pouvoir exécutif, au mois de septembre, dans votre armée, il avait eu un jour une belle peur, qu'il vous avait requis de tourner le dos, et qu'il vous avait toujours regardé depuis de travers et comme un traître, pour lui avoir fait voir l'ennemi. Jugez si ce bilieux patriote vous pardonnera d'avoir dit cette plaisanterie qu'il ne me pardonnera pas d'avoir répétée; mais pour mon compte, je m'en moque, et ma réponse est prête.

Pourquoi m'attaqua-t-il? Tout agresseur a tort. Je revins donc à ma place avec le témoignage de ma conscience, mais non pas avec celui de mes collègues. Quoi! me disais-je, en descendant de la tribune, il y avait quarante-quatre mille offices, dans l'ancien régime, qui sont supprimés; est-ce donc qu'il n'y en a pas pour tout le monde ? Et d'où peut venir à quelqu'un de mes confrères cette joie d'escamoter une réputation à un patriote, comme si c'était une succession? Mais non, ce n'était point cette raison, et c'était le patriotisme méfiant qui, du fond des cœurs jacobins, avait élevé contre moi une prévention presque générale, à laquelle il n'y avait que ceux qui me connaissaient à

belle leçon, ce qui ne sera point perdu pour eux. Nos noms sont impérissables, et votre part de renommée est assez belle.

Il est aisé, mais il est beau pourtant

D'être modeste alors que l'on est grand.

> Souffrez que je vous répète ce que le bon saint Jean écrivait sans cesse à ses confrères de l'île de Pathmos: Serrez-vous les uns contre les autres, point de querelles d'amour-propre; que les prédicateurs parlent à la tribune, que les consultans fassent valoir leurs lumières dans les comités. Mais, au nom du ciel, aimez-vous les uns les autres : Filioli, diligite invicem, et supportez vos défauts. Ce n'est qu'ainsi que les opinions religieuses et politiques s'établissent. On va me dire que je n'ai guère profité de ce conseil pour ma part dans cet écrit caustique; que je fais une guerre défensive, et

« Dieu qui proscrit l'attaque a permis la défense. »
(Note de Desmoulins.)

fond qui eussent pu résister. Tous me regardaient de cet œil inquiet et irrité dont l'histoire dit que les chevaliers romains regardaient, au sortir du sénat, César suspecté d'avoir trempé dans la conjuration de Catilina. Au fond, je ne haïssais pas cette défiance de la crête de la Montagne. Je veux qu'on se défie de tout le monde et de moi-même; mais encore faut-il avoir le sens commun et des oreilles, et ne pas juger comme Claude, sans avoir entendu, et sur le bruit de la sonnette.

› David me regardait fixement. Puis pour hier, passe; mais aujourd'hui la récidive est trop forte. Oui, disait un autre tu deviens suspect. Je croyais être chez les Abdéritains après la tragédie d'Andromède, et entendre tous ces fous s'écrier, en gémissant sur la fragilité de vertus humaines : O amour, tyran des dieux et des hommes !

› Votre table ne paraissant pas aux bons esprits une cause suffisante de ma défection, on cherchait à la Montagne contre quel écueil avait pu se briser le patriotisme d'un journaliste si long temps incorruptible. Enfin, par la conversation d'un député grave et d'un âge mûr, qui vint se placer auprès de moi à la séance du soir, je compris la dernière idée à laquelle s'étaient attachés ceux qui prenaient part à cette affaire. Et vous aussi, me dit-il, en s'asseyant de mon côté, et avec l'air de la plus profonde douleur, vous voilà perverti! Quel si grand intérêt prenez-vous donc à Dillon?

De cette église êtes-vous sacristain ?

L'intérêt que je prends, comme l'un des fondateurs de la République, à ce qu'on ne la déshonore point par ingratitude; comme citoyen, à ce qu'on ne commette point une injustice envers un citoyen.-Mais connaissez-vous bien Dillon? - Il faut bien que je le connaisse pour que je me sois fait de si rudes af- . faires à son corps défendant. - Votre femme le connaît mieux que vous. Bon! Que voulez-vous dire? - Je crains de vous N'ayez pas peur. Votre femme voit-elle souvent Dillon? Je ne crois pas qu'elle l'ait vu quatre fois en sa vie.

affliger.

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Un mari ne sait jamais cela; (et comme je ne paraissais pas

ému;) puisque vous prenez la chose en philosophe, sachez que Dillon vous trahit aussi bien que la République. Vous n'êtes pas un joli garçon. Tant s'en faut. - Votre femme est charmante; Dillon est encore vert; le temps que vous passez à la Convention est bien favorable, et les femmes sont si volages! - Du moins quelques-unes. J'en suis fâché pour vous, car je vous aimais pour vos révolutions qui faisaient les délices de ma femme à la campagne. Mais, mon cher collègue, d'où êtes-vous si bien instruit? - C'est le bruit public, et cinq cents personnes me l'ont dit ce matin. Ah! vous me rassurez; déjà comme les filles de Proetus,

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In lævo quærebam cornua fronte.

› On me croit donc du royaume de Buzot, ce qui est bien pis que d'en être, au témoignage de La Fontaine. Mais que votre amitié pour moi se rassure; je vois bien que vous ne connaissez pas ma femme, et si Dillon trahit la République comme il me trahit, je réponds de son innocence.

Une autre comédie m'attendait au sortir de la séance. L'assemblée était sortie; il ne restait plus que les derniers bancs des tribunes, quand Legendre, me rencontrant et haussant la voix pour y retenir des spectateurs, eut avec moi cette scène dont je ne retranche que les juremens et la fureur, et d'abord avec le ton de l'indignation, et comme s'il eût eu encore les bras retroussés: Va donc dîner avec les aristocrates! » Puis se reprochant ce tutoiement, reste de l'ancienne familiarité, et qui n'était pas assez dans le rôle, qu'il se donnait devant le public, d'un magister irrité qui tance son écolier: « Je vous ai défendu hier, mais je vous abandonne aujourd'hui ! »— -Vois donc, mon cher Legendre! que les tribunes ont défilé; qu'il ne reste plus personne pour entendre la rude leçon que tu me donnes, reconnaître ta supériorité sur tes collègues, et voir que tu les mènes comme des bœufs. - Parce que vous savez le latin vous me répondez maintenant : C'est dans la Convention qu'il faudrait parler; mais vous n'y ouvrez la bouche, une fois en six semaines, que pour nous dire des impertinences et nous appeler des igno

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