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V

Nous ne voulons pas, en écrivant les dernières pages de cette histoire, jeter un coup d'œil sur le long chemin que nous avons suivi, résumer cette noble vie consacrée sans réserve à la cause du Seigneur, et chercher dans les faits considérables qui l'ont remplie, un exemple pour le présent, une espérance pour l'avenir. Nous préférons laisser à l'illustre cardinal de Bausset, le soin de nous faire entendre encore une fois sa parole, avec la douleur d'un ami qui pleure son ami, et nous dire ce que la modestie des prêtres de Saint-Sulpice ne leur avait pas permis de nous faire connaître.

« J'ai lu,» écrit M. de Bausset à M. Duclaux, «avec autant d'attendrissement que de reconnaissance tout ce que vous avez la bonté de me mander sur un événement qui affecte bien douloureusement tous les amis de la religion et de l'église.

« Ce n'est pas à une société particulière que M. Émery appartenait exclusivement; il a été dans tous les temps la gloire et la lumière de l'église de France, il en a été le modérateur pendant vingt ans des plus violentes tempêtes. On a eu raison de dire que son opinion seule a été une autorité.

<< Dieu seul peut savoir combien il a prévenu de malheurs, et combien peut-être il en aurait prévenu. Tous ceux qui aimaient sincèrement la paix et le salut de l'Église s'appuyaient avec confiance de son suffrage et de ses avis. Ceux même qui étaient peutêtre importunés de sa renommée n'osaient braver l'autorité que son nom seul imprimait à ses opinions. Du sein de l'obscurité où il aimait à se renfermer, il avait jeté un tel éclat, qu'il était devenu le centre où venaient aboutir les sollicitudes, les consultations et les déterminations convenables à chaque circonstance.

« Par un décret redoutable de la Providence, il manque à l'église de France, dans le moment même où il lui était le plus utile et le plus nécessaire, à l'époque d'un concile, dont tous les membres auraient recouru avec empressement à ses lumières et à ses conseils. Toute notre confiance ne doit être

et ne peut être qu'en la Providence. M. Émery semble en avoir été l'organe et l'interprète, pendant vingt ans.

« Par sa sagesse et sa fermeté, il a su se rendre supérieur aux événements; il n'a jamais considéré que l'intérêt de la religion; et, fidèle invariablement à cette grande pensée, il s'est attaché à séparer ce grand intérêt de toutes les considérations humaines et de toutes les vicissitudes politiques. Nous venons de voir, Monsieur, par le concert unanime de regrets et d'éloges qui l'a suivi au tombeau, qu'il a forcé tous les partis à être justes envers lui. Il n'a

jamais pensé qu'à Dieu et à la religion, et cependant, il n'a pas échappé à cette gloire et à cette renommée humaine qu'il dédaignait.

« Vous savez, Monsieur, tout ce que M. Émery était pour moi, et tout ce que j'étais pour lui. Je l'ai déjà dit, et je ne cesserai jamais de le dire ; l'affection et la bonté constante dont il m'a honoré seront les titres qui pourront le plus me recommander à l'estime publique. C'est à ces titres que j'ose vous supplier, Monsieur, ainsi que vos respectables coopérateurs de me conserver les sentiments qu'il m'accordait. Croyez que j'en suis digne par la tendre reconnaissance et le respect filial que j'ai voué à mes premiers instituteurs.

« C'est là que j'ai toujours vu les plus hautes vertus s'unir à la plus modeste simplicité, une charité indulgente avec le zèle le plus pur pour la religion, et une profonde soumission aux autorités religieuses, s'allier au plus noble détachement des hommes et des biens de la terre. Je pense et j'ai toujours pensé que si toutes les sociétés quelconques eûssent été animées de l'esprit de celle de saint Sulpice, de cet esprit de paix, de soumission et de charité dont elle ne s'est jamais écartée, jamais on n'aurait vu de troubles et de divisions ni dans l'Église, ni dans l'État.

« C'est à moi, Monsieur, à vous demander comme une grâce la permission de recourir à vos lumières, et d'aller quelques fois à Issy, prier sur le tombeau de cet homme vénérable qui a été de nos jours

l'honneur du sacerdoce et dont notre siècle n'était pas digne.-M. Émery, debout au milieu des ruines et des destructions qui ont marqué les vingt dernières années de son passage sur la terre, me paraît encore plus grand que saint Vincent de Paul, qui a fait de si grandes choses dans un siècle où tous les moyens de création étaient à sa disposition.

« Le moment n'est pas venu de rendre à sa mémoire un hommage digne de lui; mais le temps viendra sans doute où on pourra le montrer tel qu'il était. La prudence commande de couvrir pour ainsi dire d'un voile l'éclat de tant de vertus. >>

+ L. FR. DE BAUSSET, évêque d'Alais.

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CHAPITRE XVI

LES ŒUVRES PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES DE M. ÉMERY.

SOMMAIRE: Pensées de Leibniz sur la religion et la morale. Le christianisme de Bacon. - Défense de la révélation par Euler. Pensées de Descartes sur la religion et la morale. Dissertation sur la mitigation des peines des damnés. Système théologique de Leibniz. - Dialogues sur quelques préjugés du temps.

I

M. Émery ne cherchait pas dans l'étude des grands philosophes, la démonstration d'une théorie métaphysique ou d'un système particulier sur la nature et l'origine des idées. Esprit pratique et toujours préoccupé de la défense de l'Église, placé au premier poste, en présence des attaques violentes et persistantes des orgueilleux incrédules du dernier siècle, il entreprit de venger l'honneur de la foi chrétienne et de confondre ses adversaires par l'argument d'autorité.

Opposer la foi religieuse des savants les plus illustres des siècles passés aux négations et aux railleries hautaines des impies qui ont la prétention de parler au nom de la raison et de la science, tel

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