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vriers, les artisans, les détaillistes, les agriculteurs, en un mot, la foule des infortunés forcés de travailler pour vivre, ne peuvent y assister pour réprimer les menées criminelles des ennemis de la liberté. J'avais présenté, il y a dix à douze jours, cette dernière mesure à votre comité de salut public; il en sentit l'importance, promit un rapport. J'ignore les motifs de son silence. Signé, MARAT, député à la Convention. » — La lettre dont parle ici Marat lui était adressée par Laussel, ex-procureur syndic de la commune de Lyon, arrêté par les ordres de Rovère, Bazire et Legendre, et maintenant détenu à l'Abbaye, où il attendait d'être jugé par le tribunal révolutionnaire. Cette lettre annonçait que les Lyonnais se disposaient à guillotiner Challier.

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Marat écrivit encore une fois à la Convention, le 5 juillet; c'était pour renouveler la proposition de mettre à prix les têtes des Capet rebelles. Il accusait aussi le général Biron. La lecture de sa lettre fut interrompue par des murmures. Bréard fit passer à l'ordre du jour, motivé sur ce qu'on ne pouvait pas opiner par écrit.

Dans la séance du 12 juillet, la société des Jacobins nomma une commission pour aller visiter Marat. Séance tenante, Maure, l'un des commissaires, fit le rapport suivant : « Nous venons de voir notre frère Marat, qui est bien reconnaissant de l'intérêt que vous lui portez, et qui vous en témoigne toute sa gratitude fraternelle. Nous l'avons trouvé dans le bain ; une table, un encrier, des journaux, des livres auprès de lui, l'occupaient sans relâche de la chose publique. Ce n'est point une maladie, mais une indisposition qui ne prendra jamais les membres du côté droit; c'est beaucoup de patriotisme pressé, resserré, dans un trèspetit corps; les efforts violens du patriotisme qui s'exhalent de toutes parts le tuent; il se plaint de l'oubli de la Convention qui a négligé de lire plusieurs vues de salut public qu'il lui a adressées. (Le Républicain français, no 244.)

La vie politique de Marat occupe une assez large place dans notre histoire pour que nous soyons dispensés de lui consacrer, au moment de sa mort, une longue notice. Nous nous contente

rons de mentionner en peu de mots les principaux détails de sa biographie. Jean-Paul Marat naquit en Suisse, en 1746. Son père, qui était médecin, dirigea ses premières études; il les acheva à Montpellier, où il reçut le diplome de docteur, aussitôt l'âge requis. Etant ensuite passé en Angleterre, autant pour y étudier les formes politiques de ce pays que pour y exercer son art, à l'occasion de la réélection du parlement, il composa, en anglais, un opuscule intitulé, les Chaînes de l'esclavage; en 1792, il publia une traduction française de ce livre. De retour à Paris, Marat exerça la médecine avec distinction. Il réussissait surtout dans la cure des maux d'yeux et des maladies chroniques, ce qui le fit surnommer le médecin des incurables. Il obtint la place de médecin des gardes-du-corps du comte d'Artois. Avant la révolution, il s'était fait connaître par différens travaux scientifiques. Ses recherches sur la lumière et sur l'électricité eurent quelque retentissement, plutôt parce qu'il osa se déclarer l'antagoniste de Newton, que pour la valeur de ses propres découvertes. Son meilleur livre fut un traité de L'homme considéré sous le rapport de l'influence du moral sur le physique, ouvrage dont les principes spiritualistes attirèrent sur l'auteur une part des sarcasmes que Voltaire lançait alors contre tout bon sentiment et toute pensée honnête.

Dès les premiers jours de la révolution, Marat quitta sa clientelle et ses études de savant pour se livrer à la politique. Il débuta par l'Offrande à la patrie, brochure couronnée par la société patriotique du Caveau; cet essai fut suivi du Plan d'une Constitution juste, sage et libre. Il ne tarda pas à entreprendre son journal, dont le premier numéro parut le 12 septembre 1789. Il eut d'abord pour titre : le Publiciste Parisien, ensuite l'Ami du peuple, enfin Journal de la République française. Deux autres journaux, l'Orateur du peuple et le Junius Français, renferment aussi quelques articles de lui.

Le succès du journal de Marat excita des spéculateurs. De faux amis du peuple furent publiés; il en parut jusqu'à quatre en même temps que le véritable. Les faussaires prenaient la devise,

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la signature, et même le papier et les caractères de Marat. Cette circonstance le détermina à réimprimer son journal. Il en remit tous les numéros, et corrigea de sa main les fautes qui s'y étaient glissées à cause de l'impossibilité où il était souvent de revoir les épreuves. Voici ce qu'on lit dans le prospectus : « Cette édition aura donc, outre l'avantage de ne contenir que ce qui est vraiment sorti de la plume de Marat, et de ne pas être confondue avec les autres productions, celui d'être augmentée d'un grand nombre de notes et de remarques, et celui d'ètre rétablie dans sa première intégrité. Cette correction fut faite en 1792 et 1793; la mort de Marat en empêcha l'impression. Il avait été très-difficile à lui-même de retrouver tous ses numéros; sur l'un d'eux il a écrit: Ce numéro, qu'il m'avait été impossible de me procurer après la fracture de mes presses, a été retrouvé dans la collection de d'Anglemont, guillotiné en août 1792. L'exemplaire préparé par Marat pour la réédition de son journal a été conservé par ses héritiers, et se trouve en ce moment entre les mains d'une personne qui a bien voulu nous communiquer ces renseignemens. Il résulte des notes manuscrites que la plupart des lettres non signées ou signées d'initiales qui se trouvent dans l'Ami du Peuple, sont de Marat. Ses vues, en les écrivant, étaient de varier les formes de ses dénonciations.

La veille du jour où Marat fut assassiné, Chabot annonça à la Convention la découverte d'un complot, et demanda que le comité de sûreté générale fût autorisé à mettre les scellés sur les papiers de plusieurs députés. Certains mouvemens observés dans le côté droit, à la séance du 12; des distributions d'imprimés venus de Caen, faites par Duperret, à ses collègues (1); une lettre communiquée par lui à quelques-uns d'entre eux en pleine as

(1) Ce fait imputé à Duperret, à la séance du 14, par Billaud-Varennes, fat traité d'imposture. Là-dessus Levasseur prit la parole et dit : « Ce n'est pas, il est vrai, Duperret qui a fait ce manége, mais Rabaud-Pommier. Il a distribué de ces écrits à Duperret, et Billaud a pu croire que c'est celui-ci qui les distribuait à l'autre. Je fis observer cette distribution, suivie de collectes d'assignats, à plusieurs de més collègues; et je réponds du fait sur ma tèle. Il n'y eut plus de (Note des auteurs.) contestations. »

T. XXVII.

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semblée, tels étaient en partie les motifs qui avaient déterminé la démarche du comité de sûreté générale. Il faut ajouter à cela que trois sections de Paris se prononçaient alors ouvertement pour les fédéralistes. Elles avaient envoyé des commissaires en Normandie pour fraterniser avec les révoltés, et elles réimprimaient les chansons, les adresses, les lettres qui leur venaient de ce pays-là, et jusqu'au manifeste de Félix Wimpfen, bravant ainsi, autant qu'il était en elles, le décret d'accusation porté contre ce général, par la Convention nationale. Nous lisons dans le procès-verbal de la commune, du 12 juillet :

Le conseil général entend lecture d'un arrêté de la section de la Fraternité, par lequel elle déclare que les scellés apposés par l'administration de police, sur les papiers du citoyen Mouchette, l'un des commissaires qu'elle a envoyés dans le département de l'Eure, seront levés par des commissaires nommés par elle, en l'absence comme en présence desdits administrateurs qui les avaient apposés.

› Le conseil-général, après avoir entendu le procureur de la Commune, casse et annule l'arrêté pris par l'assemblée générale de la section de Fraternité, du 11 du présent mois, et arrête qu'il sera dénoncé au département.

› Arrête en outre que ledit arrêté sera envoyé à l'administration de police, à l'effet de poursuivre, par-devant le tribunal révolutionnaire, les auteurs et signataires dudit arrêté, comme tendant à propager les principes du fédéralisme, ensemble les complices et fauteurs de la distribution d'une proclamation signée par Wimpfen, mis en état d'accusation et déclaré rebelle par la Convention nationale; charge en même temps ladite administration de poursuivre par-devant ce même tribunal, tout ceux qui cherchent à empecher ou à éloigner la levée de la force armée destinée pour le département de l'Eare;

› Arrête enfin que l'administration de police rendra compte du résultat de ses poursuites dans le plus court délai.

› Le conseil entend lecture de l'arrêté suivant du comité civil

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de la section de Molière et La Fontaine, et en ordonne mention civique au procès-verbal.

› Nous, soussignés, membres du comité civil de la section › de Molière et La Fontaine, attestons tous, et chacun individuellement, que c'est avec une profonde douleur lors du rapque,

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port fait hier à l'assemblée générale de notre section, par les com› missaires qu'elle avait envoyés dans le département de l'Eure, > plusieurs citoyens, malheureusement en trop grand nombre, » ont applaudi d'une manière insultante pour les patriotes, à des › détails dont tout bon citoyen ne peut que gémir; tels que le ⚫ manifeste de Wimpfen, et l'assurance d'une coalition de

soixante-neuf départemens pour marcher contre Paris; qu'en ⚫ conséquence nous déclarons ne prendre aucune part à ces ap› plaudissemens, que même nous en blàmons hautement les au

teurs, et qu'enfin cette profession de foi de notre part, sera › envoyée aux comités de salut public et de surveillance de la › Convention nationale, à celui de salut public du département › de Paris, au conseil-général de la Commune, et aux quarantesept autres sections. A Paris, le 11 juillet 1795, l'an 2 de la › République française une et indivisible. REGNAUDE T-Ronzière, président; CIVET, vice-président; MAISONCELLE, commissaire de police; JOBERT, VERNEAU, DESPRÉAUX, MACQUET, CLAUDE, › BERTOUT, tous commissaires civils. La troisième section qui s'était déclarée pour les Girondins était celle de 1792. A la séance des Jacobins, du 12 juillet, Desfieux disait : « La section de 1792, ci-devant de la Bibliothèque, a nommé des commissaires pour aller fraterniser avec les départemens de l'Eure et du Calvados; ils ont osé s'aboucher avec les rebelles et leur promettre la paix.› (Le Républicain français, n° CCXLIV.)

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Dans le rapport qu'il fit sur la mort de Marat, à la séance du 14, Chabot liait ainsi les faits : « Pour exciter un mouvement dans Paris, lorsqu'on a vu que deux ou trois sections inclinaient pour le fédéralisme, l'on s'est dit : cherchons les moyens de di. viser les citoyens par un événement qui attire leur attention et puisse les armer les uns contre les autres. Marat a de nombreux

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